La présentation officielle de la maquette du Sukhoi LTS, baptisé Checkmate (« échec et mat »), par Rostec et UAC a eu lieu le 20 juillet 2021 lors du salon MAKS, à Zhukovsky/Ramenskoie. Le concept, évoqué depuis plusieurs mois, est celui d’un monoréacteur monoplace bidérive aux forces furtives qui semble, d’après un clip de teasing, destiné aux forces aériennes étrangères (1). Tour d’horizon d’un système qui révolutionne l’offre de l’industrie aéronautique de défense russe.
Comme le notaient plusieurs observateurs, le LTS (abréviation russe pour avion tactique léger) présente des formes semblables à celles envisagées pour le MRS‑54, un concept du début des années 1990 n’ayant pas quitté la planche à dessin, par Northrop qui entendait exploiter l’YF‑23 pour un appareil plus léger destiné au remplacement du F‑16. La ressemblance est frappante au niveau des dérives largement inclinées (mais comparativement plus petites sur le LTS), de la structure supérieure de la cellule ou encore de l’entrée d’air ventrale. S’il n’est pas totalement impossible que ces similitudes soient dues aux efforts du renseignement russe, il n’en demeure pas moins que la structure de la voilure diffère et que le design général du canopy est nettement plus proche de celui du Su‑57. Il semble en être de même pour la structure des soutes, le train d’atterrissage – à la configuration classique, mais aux jambes solides – et, plus largement, la configuration générale du bas de la cellule.
Quelles capacités ?
L’économie générale de l’appareil tranche ainsi avec les appareils furtifs américains (F‑22, F‑35) et sud-coréen (Boramae) et montre qu’il est partiellement optimisé pour la furtivité. Le bas de la cellule l’est en bonne partie, mais c’est moins évident pour la structure de l’aile, qui semble peu travaillée. L’armement sera a priori emporté en soute : une en position centrale devant le train principal et deux secondaires, positionnées latéralement sur les flancs de l’entrée d’air à proximité du logement du train principal. Les soutes latérales sont obturées par une seule trappe de grande longueur, montrant un moulage à facettes permettant une conformation avec l’entrée d’air, mais doivent subir de fortes contraintes et vibrations une fois ouvertes en vol. Comme pour le Su‑57, des emports devraient être positionnés sous les ailes. Outre des réservoirs auxiliaires, ce devrait être le cas pour une nacelle de désignation de cible, Sukhoi n’ayant pas positionné de système à demeure, comme sur le F‑35. Les dérives monoblocs masquent pour partie la sortie de la tuyère du réacteur, ce qui a une incidence sur la réduction de la signature thermique – d’autant plus que le réacteur est largement encadré par les carénages de fuite de la cellule. Leur inclinaison permet également d’optimiser le retour radar sans sacrifier la manœuvrabilité de l’appareil.
Ce dernier a une masse maximale au décollage (MTOW) estimée à 18 t pour une charge utile de l’ordre de 7,4 t (2). C’est donc un avion relativement léger – un F‑35A a une MTOW d’environ 32 t pour un peu plus de 9 t de charge utile – dont la motorisation, présentée comme assurant un faible ratio poids/puissance, doit permettre la réduction des courses de décollage et d’atterrissage, mais aussi une capacité de supercroisière. Selon le constructeur, sa vitesse maximale est de Mach 1,8. Le Checkmate doit être capable de manœuvrer sous 8 G et sa distance franchissable sous carburant interne est présentée comme étant de 2 800 km. Il est par ailleurs doté d’une perche de ravitaillement en vol rétractable positionnée sur le flanc du cockpit. La propulsion est assurée par un moteur dont le type n’a pas été précisé. Benjamin Gravisse évoque le Projet 30 développé pour le Su‑57, une option qui semble plausible au regard du marketing entourant le Checkmate, qui le présente comme exploitant les systèmes développés pour le biréacteur. L’appareil devant entrer en service à la fin des années 2020 (voir infra), ce type de motorisation devrait être prêt ; reste cependant à voir si l’AL‑41 ne pourrait pas être utilisé pour les premiers essais en vol, une poussée de 14,5 à 16 t étant évoquée. Pratiquement, la maquette de moteur qui équipait l’appareil présenté n’était pas dotée d’un système vectoriel. La structure de l’entrée d’air, qui montre la présence d’une cloison, pourrait impliquer que deux conduits approvisionnent le moteur en comburant, permettant de contourner la soute à munitions principale, mais posant aussi de délicats problèmes de perturbations de flux et de vibrations. L’appareil est par ailleurs doté d’une APU (Auxiliary power unit), autorisant une moins grande dépendance aux installations au sol.
