Le 31 octobre 2020, le président ivoirien, Alassane Ouattara (depuis 2011), est reconduit, dès le premier tour, pour un troisième mandat dans un processus électoral entaché de violences et sur fond de changements économiques en attente. Porteur d’espoir après la grave crise de novembre 2010 à mai 2011, l’homme présente une décennie plus tard un bilan nuancé, marqué par la cruciale question de la réforme foncière.
Alors qu’il avait promis de céder la place à son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly (2017-2020), le décès de ce dernier, le 8 juillet 2020, a rebattu les cartes. Après avoir réformé la Constitution, Alassane Ouattara s’est représenté pour un troisième mandat ; le scrutin s’est tenu dans un contexte tendu. Le nombre de victimes et d’incidents est difficile à établir. Mais appels à la violence, discours de haine et désinformations ont accompagné le processus, obligeant plus de 28 800 personnes à quitter leur foyer (dont 15 684 dans les pays voisins, au 19 novembre 2020) par crainte de représailles postélectorales, selon le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR). Si le président a été élu avec 95,3 % des voix et un taux de participation de 53,9 %, l’opposition dénonce des irrégularités et appelle à la désobéissance civile, au risque de bloquer le pays. L’élection d’octobre 2020 rappelle la situation troublée qu’a connue la Côte d’Ivoire une décennie auparavant.
Des promesses à moitié tenues
La réussite de la promesse faite en 2010 d’aboutir à une paix par l’économie est réelle, mais elle est à nuancer. La croissance est de retour (6,9 % en 2019, selon la Banque mondiale), et le taux d’urbanisation est passé de 17,7 % en 1960 à 50,3 % en 2015. Les investisseurs sont revenus, faisant de la Côte d’Ivoire une destination parmi les plus attractives et performantes du continent africain. Mais cette reprise n’a pas résorbé les inégalités : en 2015, 46 % de la population vit avec moins de 1,3 dollar par jour. Les régions rurales ou du nord du pays sont les plus pauvres.
Politiquement, le constat est identique. D’une part, le président est parvenu à dépolitiser les tensions pendant les dix années de son exercice. En novembre 2010, Alassane Ouattara a été élu démocratiquement, mais avec le soutien des forces rebelles contre le président sortant de l’époque, Laurent Gbagbo (2000-2011). Lors de ses deux mandats, il a su les placer au cœur du pouvoir en les intégrant à l’armée. Il a pu ainsi assurer une stabilité et éviter la résurgence de conflits.
Mais, d’autre part, la persistance des violences indique que la question de la réconciliation nationale n’a pas été réglée. Les rivaux ont été écartés de l’arène politique, et le pouvoir a été pratiqué de façon hégémonique. L’absence de renouvellement générationnel dans l’opposition comme dans le système en place marque un blocage des institutions alors que la population aspire au changement. L’élection du 31 octobre 2020 a reproduit d’anciennes rivalités et mis en scène les mêmes acteurs, à l’instar de Henri Konan Bédié, président de 1993 à 1999 et candidat en 2010 et 2020. Tant que le paysage politique ne proposera pas un renouvellement des figures dirigeantes, la résurgence des violences opposant les partisans de chacun des camps risque de se produire à chaque échéance électorale. Ce renouvellement s’avère donc nécessaire pour la réconciliation nationale.
L’enjeu foncier
Une question essentielle reste à résoudre : celle de la propriété foncière. Certaines régions, comme celles autour des villes de Yamoussoukro ou de Tabou, sont agitées par des conflits entre les populations autochtones (ivoiriennes et propriétaires coutumières des terres) et allogènes (étrangères et travaillant les sols). La raison tient à la fin du modèle d’arrangement foncier qui était en vigueur depuis les années 1960 : l’exploitation des terres ne repose pas traditionnellement sur un droit de propriété, mais sur une relation de tutorat entre les Ivoiriens, accordant un permis d’exploitation, et les étrangers travaillant la terre.
Nombre de ces arrangements sont remis en cause, notamment par une partie de la jeunesse qui, installée en ville et revenant dans le village d’origine à la suite d’une perte d’emploi ou d’une fin de scolarité, réclame les terres. La loi de 1998 imposant l’établissement d’un certificat de propriété pour éviter ces conflits n’est que peu respectée ; en 2018, seulement 4 % des terres rurales recensées bénéficient d’un tel document. Si l’une des promesses d’Alassane Ouattara en 2011 était de mettre fin aux différends fonciers en renforçant l’application de la loi, elle reste lettre morte.
Au regard du poids de l’agriculture dans l’économie ivoirienne (19,8 % du PIB en 2018, selon la Banque mondiale) et de son importance pour la stabilité sociale, la question foncière est un élément clé non seulement pour comprendre une partie des violences dans le pays, mais aussi pour tenter de les stopper. Ainsi, tout en faisant resurgir des tensions politiques anciennes, la réélection d’Alassane Ouattara a remis en lumière des problématiques identitaires et foncières non résolues et pourtant majeures pour la stabilité à long terme de la Côte d’Ivoire.
Carthographie de Laura Margueritte.