Entre victoires diplomatico-militaires et organisation des Jeux olympiques de Sotchi en 2014, la résurgence de la Russie sur la scène internationale a pris différentes formes. Mais le dopage d’État utilisé pour accroître son aura sportive aura finalement, une fois révélé, provoqué un important revers dans sa politique de prestige.
Aux dires mêmes du fondateur du mouvement olympique, le baron Pierre de Coubertin, l’excès est dans la nature du sport, un excès réservé à l’élite sportive servant d’exemple pour les « sportsmen ordinaires » (1). Le dopage a une histoire presque aussi longue que le mouvement olympique lui-même. Mais il fallut plusieurs décennies avant que le Comité international olympique (CIO) introduise des tests de dépistage aux Jeux de Mexico de 1968 afin d’entretenir la vivacité d’un principe ancré dans l’éthique olympienne des origines, le fair-play*, concept issu de la révolution sportive anglaise du début du XIXe siècle. Des athlètes individuels comme le Canadien Ben Johnson (sprinter), l’Américaine Marion Jones (sprinter) et son compatriote Lance Armstrong (coureur cycliste) ont été pris sur le fait et déchus de titres olympiques. Des équipes sportives privées comme Festina (cyclisme) auraient pu disparaître, mais jamais un pays n’a été mis au ban du sport international pour des Jeux entiers comme la Russie de Vladimir Poutine, dans ce qu’il est convenu d’appeler la « crise du dopage russe » depuis 2015.
L’héritage soviétique
Bien que le dopage, entendu comme l’utilisation de moyens illicites pour améliorer les conditions d’entraînement ou les performances, soit presque aussi vieux que le sport moderne lui-même, on l’a souvent associé à la guerre froide et au défunt bloc de l’Est qui a monopolisé la représentation négative du dopage d’État. Certes, les annales du dopage olympique sont assez longues, incluant le coureur de marathon Tom Hick des JO de Saint-Louis (1904), qui faillit succomber à un mélange dangereux de cognac et de strychnine (2) ; sa première victime, le cycliste danois Knud Jensen, qui décéda aux Jeux de Rome (1960) ; et des retraits de médailles ayant frappé différents pays, dont plusieurs occidentaux. Mais les pays du bloc soviétique ont porté à son paroxysme l’odieux de la tricherie, surtout à cause de leurs systèmes de gestion du sport centralisés, avec le soutien avéré de l’État. Les Jeux de Moscou de 1980, où aucun athlète ne fut testé positif, ne furent-ils pas surnommés sarcastiquement « les Jeux des pharmaciens » ?
L’arrivée massive dans le sport d’élite des stéroïdes anabolisants, développés durant la Deuxième Guerre mondiale pour rehausser les performances des soldats allemands, coïncida avec l’entrée des Soviétiques aux Jeux d’été d’Helsinki en 1952, alors que le pays avait peu d’expérience des compétitions internationales. Guerre froide et maccarthysme aidant, les soupçons d’un usage généralisé dans le bloc de l’Est ne tardèrent pas. En réaction, certains médecins américains poussèrent le patriotisme jusqu’à prescrire des stéroïdes à leurs athlètes pour ne pas perdre la face en compétition (3).
Que ce soit par précaution ou par supériorité pharmacologique, les Soviétiques, durant toute leur participation olympique, ne perdirent pour dopage qu’une seule médaille, de bronze, en ski de fond féminin (5 km) en 1976. Durant les années subséquentes à la chute du communisme, les États de l’ancien bloc de l’Est, Russie incluse, ont tout fait pour montrer patte blanche et redorer leur blason éthique. Quelques accrocs, tout de même, sont à noter, comme à Atlanta (été 1996) où quatre athlètes russes, un sprinter, deux nageurs et un lutteur furent déclarés positifs au bromantan (une substance stimulante développée sur les soldats soviétiques en Afghanistan, mais qui peut aussi servir d’écran, masquant la présence d’autres substances). Après s’être vu retirer deux médailles de bronze, la Russie fit appel au Tribunal arbitral du sport qui lui donna raison, arguant que la substance n’était alors pas illégale – le CIO la déclarera comme telle l’année suivante (4).
Dans les années 2000, alors que l’attention était portée sur le cyclisme, dans le sillage du scandale Festina, et sur la disqualification spectaculaire des Américains Lance Armstrong et Marion Jones aux Jeux de Sydney, le nombre d’athlètes punis venant des pays de l’ex-URSS a crû de façon constante. Puis, le fait que dix des quinze anciennes républiques de l’URSS aient perdu des médailles pour dopage aux Jeux de Londres en 2012 a éveillé de forts soupçons quant à la persistance d’un usage de substances interdites dans cette région. Le dopage est une affliction mondiale, certes, mais de toute évidence, l’héritage soviétique est lourd à porter. Dans la nouvelle économie, les primes pour les vainqueurs de médailles ont pu remplacer les anciens privilèges et le patriotisme…
La marche à l’exclusion de la Russie
Pays le plus représenté aux JO et le plus ambitieux sur la scène internationale, la Russie s’est fait prendre en violation des règles antidopage plus que les autres, se voyant retirer 43 médailles depuis 1992, devant l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, et loin devant les États-Unis, la Bulgarie, la Turquie et la Chine.