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Le VBCI : un guerrier sans nom

Ce qui deviendra le VBCI aurait pu être un projet multinational. À la fin du mois d’avril 1998, la constitution du consortium ARTEC sous l’égide des firmes allemandes Rheinmetall (64 %) et KMW 36 % est annoncée. Ce consortium devait définir le cahier des charges, développer et produire le futur véhicule de combat d’infanterie à huit roues motrices commun à l’Allemagne (GTK – Gepanzerte transport kraftfahrzeug), au Royaume-­Uni (MRAV – Multirole armoured vehicle) et à la France (VBM – Véhicule blindé modulaire). Paris entendait en effet remplacer sa flotte d’AMX‑10P introduits au début des années 1970.

En raison de profondes divergences concernant les options et l’emploi du futur véhicule, la France et le Royaume-­Uni quittent le consortium ARTEC en 2003, l’obligeant à se réarticuler. Laissée seule, l’Allemagne est rejointe par les Pays-Bas qui se lancent alors dans le programme Boxer avec le succès mondial qu’on lui connaît actuellement. Pour sa part, le Royaume-­Uni débute son programme FRES (Future rapid effect system) sur châssis chenillé et, comble d’ironie, commandera 508 Boxer fin 2018. La France de son côté avait dès 1994, par le biais du GIAT (Groupement industriel de l’armement terrestre), qui deviendra par la suite Nexter, développé un véhicule expérimental : le Vextra. Équipé de huit roues motrices et d’une transmission en « H », il s’inscrivait parfaitement dans le cadre du projet d’ARTEC et fut suivi en 1995 par le prototype proposé par Renault véhicules industriels (RVI) : le X8A.

Finalement, 100 % français

Après le retrait français d’ARTEC, la DGA (Délégation générale de l’armement) lance un nouvel appel d’offres qui est aisément remporté par GIAT avec un nouveau véhicule désigné L8 et développé en collaboration avec RVI. Afin de faciliter la communication entre les deux entités, un nouveau consortium franco-­français est formé : « Satory véhicules militaires », avec lequel la DGA signe le 6 novembre 2000 un contrat portant sur l’acquisition de 700 exemplaires – ramené à 628 après la promulgation de la loi de programmation militaire 2014-2019. Pour d’obscures raisons, les instances militaires décident que le nouveau véhicule ne sera pas baptisé et qu’il sera désigné par l’abréviation de la catégorie de véhicules à laquelle il appartient. Bien que des noms aient été proposés à l’époque sur le blog du CEMAT par mes camarades fantassins – de mémoire « Hoplite », « D’Artagnan » ou « Mousquetaire » –, rien n’y fera, il sera le VBCI (Véhicule blindé de combat d’infanterie).

Ce sigle terne ne se révélera pas être un avantage à l’exportation, car il n’évoque rien, ne renvoie à aucune image, n’honore pas un fantassin et est difficile à prononcer pour des acheteurs étrangers potentiels. La commande française initiale se répartit comme suit : 550 en version VCI et 78 en version commandement. Le contrat stipule que la première tranche devra être constituée de 65 véhicules, dont 54 en version de combat d’infanterie, à 3,6 millions d’euros pièce, et le reste en VPC (Véhicule poste de commandement) à 2,8 millions d’euros l’unité. La première maquette à l’échelle 1 est présentée de manière officielle lors du salon Eurosatory de 2002, et le premier prototype l’année suivante – il sera présenté officiellement en 2004. Lors de la même année, le consortium « Satory véhicules militaires » disparaît au profit du groupement momentané d’entreprises constitué du GIAT, de Renault TD (anciennement RVI, désormais absorbé par Volvo) et de Thales pour l’électronique.

La construction de cinq autres prototypes, dont un VPC, est immédiatement lancée. Les deux premiers sont prêts dès mars 2005 et entament divers essais. Les trois autres seront livrés les mois suivants, le dernier l’étant en septembre 2005. Jusqu’en juillet 2008, ces cinq véhicules vont être soumis à de nombreux essais lors desquels ils vont parcourir au total 50 000 km et tirer 18 000 obus. Le VBCI semble être bien né et la construction des 20 premiers exemplaires de production destinés à l’école d’infanterie, alors à Montpellier, et au centre d’entraînement de Canjuers, est ordonnée. La première tranche comprend 42 VBCI classiques, 12 équipés pour recevoir le missile antichar Eryx et 11 VPC.

