Pour ce qui est du hardware, la situation n’est guère plus brillante. Concernant l’avionique et les systèmes embarqués, la mise au Block 4 repose sur le Tech refresh 3 (TR3). Cette mise à jour matérielle des composants internes de l’appareil concernera tous les F‑35 produits après 2023, et sera installée en rétrofit sur les appareils déjà livrés. En tous cas pour les plus récents d’entre eux, puisque plusieurs centaines des plus vieux appareils ne seront tout simplement pas compatibles avec le TR3, et donc avec le Block 4. De plus, certains défauts structurels identifiés sur l’ensemble de la flotte pourraient, tout simplement, ne jamais être traités. Sur le F‑35A, les problèmes de vibrations causés par le canon interne pourraient être « résolus » en limitant l’usage de ce dernier. De même, pour réduire les dommages causés par l’usage de la postcombustion sur la structure arrière des F‑35B et C, il a été simplement décidé de restreindre le domaine de vol supersonique de ces appareils… Et face aux pressions politiques souhaitant voir la production à pleine cadence commencer aussi vite que possible afin de conserver les emplois industriels, le risque est grand de voir d’autres défauts de l’appareil, y compris des failles de cybersécurité, être traités de la même manière, en révisant à la baisse les ambitions contractuelles sans réelle résolution technique.
Maintenance et disponibilité : vers une éclaircie ?
Ces réductions des ambitions contractuelles ont d’ailleurs déjà été mises en place dans le cadre de la maintenance de l’appareil. Le Pentagone a ainsi accepté un avenant au contrat de maintenance qui double les délais de réparation du F‑35. De quoi soulager la pression sur Lockheed Martin, mais au prix d’importants surcoûts liés à la maintenance, et d’une disponibilité de l’appareil fortement revue à la baisse.
Malgré tout, certaines améliorations ont été constatées ces deux dernières années, notamment en ce qui concerne la production des pièces détachées, dont la pénurie avait cloué au sol un tiers de la flotte de F‑35, ou encore le taux de pannes en vol. Pour réduire encore les problèmes de maintenance de l’appareil, le Pentagone a annoncé en janvier 2020 que le système de gestion logistique intégré ALIS (Autonomic logistics information system), véritable échec technique et financier (3), allait disparaître au profit du nouveau système ODIN (Operational data integrated network), prévu pour 2022. Basé sur un cloud cybersécurisé, ODIN doit être capable d’anticiper les besoins logistiques de chaque unité en fonction de son activité et de sa zone de déploiement, mais également de mettre à jour et de charger les bibliothèques de menaces électroniques avant chaque vol.
Malheureusement, le dernier rapport du DOT&E tire la sonnette d’alarme, rappelant que de nombreuses erreurs commises par Lockheed Martin dans la conception d’ALIS semblent se répéter avec ODIN, dont le développement a été temporairement stoppé en raison de dépassements de budget.
Finalement, alors que les ambitions de disponibilité de l’appareil n’étaient déjà, de base, guère impressionnantes, le rapport 2020 du Département de la défense (DoD) rappelle que les objectifs pour l’ensemble de la flotte n’ont toujours pas été atteints dans la durée, ni pour le taux de sortie, ni pour la capacité à remplir au moins une mission (mission capable), et encore moins pour la capacité à remplir toutes les missions prévues (fully mission capable). Cette dernière capacité, qui demande que tous les sous-systèmes de l’avion soient fonctionnels, est particulièrement difficile à atteindre en raison du manque de modularité de celui-ci. Ainsi, les systèmes de guerre électronique ou de désignation laser étant intégrés à la cellule de l’appareil, plutôt que dans des nacelles amovibles, la moindre panne d’un des composants peut entraîner son indisponibilité partielle ou totale.
Combien coûte le F‑35 ?
L’indisponibilité impactant le taux de sortie, une force aérienne se doit donc de surdimensionner sa flotte pour répondre à un objectif opérationnel précis, augmentant d’autant les coûts d’achat et de possession de son parc de F‑35, qui restent encore aujourd’hui difficiles à évaluer. Depuis une dizaine d’années, la communication de Lockheed Martin, répercutée par la presse américaine, ne cesse de rappeler que le prix du F‑35 est largement en baisse. La réalité est cependant plus nuancée, puisque le dernier rapport bisannuel du département des acquisitions de l’USAF montre que le coût unitaire du F‑35A, développement inclus, est aujourd’hui de 130 millions de dollars, contre 134 millions en 2012.
Le prix sur étagère, hors développement, s’établit autour de 80 millions de dollars pour le F‑35A, soit légèrement moins que pour les appareils concurrents. Mais là où le prix « fly away » d’un F‑15EX, d’un Rafale ou d’un Typhoon porte réellement sur un avion prêt à voler, le F‑35 nécessite de nombreux investissements annexes pour réellement fonctionner, allant de l’abonnement au service ODIN jusqu’aux équipements de soutien au sol, en passant par les coûteux simulateurs nécessaires pour pallier l’absence de F‑35 biplace. Les retards, surcoûts et limitations opérationnelles de l’appareil poussent également les forces américaines (et certains clients étrangers) à se doter de solutions palliatives, comme l’Eagle II ou le Super Hornet Block III, dont les factures ne se retrouveront pas sur la ligne comptable du F‑35. En fin de compte, le F‑35 s’inscrivant au sein d’un système intégré complexe, la notion même de prix « fly away » n’a plus vraiment de sens, en tous cas pas dans une optique de comparaison.
Mais outre les coûts d’acquisition, ce sont réellement ceux d’exploitation du F‑35 qui s’avèrent problématiques à long terme. Si Lockheed Martin promet que le coût à l’heure de vol du F‑35 s’établira à 25 000 dollars en 2025, le DoD table plutôt sur 34 000 dollars en 2024, contre 44 000 dollars aujourd’hui. Un prix toujours nettement supérieur à ceux du F‑16 ou du F‑15 et qui, sur l’ensemble de la carrière du F‑35, entraînerait un surcoût budgétaire qui se compterait en centaines de milliards de dollars. Le chef d’état-major de l’USAF a ainsi confirmé que les coûts d’exploitation du F‑35 rendaient impossible le format à 386 escadrons de combat planifié en 2018, et qu’ils limitaient les ressources disponibles pour le développement du NGAD.
Le fiasco du C2D2
Enfin, il est impossible d’aborder le sujet des coûts du F‑35 sans s’attaquer à l’épineuse question du Block 4, destiné à enfin doter le F‑35 de l’ensemble des capacités opérationnelles prévues à l’origine du programme. En 2018, face aux retards pris, le DoD décidait de développer le nouveau Block 4 via le Continuous capability development and delivery (C2D2), inspiré de la méthode Agile utilisée en ingénierie logicielle. Plutôt qu’une unique mise à jour du Block 3F vers le Block 4, le C2D2 devait permettre, deux fois par an, d’implémenter des mises à jour contenant à la fois de nouvelles fonctionnalités du Block 4 et des correctifs des défauts rencontrés sur le Block 3F. Ce qui n’est pas sans compliquer la tâche du DOT&E, qui rapporte que le C2D2 s’est avéré être un échec complet : la première mise à jour a nécessité treize mois de travail au lieu de six prévus, et douze élaborations de logiciels, au lieu des quatre envisagées.