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Le service en orbite dans la nouvelle course à l’espace. De la réparation de satellites à l’exploitation des ressources spatiales

Mais les possibilités ne se limitent pas à l’exploitation in situ des ressources. Dans un avenir proche, l’assemblage en orbite lunaire de la station spatiale Gateway (11), censée prendre la relève de l’ISS, va poser de nombreux défis. La société canadienne MDA, connue pour son bras articulé Canadarm, qui a notamment participé à l’assemblage de la station spatiale internationale, est désormais mandatée pour développer une version similaire adaptée à la Gateway. Principal défi : l’intermittence des communications entre la Terre et l’orbite lunaire. Pour répondre à cette problématique, MDA prévoit de développer un bras plus automatisé, et dont les capteurs pourront travailler en autonomie. Le service en orbite pourrait trouver une véritable utilité pour les programmes cislunaires dès lors qu’il intégrera des notions poussées d’intelligence artificielle (12). Justement, les progrès sont importants dans ce domaine. Ainsi, le service en orbite basse ou géostationnaire est une étape qui permettra d’amener beaucoup plus loin les possibilités en matière d’assemblage, d’habitation et d’exploitation des corps célestes.

Face à la multiplication des acteurs, quel environnement normatif ?

L’environnement du service en orbite est encore très récent. Selon le rapport Global Trends in On Orbit Servicing, Assembly and Manufacturing publié en mars 2020 par le centre de recherche du gouvernement américain Science & Technology Policy Institute, plus de 100 entités dans 26 pays participent de près ou de loin au développement du service en orbite. Aux États-Unis, 80 % des projets sont guidés par des industriels. Tandis qu’en Europe et en Russie la dynamique est plus équilibrée, en Chine, la totalité des projets sont poussés par le gouvernement. De la multiplicité de ces approches résulte un enjeu normatif, dont l’objectif est de converger vers des standards internationaux.

Une course aux normes, et aux standards iso-pratiques

Northrop Grumman a annoncé que son MEV pourrait s’arrimer à 80 % des satellites géostationnaires (13). Il en résulte de travaux de R&D, conduits sur la base de l’architecture générique de bus de satellites de télécommunication, pour certains conçus dans les années 1990. Demain, l’objectif sera de mettre en orbite un seul et même format de point de contact sur chaque satellite. En effet, à ce jour, il n’existe pas d’architecture standard, de normes ISO, ou de réglementation internationale. Outre l’architecture, pour être réglementaire aux États-Unis, le MEV de Northrop Grumman a dû recevoir une autorisation de la Federal communications commission (FCC) pour obtenir sa plage de fréquence, mais également de la National oceanic and atmospheric administration (NOAA) pour obtenir sa licence de télédétection, étant donné qu’il est équipé d’une caméra.

Pour répondre à ces enjeux et faciliter les mises en exploitation, plusieurs organisations internationales tentent de faire émerger des normes reconnues par l’ensemble des acteurs. Le Consortium execution of rendezvous and servicing operations (CONFERS), créé à l’initiative des États-Unis, rassemble une quarantaine d’industriels du monde entier autour de la thématique du service en orbite et du rendez-­vous de proximité et vise à proposer un ensemble de bonnes pratiques censé dynamiser ce domaine naissant. On retrouve entre autres parmi ses membres Northrop Grumman, Thales Alenia Space, Airbus, Axa, Maxar ou Lockheed Martin. Bien que le CONFERS revendique une autonomie par rapport aux institutions publiques – l’accès est ouvert aux industriels ou aux associations dont le financement n’est pas majoritairement issu d’un État –, il a été fondé sous l’impulsion de la Defense advanced research projects agency (DARPA), chargée de la R&D de nouvelles technologies destinées à un usage militaire pour l’armée américaine. Preuve de l’intérêt de la DARPA pour le service en orbite, elle développe actuellement, en partenariat avec Northrop Grumman, son propre véhicule d’inspection, le Robotic servicing geosynchronous satellite (RSGS), dont le lancement est planifié pour 2022.

Selon une dynamique similaire, l’Union européenne s’était rassemblée dans le cadre du programme Horizon Europe H2020 autour du consortium PERASPERA (reprenant la formule latine Ad astra per aspera) dont l’objectif était la mise au point de technologies clés et la démonstration de systèmes robotiques autonomes nécessaires à l’entretien des satellites en orbite et à l’exploration planétaire. Unifié autour d’agences spatiales européennes (14), le consortium PERASPERA proposait un agenda d’abord institutionnel et vraisemblablement scientifique, là où le CONFERS repose sur une approche économique et réglementaire. Après avoir été financé sur la période 2014-2019 à hauteur de 3,5 millions d’euros, le programme a pris fin en septembre 2019, vraisemblablement sans successeur.

