Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

À l’ère de la Covid-19, l’affirmation de la diplomatie chinoise des « loups guerriers »

Car la maîtrise du narratif est essentielle aux yeux des autorités chinoises : il en va à la fois de la stabilité politique et sociale du régime en interne et de la crédibilité de son image de puissance responsable et inébranlable à l’extérieur. La ligne narrative officielle vise à présenter les efforts déployés par la Chine sous un jour triomphal, affirmant qu’ils ont permis à la communauté internationale de gagner un temps précieux pour se préparer à la crise. Ce succès autoproclamé se veut la preuve de la supériorité du modèle chinois. Lors d’un discours en octobre 2020, Xi Jinping affirme que les « réussites stratégiques majeures dans la lutte contre la Covid-19 » démontrent « les avantages notables du leadership du PCC et du système socialiste du pays » (7).

Ce discours triomphant vise directement les démocraties occidentales et leur gestion de la crise sanitaire. Alors que la vie à Wuhan semble avoir repris son cours et que Pékin est la seule grande puissance économique à avoir enregistré une croissance positive en 2020, les difficultés rencontrées par les États-Unis et d’autres démocraties occidentales durant la pandémie sont un des arguments que la Chine met en avant pour vanter les mérites de son système autoritaire. Elle le fait parfois sur un mode narquois, ainsi que l’illustre une série de tweets du compte de l’ambassade de Chine en France : « Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! » (8).

Soucieuse de maîtriser l’image qu’elle projette, la Chine s’emploie à marteler l’efficacité de son modèle politique. Toutefois, le triomphalisme affiché par la diplomatie chinoise est loin de convaincre l’ensemble de la communauté internationale. Le bilan de la diplomatie du masque est médiocre, celle-ci étant perçue dans de nombreux pays comme une campagne de propagande peu subtile. D’autre part, la communication nationaliste et agressive des diplomates chinois durant la crise pandémique n’a pas eu les résultats escomptés, apparaissant contre-productive et ne servant qu’à braquer contre Pékin les publics étrangers.

La pandémie semble ainsi avoir constitué un point de basculement. L’activisme de la diplomatie chinoise face au défi posé par la crise sanitaire a visé à minimiser le rôle joué par la Chine dans la propagation du virus, et à promouvoir, de manière souvent agressive, une version des faits où Pékin joue le rôle de grande puissance responsable. Pékin a cherché à profiter de cette crise pour promouvoir une reconfiguration de la hiérarchie discursive au sein de l’ordre international à son avantage, sans grand succès.

Quelles perspectives pour la diplomatie chinoise post-Covid ?

Malgré son caractère plutôt contre-productif, cette nouvelle diplomatie ne semble pas prête à s’infléchir. Des sujets ont émergé dans l’année écoulée qui ont suscité des réactions courroucées de la part des diplomates chinois. Contribuant à détériorer davantage l’image internationale de Pékin, les révélations sur le traitement de la minorité ouïghoure au Xinjiang ou encore la dégradation de la situation politique à Hong Kong sont un contrepoint délétère à l’image bienveillante que les autorités chinoises cherchent à diffuser. Ces sujets, devenus des enjeux internationaux largement relayés auprès des publics étrangers, ont constitué le cheval de bataille de nombreux diplomates « loups guerriers » au cours des derniers mois. Sur Twitter, les comptes diplomatiques s’emploient à lutter, de manière parfois erratique, contre les « allégations de “génocide” et de “travail forcé” au Xinjiang » qui sont les « mensonges du siècle », selon une publication de Zhao Lijian [porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères] (9).

Enfin, l’approche d’échéances hautement symboliques comme le centenaire du PCC en juillet 2021 ou encore le XXe Congrès du PCC à l’automne 2022 rendent difficilement envisageable un infléchissement de la diplomatie chinoise. En effet, la légitimité politique de Xi Jinping — et plus largement celle du PCC — repose en partie sur sa capacité à tenir tête aux critiques et à défendre haut et fort les intérêts nationaux. Exalter la victoire de la Chine dans sa guerre contre l’épidémie et continuer à tenir tête à une Amérique dont la nouvelle administration semble disposée à maintenir une ligne dure vis-à-vis de Pékin, sont deux défis qui vont peser dans l’approche diplomatique de la Chine à court et moyen terme.

