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Approche par les effets, l’armée de Terre en ordre de marche

La vision stratégique 2020 du chef d’état-­major de l’armée de Terre faisait le constat d’une dégradation de la situation sécuritaire mondiale. Plus qu’à l’augmentation, assez classique, des capacités vulnérantes, c’est l’investissement massif dans les champs immatériels par tous les compétiteurs qui apparaît comme la menace récurrente le long du continuum « compétition, contestation, confrontation ». Acculturer l’armée de Terre et lui donner les aptitudes à conserver la supériorité opérationnelle, mais aussi l’initiative, face à ce nouveau paradigme est l’ambition du projet « Approfondir l’approche par les effets » de l’armée de Terre. Mobilisée autour de cet enjeu majeur, elle développe l’appropriation de cette nouvelle approche en vue d’être en pleine capacité en 2025.

Fortement marquée par une culture militaire qui fait la part belle à la combinaison du feu et de la manœuvre, l’armée de Terre est collectivement moins rompue à la pratique de l’approche indirecte. Néanmoins, le constat d’un risque de débordement par les champs immatériels – espaces cyber, informationnel et électronique – largement investis par des compétiteurs internationaux, étatiques ou non, est clairement identifié depuis des années. Par exemple, Action terrestre future évoquait en 2016 «  la dissémination des avatars guerriers de l’innovation et l’irruption de nouveaux acteurs (lanceurs d’alerte, pirates informatiques) ». La guerre s’étend aujourd’hui clairement à de nouveaux milieux, le cyber et l’espace, qui démultiplient les effets dans les champs immatériels. L’observation de conflits récents au Moyen-­Orient, en Europe de l’Est ou en Asie centrale démontre que les adversaires potentiels savent dissimuler leurs intentions, s’appuyant sur des acteurs tiers, agissant masqués, cherchant à obtenir des gains stratégiques par des actions de contournement difficilement attribuables ou restant sous un certain seuil de violence pour éviter toute réaction, tout en étant capables d’engagements de haute intensité. La préservation de la supériorité opérationnelle dépend donc encore plus qu’hier de la capacité à connaître, à comprendre, à décider rapidement et ensuite à combiner les actions cinétiques et non cinétiques tout en assurant notre propre sécurité et notre résilience.

Si les champs immatériels sont déjà sillonnés par quelques unités spécialisées de l’armée de Terre, c’est à un changement d’échelle et d’approche qu’invite le projet « Approfondir l’approche par les effets ». Loin de vouloir uniquement massifier des capacités échantillonnaires telles que la guerre électronique ou les opérations militaires d’influence, il s’agit de permettre aux unités de conduire dans un cadre interarmées, voire interalliés, une manœuvre unique, se déroulant à la fois dans les champs matériels et immatériels. L’armée de Terre cherche donc à consolider une culture d’intégration des actions cinétiques et non cinétiques.

Des objectifs résolument tangibles

Sur le champ de bataille, sur le plan tactique, l’intégration des effets devra permettre, à terme, de :

  • participer à la conquête de l’initiative dans la profondeur ennemie en renseignant, en frappant des objectifs sensibles, en interceptant les flux logistiques, hertziens ou numériques, en perturbant la boucle décisionnelle… ;
  • prendre part aux affrontements dans la zone des contacts en dissimulant nos troupes, en leurrant sur nos intentions, en neutralisant la chaîne de commandement adverse, en protégeant la nôtre… ;
  • préserver la liberté d’action sur nos arrières en assurant la sécurité générale par une complète compréhension de l’environnement, en renforçant la légitimité de notre action, en démasquant les intentions ennemies…

Sur le plan opératif, voire stratégique, la maîtrise des champs immatériels ou, au moins, une présence plus affirmée dans ceux-ci devra permettre notamment, et à terme, de :

  • contribuer à légitimer les positions françaises par la maîtrise de la violence et la diffusion d’un narratif reflétant la réalité des engagements ;
  • contribuer à la résilience collective de la nation ;
  • participer à la sécurité des systèmes d’information du ministère des Armées. 