Un environnement juridique concurrentiel

Bien qu’il n’existe pas à ce jour de lois nationales ou internationales régissant le service commercial en orbite, ce dernier pourrait être dynamisé par les lois sur l’exploitation des ressources spatiales. En effet, on constate que le Luxembourg et les États-Unis concentrent majoritairement des projets issus du privé. En 2017, le Luxembourg a promulgué une loi qui autorise l’appropriation des ressources spatiales. En 2015, l’Obama Space Act allait déjà dans ce sens, et les États-Unis ont raffermi leurs positions en avril 2020 avec un décret de Donald Trump. Conscients de la raréfaction des financements publics, ces deux pays ont considéré que la promulgation de telles lois pourrait dynamiser les initiatives privées. Bien qu’elles soient contraires au Traité de l’espace de 1967, elles ont le mérite de permettre l’éclosion de projets privés. Ces lois n’ont cependant pas permis à elles seules de faire émerger ces sociétés. Certaines entreprises comme iSpace ou Planetary Ressources, spécialisées en robotique et en exploitation minière, existaient déjà avant. Mais ces politiques spatiales volontaristes offrent un accompagnement vecteur de confiance et d’investissement et permettent d’entretenir de près ou de loin de nouvelles initiatives pour le service en orbite.

Des opérations à usage militaire, ou la forte dualité de la technique de rendez-vous en orbite

Le 10 juillet 2019, un lanceur Soyouz 2.1v/Volga décolle du cosmodrome militaire de Plesetsk en Russie. Le NOTAM (Notice to airmen), informant le trafic aérien des risques, habituellement publié plusieurs jours avant un lancement, est émis seulement quelques heures avant le décollage. À bord, quatre satellites militaires russes, dénommés Cosmos 2535 à 2538, sont placés en orbite héliosynchrone à environ 600 km d’altitude. Peu après le lancement, divers observateurs constatent que la fréquence d’émission (2 280 MHz) de l’un ou de plusieurs de ces satellites est identique (15) à celle d’un groupe de satellites « inspecteurs » russes lancés entre 2013 et 2015 (Cosmos 2491, 2499 et 2504). Ces satellites seraient capables de mener des rendez-­vous « non coopératifs » en orbite, semblables au rapprochement entre Athena-­Fidus et Olymp‑K, révélé en 2018 par Florence Parly. Une telle opération permet, entre autres, l’écoute, le brouillage, et même potentiellement l’attaque physique du satellite ciblé. Or, entre le 1er et le 19 août 2019, on s’aperçoit que deux des Cosmos lancés en juillet ont effectué six exercices de rapprochement (16), jusqu’à se retrouver à un kilomètre l’un de l’autre. Ces évènements rappellent que les techniques de rendez-­vous en orbite, lorsqu’elles sont développées à des fins commerciales, empruntent les mêmes caractéristiques techniques que celles développées à des fins militaires. La participation directe de la DARPA dans le programme RSGS est un exemple de dualité remarquable. En s’appuyant sur le savoir-­faire de Northrop Grumman, acquis grâce au MEV, la DARPA tire profit du secteur industriel et de ses applications commerciales pour les opérations militaires. Selon cette même dynamique, l’US Air Force a passé en 2020 un contrat de 3 millions de dollars avec Orbit Fab pour développer le Rapidly attachable fluid transfer interface (RAFTI) (17), un connecteur de référence qui permettra de ravitailler en orbite les satellites militaires américains.

Le service en orbite, actuellement dans une phase de développement, ouvre la voie à de nouvelles perspectives économiques, et s’inscrit dans un spatial modulaire, où chaque constellation pourrait être entretenue de manière continue, améliorée avec l’implémentation de nouveaux composants, et passivée dans les règles de limitation des débris. Néanmoins, le service en orbite revêt des enjeux multiformes qu’il ne faudrait pas lire sous un prisme uniquement commercial. En effet, des lois spatiales proactives permettent l’émergence de ces techniques, et un support financier de la part des agences spatiales ou des entités militaires semble encore nécessaire pour fiabiliser de telles techniques. La participation centrale de la DARPA dans le CONFERS témoigne de l’intérêt stratégique du service en orbite. Mais les projets d’exploration spatiale, comme le programme « Artemis » de retour sur la Lune de la NASA, sont des vecteurs dynamisants pour l’émergence du service en orbite. Puisque l’idée serait de coloniser à terme la Lune et ses orbites, pour ensuite explorer Mars, d’immenses perspectives stratégiques s’ouvrent pour le service en orbite, limité pour le moment à l’orbite terrestre. Percevoir l’intérêt de ces techniques et investir massivement dans la R&D permettra aux acteurs impliqués d’influencer l’environnement normatif et réglementaire qui va émerger, mais également de jouer un rôle et de porter une voix audible dans l’exploration spatiale de demain.

Notes

(1) North Sky Research, « In-Orbit Servicing & Space Situational Awareness Markets (IoSM4) », février 2021 (https://​www​.nsr​.com/​r​e​s​e​a​r​c​h​/​i​n​-​o​r​b​i​t​-​s​e​r​v​i​c​i​n​g​-​s​p​a​c​e​-​s​i​t​u​a​t​i​o​n​a​l​-​a​w​a​r​e​n​e​s​s​-​m​a​r​k​e​t​s​-​4​t​h​-​e​d​i​t​ion).