Les développements qui surviennent au printemps 2021 illustrent la crispation des relations entre la Chine et les pays occidentaux. En mars 2021, le sommet d’Anchorage en Alaska, qui a réuni le secrétaire d’État et le conseiller à la sécurité nationale américains d’un côté et les deux plus hauts diplomates chinois, Yang Jiechi et Wang Yi de l’autre, a donné lieu à des échanges exceptionnellement tendus. Les déclarations particulièrement acerbes des deux hauts responsables chinois ont mis en lumière toute l’animosité qui teinte actuellement les relations sino-américaines. Mais l’escalade des tensions ne se limite pas aux relations de Pékin et Washington. Elle semble aujourd’hui prendre une dimension proprement occidentale, comme l’illustrent la décision de l’Union européenne, le 22 mars 2021, de sanctionner quatre dirigeants chinois pour leur rôle dans la politique de répression de la minorité ouïghoure mise en œuvre par la Chine dans le Xinjiang, et l’adoption de mesures similaires par le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. La réplique de Pékin, qui a surenchéri avec des sanctions visant entre autres quatre organisations et dix personnalités européennes, reflète sa volonté de riposter coup pour coup et de ne pas céder un pouce de terrain face aux pays occidentaux. À la lumière de ces évènements, la perspective d’un assouplissement de la posture chinoise semble peu probable. Bien plutôt, ils confirment la nette dégradation des relations entre Pékin et l’Occident, et la tendance au raidissement de la diplomatie chinoise post-Covid-19.

Notes

(1) Hua Chunying [@SpokespersonCHN], Twitter, 1er septembre 2020 (https://​twitter​.com/​S​p​o​k​e​s​p​e​r​s​o​n​C​H​N​/​s​t​a​t​u​s​/​1​3​0​0​8​1​5​7​4​7​3​5​5​0​8​2​752)

(2) « Allocution de l’ambassadeur Lu Shaye à l’occasion du Dialogue sur la Chine et le monde d’après la COVID-19 », site officiel de l’ambassade de Chine en France, 12 juin 2020 (http://​www​.amb​-chine​.fr/​f​r​a​/​z​f​z​j​/​t​1​7​8​8​1​3​5​.​htm).

(3) « Xi Jinping prononce un discours important lors de la cérémonie d’ouverture d’un cursus de formation pour les cadres de l’École Centrale du Parti » (习近平在中央党校(国家行政学院)中青年干部培训班开班式上发表重要讲话), site officiel du gouvernement de la RPC, 3 septembre 2019 (http://​www​.gov​.cn/​x​i​n​w​e​n​/​2​0​1​9​-​0​9​/​0​3​/​c​o​n​t​e​n​t​_​5​4​2​6​9​2​0​.​htm).

(4) « Chinese official in hot water after branding Sweden “lightweight” », Euronews, 19 janvier 2020 (https://​www​.euronews​.com/​2​0​2​0​/​0​1​/​1​9​/​c​h​i​n​e​s​e​-​o​f​f​i​c​i​a​l​-​i​n​-​h​o​t​-​w​a​t​e​r​-​a​f​t​e​r​-​b​r​a​n​d​i​n​g​-​s​w​e​d​e​n​-​l​i​g​h​t​w​e​i​ght).

(5) « Chine : le libraire dissident Gui Minhai condamné à 10 ans de prison », Reuters, 25 février 2020 (https://​www​.reuters​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​c​h​i​n​e​-​s​u​e​d​e​-​i​d​F​R​K​C​N​2​0​J​0KL).

(6) « China, Taiwan spar over Chinese diplomat’s invasion threat », Reuters, 11 décembre 2017 (https://​www​.reuters​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​u​s​-​c​h​i​n​a​-​t​a​i​w​a​n​-​u​s​a​-​i​d​U​S​K​B​N​1​E​5​06A).

(7) « Xi Focus : China holds meeting to commend COVID-19 fight role models », Xinhua, 8 septembre 2020 (http://​www​.xinhuanet​.com/​e​n​g​l​i​s​h​/​2​0​2​0​-​0​9​/​0​8​/​c​_​1​3​9​3​5​2​9​8​9​.​htm).

(8) « Systèmes politiques et lutte contre l’épidémie : le grand dilemme », site officiel de l’ambassade de Chine en France, 28 mars 2020 (http://​www​.amb​-chine​.fr/​f​r​a​/​z​f​z​j​/​t​1​7​6​2​8​4​8​.​htm).

(9) Zhao Lijian [@zlj517], Twitter, 25 février 2021, https://​twitter​.com/​z​l​j​5​1​7​/​s​t​a​t​u​s​/​1​3​6​4​8​6​8​6​0​3​0​2​4​0​5​6​320

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°62, « Chine : Géopolitique, Géoéconomie, Géostratégie », Juin – Juillet 2021.

Marc Julienne et Sophie Hanck, « Diplomatie chinoise : de l’“esprit combattant” au “loup guerrier” », Politique étrangère, printemps 2021.

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