Une effervescence intellectuelle et un foisonnement d’idées…

Guidée par l’objectif fixé par le chef d’État-major de l’armée de Terre (EMAT), cette dernière s’est collectivement emparée de cette ambition d’approfondir l’approche par les effets. Une intense réflexion capacitaire, organisationnelle et doctrinale a ainsi été engagée depuis quelques années sur le sujet des Effets dans les champs immatériels (ECIm). Une part des contributions, qui associent également des think tanks, est ainsi très bien exposée dans la dernière revue Fantassins(1).

… en parallèle de la structuration de la démarche au sein de l’armée de Terre…

Simultanément et parallèlement, sous l’égide du sous-chef opérations de l’EMAT, responsable de la montée en puissance du projet, l’armée de Terre a entrepris de structurer et de cadencer la dynamique en cours qui devra converger vers une synergie avec le niveau interarmées. Quatre axes d’effort ont ainsi été définis pour se défendre, se renseigner, engager l’adversaire au travers des espaces cyber, électronique et informationnel.

  • La structuration du domaine par la constitution d’une « chaîne ECIm » au sein de l’armée de Terre, qui structure la suite de la montée en puissance et pourra porter le sujet en interarmées. Cette chaîne des ECIm reposera nécessairement sur l’ensemble des forces terrestres sous le commandement du CFT (2) qui dispose des leviers nécessaires au travers de certains de ses grands organismes (Commandement du renseignement – COMRENS), Commandement des systèmes d’information et de communication – COMSIC), divisions SCORPION et COME2CIA (3)).
  • Sur le plan de l’emploi et des capacités, différents objectifs sont définis. Par exemple, l’aptitude à la déception – dissimulation (ce que l’ennemi ne doit pas voir), diversion (ce que l’ennemi doit voir, et qui est vrai), intoxication (ce que l’ennemi doit croire) et simulation (ce que l’ennemi doit voir, et qui est faux) – doit être davantage prise en compte dès la conception de la manœuvre. En outre, les appuis cyber et guerre électronique, voire les actions d’influence seront mis à portée des échelons tactiques. Enfin, la communication opérationnelle, développée jusqu’au niveau de la compagnie, doit devenir un multiplicateur de l’efficience tactique.
  • Afin de consolider la capacité des unités des forces terrestres à intégrer ces actions non cinétiques, l’adaptation de l’organisation des structures de commandement existantes apparaît incontournable. Ainsi, des cellules ECIm, mêlant planificateurs et spécialistes des espaces cyber, électromagnétique et informationnel, seront créées dans les Postes de commandement (PC) de niveaux corps d’armée jusqu’à ceux de Groupements tactiques interarmes (GTIA).
  • Enfin, la préparation opérationnelle sera nécessairement adaptée à ces nouveaux enjeux. Dans la perspective d’un potentiel engagement majeur, les activités de préparation opérationnelle métier et interarmes intégreront, sous la houlette du COME2CIA, la dualité des effets cinétiques et non cinétiques. Les unités des forces terrestres pourront ainsi s’entraîner dans une situation de plus grand inconfort tactico-­opératif, par exemple, pour finalement renforcer la résilience de leurs postes de commandement en réduisant leur empreinte numérique.

En outre, fil conducteur du projet, l’acculturation de l’armée de Terre aux opérations dans les champs immatériels sera développée via un continuum de formation de non-­spécialistes courant de l’incorporation jusqu’aux stages de qualification du très haut encadrement militaire. C’est ainsi l’ensemble l’armée de Terre qui sera impliquée et acculturée.

Une concrétisation à court et moyen termes

Conformément à la feuille de route ainsi fixée, plusieurs décisions illustrent le dynamisme de la démarche. D’ores et déjà, les rotations des unités en centres d’entraînement spécialisés tels que le CENTAC et le CENZUB (4) demandent d’intégrer les champs immatériels dans la conception de la manœuvre et les unités entraînées. Les PC et les unités sont ainsi très régulièrement soumises à des agressions immatérielles simulées (brouillage, intrusion dans les communications, etc.). Ces deux centres d’entraînement spécialisés développent d’ailleurs des projets innovants d’entraînement au combat dans un environnement cyber et électromagnétique disputé.

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