La production s’effectue à Roanne chez Nexter Systems, ex-GIAT depuis le 1er décembre 2006, et le rythme est fixé à 10 véhicules par mois. Les 41 premiers exemplaires sont livrés dès 2008 et le reliquat l’année suivante. La livraison de la seconde tranche s’échelonne sur 2009 et 2010. Le premier régiment à percevoir le VBCI est le 35e régiment d’infanterie de Belfort, à partir d’octobre 2008. Les « Gaillards » sont suivis par le 92e RI de Clermont-­Ferrand qui reçoit ses VBCI de septembre 2009 à avril 2010, puis par le 15/2 de Colmar entre octobre 2010 et avril 2011. Le dernier VBCI est livré aux forces françaises le 13 mars 2015. À la suite des retours d’expérience du théâtre afghan, un contrat concernant l’étude de l’amélioration de la protection des 95 derniers exemplaires est signé en décembre 2010 entre la DGA et Nexter. Un nouveau contrat est signé en juin 2013 pour la première tranche de 48 VBCI, dont le poids passe de 29 à 32 t en ordre de combat, et un autre en septembre 2014 pour la seconde tranche de 47 véhicules. Le premier prototype du VBCI modifié est déclaré opérationnel le 24 septembre 2014, et le premier tiers est livré à partir d’avril 2015 aux unités.

La dotation théorique d’un régiment, qui actuellement est loin d’être réalisée, est de 72 VBCI et 14 VBCI antichars Eryx répartis au sein des cinq compagnies de combat à quatre sections de quatre véhicules. Les VPC sont au nombre de 12, à raison d’un par compagnie de combat pour l’officier adjoint, car le commandant d’unité est en VBL2L. Les sept VPC restants sont affectés à l’état-­major régimentaire. Le plan initial était d’équiper huit régiments d’infanterie, mais les cartes vont être redistribuées à partir de 2022 avec la mise en service du Griffon, année durant laquelle seuls les centres d’instruction et d’entraînement et les régiments des brigades blindées conserveront le VBCI : les trois régiments d’infanterie de la 7e brigade blindée (le 35RI, le 15/2 et le 1er tirailleurs d’Épinal) ainsi que ceux de la 2e brigade blindée (le régiment de marche du Tchad de Meyenheim, le 16e bataillon de chasseurs de Bitche et le 92e RI de Clermont-­Ferrand). Tous les autres régiments devraient être dotés du nouveau Griffon.

Difficultés à l’export

Sur le marché de l’exportation, le VBCI ne va pas rencontrer le succès escompté et va connaître de nombreuses déconvenues, bien souvent face aux mêmes adversaires. Dès avril 2009, l’Espagne, souhaitant remplacer ses BMR‑600, envisage l’achat du VBCI. Il sera perdant face au Mowag Piranha V (Dragon) tout comme en 2015 au Danemark (400 exemplaires). En 2012, nouvel échec face au Rabdan 8 × 8 turc dans la conquête du marché émirien (700 exemplaires). En 2014, le VBCI subit son premier échec face au Boxer allemand en Lituanie (88 exemplaires), tout en se faisant également recaler au Liban.

Afin d’être plus incisif à l’exportation, Nexter présente en septembre 2015, lors du salon DSEI à Londres, un modèle expressément destiné à l’exportation, dénommé VBCI 2 ou Mk2, dans lequel 10 millions d’euros ont été investis. La caisse est modifiée avec la relocalisation du poste de pilotage à la place de celui du chef de bord, et il est doté d’une nouvelle motorisation Volvo et surtout d’une tourelle désormais biplace armée du canon CTAI de 40 mm, d’une mitrailleuse légère de 7,62 mm sur affût téléopéré ainsi que de deux rampes de lancement de missiles antichars au choix du client. Le premier acheteur potentiel à se manifester est le Royaume-­Uni dans le cadre de son programme FRES. Une campagne d’essais est menée, à l’issue de laquelle le véhicule ne sera malheureusement pas retenu. En décembre 2017, c’est au tour du Qatar de tester le VBCI 2, après les déboires des BMP‑3 émiriens lors du conflit au Yémen, loin d’avoir donné satisfaction au niveau de la protection. Dans cette compétition, le VBCI 2, qui a de réelles qualités à faire valoir, est opposé au Patria XA380 finlandais qui ne manque pas non plus d’arguments. Bien qu’une lettre d’intention ait été signée le 7 décembre 2017 entre le Qatar et Nexter concernant 490 exemplaires, l’affaire restera sans suite. Malheureusement, le VBCI 2 est victime du vieil adage footballistique : « À la fin, c’est toujours l’Allemagne qui gagne ». Doha opte finalement en décembre 2020 pour le Boxer de KMW, associé à Nexter, qui n’était pas initialement sur la ligne de départ.

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