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Les corvettes de la classe Steregushchiy et variantes : la base de la flotte russe de demain ?

Avec un nom des plus difficiles à prononcer pour qui ne maîtrise pas les rudiments de la langue russe, les corvettes de la classe Steregushchiy (1) (Izd.20380) sont des navires sur lesquels on s’attarde peu comparativement à d’autres classes plus médiatisées, bien qu’ils soient symboliques des changements politiques et doctrinaux par lesquels est passée la marine russe (VMF) depuis l’effondrement de l’URSS. De plus, ils ont montré leur grande capacité d’évolution puisque deux autres classes de corvettes vont être dérivées de celle‑ci.

La création des corvettes de la classe Steregushchiy vient en réponse à plusieurs contraintes qui sont à la fois techniques, financières et doctrinales. D’un point de vue technique, la construction navale russe n’est pas la construction navale soviétique : la perte des grands chantiers navals ukrainiens, celle des capacités de production de turbines à gaz ainsi que la disparition rapide de nombreux fournisseurs composant la chaîne logistique font que le pays a rapidement perdu sa capacité à produire des navires militaires de grandes dimensions. De plus, outre les questions budgétaires évidentes (le budget militaire russe des années 1990 ne représentait qu’une infime fraction du budget militaire soviétique), des questions doctrinales ont eu une influence importante sur les projets de la jeune marine russe. La politique de présence régulière dans la zone océanique (blue water navy) encouragée par l’amiral Gorshkov est mise entre parenthèses au profit d’une politique de présence dans les zones littorales et côtières (green water navy) permettant notamment d’assurer la protection des approches des bastions d’où partent les sous-­marins chargés de la dissuasion nucléaire.

Ces changements vont donc impacter pour plus d’une vingtaine d’années les programmes de construction destinés à la marine russe ; les unités mises sur cales vont en priorité être des navires dimensionnés pour être employés dans les zones proches avec une capacité marginale à être également déployés en haute mer. Conçue pour remplacer les « petits navires d’artillerie (2) » (dans la classification russe) de la classe Grisha (Projet 1124/1124M, code OTAN : Albatross) et pour pallier l’abandon du projet 12441 Novik (3) tout en offrant des performances significativement accrues par rapport aux Grisha, une nouvelle classe de corvettes polyvalentes va voir le jour : ce sera la classe Steregushchiy dont le développement sera lancé dans le courant des années 1990.

Izd.20380 Steregushchiy : la base

Dessinée par le bureau de design TsMKB Almaz (4) de Saint-Pétersbourg, spécialisé en navires de dimensions moyennes, la nouvelle classe de corvettes Steregushchiy (5) d’un déplacement normal de 1 800 t (2 400 t au maximum) doit répondre à trois missions de base : lutte anti-sous-­marine et anti-­surface en zones littorales, appui-­feu durant les opérations des forces amphibies et enfin blocus. Pour ce faire, les ingénieurs ont travaillé à doter cette classe de navires d’un armement polyvalent et équilibré tout en faisant appel à une forte automatisation pour réduire la taille de l’équipage (6) au minimum nécessaire.

Construites autour d’une coque en acier d’une longueur de 104,5 m, d’une largeur maximale de 13 m et divisée en neuf compartiments étanches, ces corvettes ont bénéficié d’un important travail sur leur hydrodynamique permettant d’améliorer leurs performances en matière de vitesse et d’endurance ainsi que de tenue à la mer. La chaîne cinématique est composée de deux ensembles DDA‑12000 (CODAD) (7) comprenant chacun deux moteurs Diesel 16D49 (8) (donc quatre au total), produits par Kolomna.

Chaque ensemble est couplé à un réducteur, le tout entraînant deux lignes d’arbre sur lesquelles sont installées une hélice à pas fixe comprenant cinq pales. L’ensemble, qui développe 23 320 ch, permet d’atteindre une vitesse maximale de 27 nœuds et offre une autonomie maximale de 4 000 milles marins en marche économique à 14 nœuds (9). Enfin, quatre générateurs ADG‑630K de 630 kW chacun assurent la production électrique à bord des navires.

La superstructure des Steregushchiy est construite en matériaux composites et présente des lignes générales visant à réduire leur détectabilité. Ces bâtiments tranchent complètement avec leurs prédécesseurs datant de l’époque soviétique, ce qui est visible au niveau de la mâture radar qui concentre les principaux radars embarqués : Furke‑2 (radar 3D pour la détection des cibles de surface et aériennes), 5P‑20K Monument‑A (radar de ciblage), 5P‑10 Puma‑02 (pour l’artillerie), MR‑231‑2 et Pal‑N (pour la navigation) et système électro-optique MTK‑201. De plus, les Steregushchiy disposent d’un sonar hydroacoustique Zarya‑2 installé dans le bulbe d’étrave, couplé aux sonars remorqués Minovatr‑M (puis Vinyetka‑M) et Anapa‑M, la protection des navires est assurée par le système TK‑25 couplé aux lance-leurres thermiques PK‑10. L’ensemble des capteurs est géré par le système Sigma‑20380, ce dernier étant remplacé par le Sigma‑20385‑1 (10) qui, comme son nom l’indique, est identique à celui des corvettes Gremyashchiy à partir de la corvette « Héros de la Fédération de Russie Aldar Tsidenzhapov ». Ce nouveau système de combat est lié au remplacement de la mâture originelle des corvettes Steregushchiy, qui récupèrent une nouvelle mâture radar intégrée équipée de radars AESA à surfaces planes dérivée de celle équipant les corvettes Gremyashchiy.

L’armement embarqué est adapté aux missions de base des Steregushchiy. La lutte antinavire de surface est prise en charge par le système Uran comprenant deux lanceurs quadruples KT‑184 mettant en œuvre huit missiles Kh‑35U pouvant atteindre des navires de surface jusqu’à 260 km, et un canon A‑190 de 100 mm approvisionné à raison de 332 obus est implanté sur la plage avant. La lutte antiaérienne est couverte par le système SAM 3K96 Redut composé de douze cellules verticales 3S97 situées sur la plage avant et mettant en œuvre les missiles 9M96 (12 missiles) ou 9M100 (48 missiles). La lutte anti-torpilles et anti-sous-marine est assurée par le système Paket‑NK (11), tandis que la protection rapprochée est couverte par deux systèmes AK‑630M disposant d’un canon hexatube de 30 mm ainsi que par des supports pour mitrailleuses lourdes de 14,5 mm. Enfin, un hangar et un pont pour hélicoptère Ka‑27 (et variantes) sont installés à la poupe du bâtiment.
L’unité tête de série baptisée Steregushchiy est mise sur cale le 21 décembre 2001 au sein du chantier naval Severnaya Verf de Saint-­Pétersbourg avant d’être mise en service le 28 février 2008 au sein de la Flotte de la Baltique. La mise au point a été délicate puisque la chaîne cinématique a posé de gros problèmes de fiabilité, tout comme le fut le développement du système 3K96 Redut qui a nécessité l’installation du Kortik‑M (bien moins performant) sur la tête de série.

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