Une seconde série de moyens relève au contraire de la contrainte et de l’infiltration. Il ne s’agit plus dès lors de susciter l’adhésion ou la sympathie mais de faire plier ou de tromper. J’ai mentionné plusieurs manifestations de ces stratégies mais revenons sur certains cas. Durant les manifestations hongkongaises de 2019, Daryl Morey, alors directeur général des Houston Rockets, une équipe de la National Basketball Association (NBA) américaine, a retweeté une image sur laquelle était écrit : « Fight for freedom, stand with Hong Kong ». La sanction du PCC a été immédiate et d’autant plus forte que la franchise de Houston a accueilli de 2002 à 2011 la star du basket chinois, Yao Ming, et qu’elle est la seconde équipe préférée du public chinois. Par mesure de rétorsion, les partenaires chinois de la NBA ont suspendu leurs liens avec la ligue de basket américaine. Les excuses de Daryl Morey n’ont pas suffi à calmer l’ire de Pékin et les médias chinois ont annoncé qu’aucun match de la pré-saison ne serait diffusé sur leurs antennes. Les matchs de la NBA ont pu être à nouveau diffusés sur les chaînes chinoises le 10 octobre 2020, après un an de purgatoire, mais les raisons du retour en grâce de la NBA ne sont pas connues. Les médias chinois ont déclaré que la NBA avait fait preuve de « bonne volonté continue » et manifesté son soutien à la Chine dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Ces stratégies ne sont pas toujours déployées directement et passent parfois par des intermédiaires (individus, associations, entreprises) qui favorisent une posture de déni. Le PCC a ainsi développé des liens avec des think tanks qui servent de relais pour diffuser les récits chinois. On peut identifier trois cas de figure : les partenaires ponctuels servant de caisse de résonance sur les marchés des idées locaux (comme le fait l’IRIS en France avec son « Forum de Paris sur l’initiative “la ceinture et la route” », co-organisé avec l’ambassade de Chine), les alliés de circonstance qui travaillent avec le Parti de manière régulière (comme le fait, en France également, la Fondation Prospective et Innovation dirigée par Jean-Pierre Raffarin) et les complices qui partagent avec le PCC une vision commune du monde et dont les intérêts sont convergents (comme l’Institut Schiller). Ces acteurs constituent un élément essentiel dans le dispositif des opérations d’influence chinoises.
Si le PCC use donc d’un répertoire large, un certain nombre de contradictions entre les stratégies de séduction et de contrainte se font jour, qui pourraient imposer le choix d’une ligne plus nette.
Comment se manifeste la stratégie informationnelle chinoise en Asie et ailleurs ?
Le PCC mène des opérations d’influence dans son environnement immédiat et en particulier à Taïwan et Hong Kong depuis fort longtemps. Mais depuis quelques années, on observe tout à la fois un accroissement rapide du volume des opérations menées, une diversification des moyens mobilisés, ainsi que la complexification et l’expansion géographique des opérations. Cela signifie deux choses : d’abord que nous serons vraisemblablement amenés à connaître, en France, le même type d’opérations que celles, très dures, lancées aujourd’hui sur le sol australien ; ensuite, que la compréhension de ces opérations (doctrines, modi operandi, effets) est un enjeu colossal. En définitive, c’est une image probable de notre avenir que nous pouvons entrevoir en Australie et à Taïwan. Nous aurions tort de ne pas en tenir compte.
En juillet 2020, Washington annonçait la fermeture du consulat chinois de Houston, « nœud central des opérations d’influence du Parti communiste aux États-Unis », « afin de protéger la propriété intellectuelle des Américains ». Quelle est la réalité des opérations menées depuis ce consulat sur le sol américain ?
En l’espèce, il ne s’agit plus d’influence mais d’espionnage. Le nombre de cas judiciarisés, formidable matière pour les chercheurs qui s’intéressent au renseignement chinois, révèle, notamment aux États-Unis, un espionnage scientifique, économique et politique massif. Mais il faut toutefois préciser que cet espionnage n’est pas toujours le fait du Parti, de l’État ou de l’armée, mais peut être aussi conduit par des acteurs privés aux motivations variables. Dans le cas de Houston, il est particulièrement malaisé d’évaluer de l’extérieur le rôle du consulat dans le dispositif chinois, tant les États-Unis ont donné peu d’informations à ce sujet. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement américain a fait des opérations d’influence chinoises un enjeu capital, la Chine devenant ainsi l’une des missions majeures de ses services de renseignement. Les déclarations récentes de la directrice du Renseignement national (DNI), Avril Haines, sont assez révélatrices sur ce point et montrent que le consensus est bipartisan.
Propos recueillis par Léa Robert le 28 avril 2021.
Notes
(1) La chercheure néo-zélandaise Anne-Marie Brady, qui travaille sur l’influence chinoise, a ainsi été menacée et cambriolée (https://www.theguardian.com/world/2019/jan/23/im-being-watched-anne-marie-brady-the-china-critic-living-in-fear-of-beijing).
(2) https://www.lefigaro.fr/international/les-confidences-de-la-plume-mystere-au-service-de-la-chine-20210402
(3) Une entreprise de gestion de bases de données au profit du pouvoir.
Légende de la photo en première page : Siège de la télévision centrale de Chine (CCTV) à Pékin, auquel appartient le réseau CGTN (China Global Television Network) qui rassemble les chaînes internationales du groupe de média et qui couvrirait plus de 160 pays et régions du monde. Considérée par les États-Unis comme une « mission diplomatique à l’étranger », CGTN a été bannie du Royaume-Uni en février 2021, accusée de faire de la propagande. Elle a depuis déménagé en France d’où elle émet ses programmes à destination des Européens. (© Shutterstock)