Les capacités de combat et l’avionique sont présentées comme modulaires. Sukhoi indique ainsi que l’appareil intègre des systèmes IA de maintenance prédictive et que les procédures de maintenance sont optimisées. Par ailleurs, le principal capteur de l’appareil est un radar AESA positionné dans le nez, dont la désignation n’est pas connue, mais qui est présenté comme capable de suivre simultanément six cibles sous conditions CEMA (Cyber electromagnetic activities) sévères. Vu le faible volume du nez, imposé par le positionnement de l’entrée d’air, une hypothèse pourrait être que des modules émetteurs-récepteurs soient, comme sur le Su‑57, positionnés ailleurs sur la cellule ou la voilure. Un IRST (Infrared search and track) est positionné à l’emplanture droite de la verrière. Là non plus, le type n’a pas été précisé. Le cockpit lui-même comprend un grand écran large multifonction en couleur, de même qu’un écran plus petit, qui semble spécifiquement lié au radar, positionné juste au-dessous du viseur tête haute.
Si la présentation de l’appareil fait référence à un système de « renseignement électronique », aucune autre information n’a été donnée sur la présence d’un système de guerre électronique (passif ou actif), de leurres, de détecteurs d’alerte radar ou de détecteurs de départ de missiles ou leurs types. Reste que Rostec et UAC mettent en avant la modularité de l’appareil et qu’il est probable que bon nombre de ces systèmes soient en option. Il est également question de modularité du point de vue des munitions embarquées. Le constructeur évoque les missiles air-air RVV‑MD et RVV‑SD. Le premier est un engin de courte portée constituant une évolution de l’AA‑11 Archer/R‑73 et qui est probablement destiné aux soutes latérales, chacune étant dotée d’un point d’emport. Le RVV‑SD est un missile à moyenne portée et guidage radar actif qui constitue une évolution de l’AA-12 Adder/R 77. L’armement air-sol est large. Pour ce qui concerne la soute (qui comporterait trois points d’accrochage), il comprend :
• le Kh‑59Mk2, évolution de l’AS‑13 Kingbolt, un engin aux formes furtives de section carrée et à la charge modulaire (pénétration, explosive, sous-munitions). Subsonique, il a une portée d’environ 300 km ;
• le Kh‑58UShKE, missile antiradiation, dernière évolution en date de l’AS‑11 Kilter ;
• les Grom E1 et Grom E2, une nouvelle famille de munitions air-surface, le premier étant propulsé et le deuxième suivant une trajectoire planante. Le Grom E1 a une portée d’environ 120 km ;
• la famille des bombes FAB‑250/KAB‑250.
Les informations indiquent que l’appareil peut recevoir un canon de 30 mm en pod, positionné dans l’une des soutes latérales ; il n’est donc pas structurellement équipé d’un canon, ce qui est une première pour un chasseur léger russe. Le Checkmate pourrait connaître plusieurs versions. Un LTS dronisé est parfois évoqué. Reste également à voir dans quelle mesure il pourra jouer un rôle de subordination aux effecteurs déportés que la Russie développe actuellement – si tant est qu’elle achète l’appareil ou qu’elle mette les drones sur le marché. Les informations données par Rostec évoquent ainsi des liaisons de données le permettant, tout en assurant la communication entre les appareils eux-mêmes. Seul le monoplace a été présenté, mais une version biplace n’est pas à exclure à l’avenir.
Quelles ambitions commerciales ?
Derrière le buzz médiatique, le Checkmate est encore loin d’être en service. Son premier vol devrait intervenir en 2023, avant que le développement ne se poursuive et que les premiers appareils n’entrent en service opérationnel à la fin de la décennie. Reste cependant à voir où et dans quel cadre. Le secteur aéronautique russe a considérablement évolué et si la fusion avec MiG est actée, ce dernier a lui-même proposé deux designs de chasseurs (un monoréacteur et un biréacteur) lors du salon, de même qu’un concept de drone de ravitaillement en vol. Au-delà des rivalités au sein d’UAC, la question des marchés ne manque pas de se poser. Le Checkmate est un appareil répondant à l’esthétique du F‑35, plus que probablement à une fraction de son prix et de son coût à l’heure de vol, ce qui a plusieurs conséquences. D’abord, il permettrait à des États historiquement prompts à diversifier leurs sources d’approvisionnement – Égypte, Malaisie, Inde – d’obtenir un artefact normatif proche du F‑35, auquel ils ne pourraient pas avoir accès pour des raisons budgétaires ou de restrictions à l’exportation.
Ensuite, des clients plus classiques, qui opèrent déjà des appareils de la famille Flanker ou qui voudraient utiliser un avion moderne, mais d’origine russe, pourraient également être intéressés. On pense en particulier à l’Algérie, au Vietnam, voire à l’Iran. Dans l’immédiat, il semble peu probable que la Russie elle-même soit intéressée : l’appareil n’entre pas dans sa planification. En revanche, d’ici à la fin des années 2020, il n’est pas impossible que, ventes et abaissement des coûts unitaires faisant, Moscou revienne à un design monoréacteur.