(2) Seradata – SpaceTrack, données 2021.

(3Ibid.

(4) Intelsat Fiscal Report 2019.

(5) Sandra Erwin, « Is the cost of military space programs going up or down ? Depends on how you count », 19 mars 2018 (https://​spacenews​.com/​i​s​-​t​h​e​-​c​o​s​t​-​o​f​-​m​i​l​i​t​a​r​y​-​s​p​a​c​e​-​p​r​o​g​r​a​m​s​-​g​o​i​n​g​-​u​p​-​o​r​-​d​o​w​n​-​d​e​p​e​n​d​s​-​o​n​-​h​o​w​-​y​o​u​-​c​o​unt).

(6https://​www​.seradata​.com

(7) UCS Satellite Database, données 2021.

(8) Théorisé en 1978 par deux consultants de la NASA, Donald J. Kessler et Burton Cour-Palais, ce syndrome évoque la possibilité d’une propagation exponentielle des débris par phénomène de cascade.

(9) Jason Rainbow, « As Astroscale prepares to launch debris-removal demo, UK eyes in-orbit servicing leadership », 18 mars 2021 (https://​spacenews​.com/​a​s​-​a​s​t​r​o​s​c​a​l​e​-​p​r​e​p​a​r​e​s​-​t​o​-​l​a​u​n​c​h​-​l​a​n​d​m​a​r​k​-​d​e​b​r​i​s​-​r​e​m​o​v​a​l​-​m​i​s​s​i​o​n​-​u​k​-​e​y​e​s​-​i​n​-​o​r​b​i​t​-​s​e​r​v​i​c​i​n​g​-​l​e​a​d​e​r​s​hip). Traduction libre : « Devenir un leader de la maintenance en orbite sert de tremplin vers la domination de la fabrication en orbite ».

(10) Jeff Foust, « Orbit Fab gets award to test satellite refueling technology », 31 mars 2020 (https://​spacenews​.com/​o​r​b​i​t​-​f​a​b​-​g​e​t​s​-​a​w​a​r​d​-​t​o​-​t​e​s​t​-​s​a​t​e​l​l​i​t​e​-​r​e​f​u​e​l​i​n​g​-​t​e​c​h​n​o​l​ogy).

(11) Projet de station habitée en orbite lunaire actuellement en développement sous maîtrise d’œuvre de la NASA, en partenariat avec le Canada, le Japon, l’Europe et, dans une moindre mesure, la Russie, et dont l’envoi du premier module est officiellement annoncé pour 2024.

(12https://​news​.microsoft​.com/​e​n​-​c​a​/​2​0​2​1​/​0​3​/​2​3​/​m​d​a​-​r​e​i​m​a​g​i​n​i​n​g​-​s​p​a​c​e​-​m​i​s​s​i​o​n​s​-​w​i​t​h​-​m​i​x​e​d​-​r​e​a​l​i​ty/, consulté le 26 mars 2021.

(13https://​news​.northropgrumman​.com/​n​e​w​s​/​f​e​a​t​u​r​e​s​/​m​i​s​s​i​o​n​-​e​x​t​e​n​s​i​o​n​-​v​e​h​i​c​l​e​-​b​r​e​a​t​h​i​n​g​-​l​i​f​e​-​b​a​c​k​-​i​n​t​o​-​i​n​-​o​r​b​i​t​-​s​a​t​e​l​l​i​tes, consulté le 22 mars 2021.

(14) France, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne, Espagne, ESA.

(15https://​twitter​.com/​c​g​b​a​s​s​a​/​s​t​a​t​u​s​/​1​1​4​9​6​6​2​1​1​7​8​1​9​0​6​0​224, consulté le 20 mars 2021.

(16https://​www​.space​-track​.org/​a​u​t​h​/​l​o​gin, consulté en avril 2021.

(17) Grant Kendall-Bell, « Orbit Fab Selected by U.S. Air Force to Develop In-space Xenon Pumping System, Key for On-orbit Satellite Servicing Ecosystem » 4 août 2020 (https://​www​.prweb​.com/​r​e​l​e​a​s​e​s​/​o​r​b​i​t​_​f​a​b​_​s​e​l​e​c​t​e​d​_​b​y​_​u​_​s​_​a​i​r​_​f​o​r​c​e​_​t​o​_​d​e​v​e​l​o​p​_​i​n​_​s​p​a​c​e​_​x​e​n​o​n​_​p​u​m​p​i​n​g​_​s​y​s​t​e​m​_​k​e​y​_​f​o​r​_​o​n​_​o​r​b​i​t​_​s​a​t​e​l​l​i​t​e​_​s​e​r​v​i​c​i​n​g​_​e​c​o​s​y​s​t​e​m​/​p​r​w​e​b​1​7​2​9​0​4​8​2​.​htm).

Légende de la photo en première page : Le service en orbite a des implications très largement duales. (© D.R.)

Article paru dans la revue DSI n°154, « Opération « Gardien des murailles » : Israël contre le Hamas », Mai-Juin 2021.
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