Le président chinois, Xi Jinping, choisit d’ailleurs Astana, en 2013, pour annoncer son projet de Belt and Road Initiative (BRI, ou « nouvelles routes de la soie ») (11). Pour les routes de la soie terrestres, le Kazakhstan constitue un point de passage primordial. La frontière entre la province chinoise du Xinjiang et le Kazakhstan s’est ouverte dans les années 1980, avant de devenir une zone de libre-échange dans les années 2000. Les deux pays ont développé conjointement la plate-forme multimodale de Khorgos/Korgas. Khorgos, la ville du côté chinois, est un exemple de développement des infrastructures liées aux nouvelles routes de la soie. Située de l’autre côté de la rivière Korgas, la ville kazakhstanaise du même nom, Korgas, se développe aussi considérablement. Cette plate-forme de transit est située à cinq jours de train de la côte est chinoise (Qingdao, Ningbo), à trois heures en train rapide de l’ancienne capitale Almaty et enfin à neuf ou dix jours de l’Est de l’Europe. Cette passerelle de la Chine vers l’Europe par l’Asie centrale compte de nombreuses infrastructures : une zone industrielle, un port à sec et une zone logistique. Les slogans de communication participent de la mise en place du nouveau message voulu pour Khorgos : « deux pays, un objectif » disait la firme ICBC du côté kazakhstanais ; « là où l’Est rencontre l’Ouest » pouvait-on encore lire sur le site du port à sec Khorgos Gateway. Centre de gravité du projet chinois, Khorgos est très souvent visible dans les représentations cartographiques sur la toile chinoise (12).
La Chine est désormais le deuxième partenaire commercial du Kazakhstan après l’Union européenne. Alors que Noursoultan est traditionnellement un partenaire de Moscou, Pékin doit user de toute sa diplomatie afin de ne pas froisser celui-ci. La Russie, après un départ rapide d’Asie centrale dans les années 1990, tend à renouer avec les différents pays de cette zone et notamment le Kazakhstan. On observe que son influence est toujours omniprésente : le russe demeure la langue officielle tandis que le kazakh est langue d’État, et il est obligatoire de parler et de lire la langue d’État pour faire partie d’une administration ou être député. Le président Tokaïev a par ailleurs affirmé dès sa première visite officielle à l’étranger, en Russie, sa volonté de renforcer l’amitié entre les deux pays. La Russie reste malgré tout un partenaire économique important pour le Kazakhstan : exportation de gaz, importation d’uranium, même si l’appétit grandissant de la Chine dans le secteur énergétique lui offre de nouvelles opportunités. À propos du basculement énergétique en Asie centrale, Julien Vercueil, économiste spécialiste des États postsoviétiques, explique : « Le redimensionnement de la présence économique de la Russie […] dans la région est irréversible, car il s’inscrit dans le mouvement d’intégration des économies qui la composent aux marchés régionaux et mondiaux, rationalisé par la référence à la “route de la soie” souvent mobilisée par les autorités régionales. (13) » Ainsi, tout en maintenant des liens plus ou moins étroits avec la Russie, les pays de la région ont diversifié de manière décisive leurs relations avec la Chine d’un côté, et avec l’Union européenne (et, à un degré moindre, les États-Unis) de l’autre.
De nombreuses incertitudes
La transition politique, sociale et économique du Kazakhstan est-elle réellement en cours ? Si la population kazakhstanaise semble prête à développer un nouveau modèle de gouvernance et de société, du moins dans les milieux urbains, la transition politique ne semble pas encore complètement valider ces perspectives. L’ancien président conserve la majorité des pouvoirs et, si Tokaïev est un fin diplomate, il semble complexe de s’émanciper de l’ombre de son prédécesseur. La première mesure du nouveau président a consisté à rebaptiser Astana en Noursoultan, sans référendum ni réel soutien de la part de la population. Dans ce contexte, les élections législatives prévues pour 2021 mériteront une attention particulière. Les maires et les gouverneurs des régions, actuellement nommés par le président, pourraient-ils faire l’objet d’élections, ainsi que le demande une partie de la population ?
Notes
(1) À noter que jusqu’en 1997, la capitale était Almaty (ancienne Alma-Ata), dans le Sud-Est.
(2) I. Ohayon, « La famine kazakhe : à l’origine de la sédentarisation », Violence de masse et Résistance – Réseau de recherche, [en ligne], 2012.
(3) Les « peuples punis » : populations en exil politique.
(4) F. O. Seys, « Les dynamiques démographiques au Kazakhstan, un modèle spécifique depuis l’indépendance », Espace populations sociétés, [en ligne], 2009.
(5) A. Fauve, C. Gintrac, « Production de l’espace urbain et mise en scène du pouvoir dans deux capitales “présidentielles” d’Asie Centrale », L’Espace Politique [en ligne], 2009.
(6) Conférence sur la transition du pouvoir au Kazakhstan, organisée par Novastan à l’INALCO, juin 2019.
(7) OSCE, Kazakhstan, Early Presidential Election, 9 June 2019 : Final Report, publié le 4 octobre 2019 (TdA).
(8) Entretien local, source anonyme, réalisé en avril 2019.
(9) A. Kajboulatova, « Kazakhstan : un rassemblement féministe autorisé pour la première fois », Novastan.org, 3 octobre 2019.
(10) « Strategy Kazakhstan 2050 », discours de Nazarbaïev à la nation, 2012.
(11) Mathieu Duchâtel, « Chine : “Routes de la soie”, une entreprise risquée », Asyalist.com, 13 juillet 2015.
(12) I. Damiani, V. Bachelet, « Représentations géopolitiques sur la Route de la Soie, une étude à l’aide de l’analyse cartographique et du traitement d’images satellites », L’Espace Politique, no 34, 2018-1.
(13) J. Vercueil, « De la Russie à la Chine ? Le basculement énergétique de l’Asie centrale », Mondes en développement, no 169, 2015/1.
Légende de la photo en première page : L’ex-président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev (au centre à gauche), et Kassym-Jomart Tokaïev (au centre à droite), son remplaçant par intérim, participent aux célébrations de Norouz (Nouvel an du calendrier persan) au Kazakhstan, le 21 mars 2019. Deux jours plus tôt, celui qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans démissionnait de la présidence. « Elbasy » (« le père de la Nation ») reste toutefois omniprésent dans la vie politique du pays. (© mfa.gov.kz)
Adrien Fauve, « Beyond ‘Personality Cults’ : Sacralization of Power in Kazakhstan and the Concept of Monarchy », in R. Issacs et A. Frigerio (dir.), Theorizing Central Asian Politics. The State, Ideology and Power, Palgrave Macmillan, 2019.
Julien Thorez, « Le développement de la nouvelle capitale du Kazakhstan, Astana/Nur-Sultan (1998-2018) : croissance, capitalisation et normalisation », Cybergeo : European Journal of Geography, Space, Society, Territory, 2019.