Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La société japonaise face à de nombreux défis

Depuis plus de 10 ans, la population japonaise ne cesse de décroître. Comment expliquer le déclin démographique du pays ? Quelles sont ses perspectives ?

Depuis 1990, la croissance démographique stagne au Japon. Depuis le premier déclin de la population en 2005, le nombre de Japonais diminue continuellement. Cette progression s’explique d’abord par un taux de vieillissement inédit.

L’espérance de vie des Japonais est au premier rang mondial (83,7 ans). On entend souvent l’expression « le problème 2025 » pour nommer le moment très rapproché où les dankai (les baby-boomers version japonaise) seront tous âgés de 75 ans et plus, représentant ainsi le quart de la population.

Proportionnellement, le taux de vieillissement est plus grave en région, mais il est tout aussi inquiétant à Tokyo, surtout en termes de volume. Le National Institute of Population and Social Security Research (IPSS) estime que la population « super-âgée » du département d’Akita, numéro un selon les proportions, atteindra 31,9 % en 2045 avec 192 000 personnes, alors que celle du département de Tokyo atteindra 16,7 %, avec 2 271 000 personnes.

Le manque de politique sociale entourant l’entrée massive de la femme sur le marché du travail constitue aussi l’un des principaux facteurs du déclin de la population. En plus de gagner un salaire moins élevé que celui des hommes, les femmes sont soumises à une charge additionnelle, devant s’occuper à la fois de leurs tâches professionnelles et familiales. Dans cette optique, le gouvernement a souvent été critiqué pour avoir « trop compté » sur les femmes pour pallier son manque de main-d’œuvre.

Comment le gouvernement japonais répond-il au fait que la population ne se renouvelle plus ? Quelles sont les solutions proposées ?

Pour freiner ou compenser la baisse du taux de population active, le gouvernement a modifié la loi pour repousser l’âge de la retraite de 60 à 65 ans en 2013. Chaque année, il la repousse progressivement de trois mois ; la transition sera achevée en 2025. Aujourd’hui, le Japon veut même repousser l’âge de la retraite à 70 ans. En 1989, l’annonce d’une chute du taux de fécondité à 1,57 enfant par femme a choqué la population. Mais depuis trente ans, le gouvernement n’a pas réussi à corriger le tir. En 2005, ce taux est passé à 1,26 enfant par femme, et il est maintenant à 1,42. En 1994, le gouvernement a mis en œuvre le « Angel Plan » pour aider les couples à avoir des enfants. Ce plan a été renouvelé en 1999, en 2004, et en 2014. Le taux de prestations d’assurance-emploi pour le congé parental est passé d’un maximum de 25 % du salaire à 65 % maximum pendant 180 jours (50 % après). Jusqu’en 2004, seuls les travailleurs réguliers avaient droit à ces prestations. Les hommes n’étaient pas encouragés à s’en prévaloir. Le gouvernement a prolongé la durée des prestations jusqu’à deux ans, en 2017, ce qui est considéré comme un des plans les plus généreux selon l’UNESCO. Seulement 6,16 % des hommes ont bénéficié d’un congé parental en 2019 et la majorité (56,9 %) d’entre eux ont demandé moins de 5 jours de congé.

En règle générale, pour pallier le manque de main-d’œuvre dans une société, on se tourne vers l’immigration, mais le Japon est connu pour son manque de motivation à cet égard. Récemment, le gouvernement a commencé à accepter plus d’immigrants, toutefois sans politiques précises sur le plan des mesures d’intégration sociale. Il a discrètement assoupli les lois sur l’immigration et le nombre de travailleurs étrangers a augmenté. Il s’élevait à 1,46 million à la fin de 2018, et 2,2 % des 67,25 millions de travailleurs au Japon provenaient de l’étranger (1). En fait, le terme « immigration » n’est peut-être pas le mot juste. Du point de vue légal, ce sont des travailleurs étrangers « temporaires », qui incluent un grand nombre de stagiaires en programme de formation dans le secteur industriel. En 2019, dans l’arrondissement de Shinjuku à Tokyo, 45,1 % des seijin (20 ans, l’âge de la majorité) provenaient de l’extérieur du pays. Les 23 arrondissements de Tokyo continuent aussi à attirer la population du Japon, alors que les municipalités en région souffrent de kaso (sur-dépeuplement). Le gouvernement japonais reconnaît la problématique du déséquilibre régional, mais laisse toutefois libre cours à la concentration et à la congestion à Tokyo.

La population qui ne se renouvelle plus engendre un défi évident pour la société en termes de manque de main-d’œuvre. De là, la société 5.0 encourage le télétravail, les véhicules automatisés, etc. Dans l’immédiat, l’introduction de l’automatisation est proposée. Le rapport de 2015 du Nomura Research Institute en collaboration avec l’Université Oxford a démontré que 49 % des emplois japonais pourraient être remplacés par des robots et l’intelligence artificielle en 2035. Cela ouvre de grandes possibilités, mais le gouvernement devra considérer plusieurs facteurs sociaux importants dans ses démarches.

Comment peut-on expliquer le manque de motivation du Japon à recourir à l’immigration ?

Le shogunat Tokugawa (1603-1867) pratiquait une politique dite isolationniste (sakoku) grâce à laquelle le Japon pouvait contrôler l’entrée des étrangers au pays. Sa situation géographique insulaire rendait la chose facile. Créé après la Seconde Guerre mondiale, le mythe d’origine tan’itsu minzoku (la mono-ethnie du peuple japonais) est utilisé de nos jours pour expliquer la réussite économique ou le faible taux de criminalité, bien qu’il soit critiqué par certains, comme l’ancien Premier ministre Nakasone (1982-1987).

Au cours des dernières années, le processus d’obtention de la citoyenneté s’est assoupli, mais il reste que les critères de sélection sont élevés (comme la nécessité d’avoir résidé au pays pendant plus de dix ans). Aujourd’hui, la plupart des nouveaux citoyens japonais ne sont pas issus de l’immigration, mais bien d’une résidence permanente spéciale (ressortissants étrangers qui se sont installés au Japon avant la Seconde Guerre mondiale) ; ce sont donc majoritairement des personnes d’origine coréenne de troisième génération, fortement intégrées dans la société japonaise.

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