Magazine Moyen-Orient

Qui sont les colons israéliens en Cisjordanie ?

Une représentation collective habituelle imagine le colon israélien comme un nationaliste convaincu, favorable à l’annexion de la Cisjordanie et du plateau du Golan à Israël. Cette image est inexacte, car les colons possèdent des profils et des motivations variés. En partant de l’origine des colonies (1), nous remarquerons que le projet de peuplement a relativement échoué : moins de 5 % de la population israélienne habite dans les colonies de Cisjordanie en 2019 (2). Puis nous présenterons les différents types de colonies, depuis les implantations normalisées, que l’État hébreu souhaite intégrer à son territoire, jusqu’aux colonies des « faucons » les plus durs, qui regroupent quelques habitants seulement, mais posent le plus de problèmes aux Palestiniens… et aux Israéliens.

À la suite de la guerre des Six Jours en 1967, l’État hébreu occupe le Sinaï, la bande de Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Ygal Allon, vice-Premier ministre (1968-1977), prépare un plan qui prévoit, à terme, de restituer ces territoires aux pays voisins, tout en conservant des zones tampons à proximité des frontières. Pour la Cisjordanie, qui mesure 5 600 kilomètres carrés (la taille du département du Calvados en Normandie), la vallée du Jourdain constitue cette surface-glacis, de 15 kilomètres de large. C’est là, loin des principales villes palestiniennes, qu’émergent les premières implantations, bases militaires dans lesquelles vivent des Israéliens qui cultivent aussi les terres environnantes. À ce moment-là, la préoccupation est purement défensive, il n’existe pas de stratégie impérialiste de conquête de territoires.

En 1973, la nation israélienne subit le choc de l’échec de la guerre du Kippour. Des critiques envers les tactiques sécuritaires inefficaces apparaissent. Le Parti travailliste, à la tête du gouvernement, perd du terrain face aux courants de droite. Au sein du Parti national religieux, le mouvement Gush Emunim (« Bloc des croyants ») se donne pour mission d’étendre l’État juif sur le périmètre d’Eretz Israel, selon la référence biblique, en englobant la Judée-Samarie. Il commence à installer des campements, non plus le long de la vallée du Jourdain, mais au cœur de la Cisjordanie, dans des lieux où une présence juive dans l’Antiquité est attestée.

Dans un premier temps, le gouvernement travailliste les déloge. Mais, dès l’arrivée au pouvoir du Likoud en 1977, les campements sont légalisés. Plusieurs schémas directeurs prévoient la création de nouvelles localités, qui sont édifiées à partir des années 1980. L’Organisation sioniste mondiale apporte des financements pour la construction de logements, tandis que l’État encourage l’utilisation de terres du « domaine public » (autrefois ottoman, puis jordanien, administré temporairement par l’État hébreu) et prend en charge le raccordement aux infrastructures.
En septembre 2019, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), présente un plan d’annexion d’environ 30 % de la Cisjordanie, couvrant principalement la vallée du Jourdain, avec le soutien de l’administration Trump. Celui-ci engloberait une trentaine de colonies et une quinzaine d’« avant-postes ». Ce projet est finalement gelé à l’été 2020. Cependant, on constate que la stratégie de création de colonies de peuplement à proximité des localités palestiniennes, dans le but de limiter leur développement, et dans la vallée du Jourdain, n’a pas attiré les foules : les colonies intérieures, comme Kfar Tapouah ou Ofra, accueillent un nombre limité d’habitants (respectivement 1 200 et 3 000 en 2019, selon les statistiques officielles israéliennes). Les colonies de la vallée du Jourdain ne regroupent que 3 % des colons de Cisjordanie, contre plusieurs dizaines de milliers pour celles qui sont proches de la frontière israélienne.

Des colonies « de banlieue » peuplées et la « normalisation » de Jérusalem-Est

Les colonies de premier rang démographique sont en effet situées en banlieue de Jérusalem, comme Ma’ale Adumim (38 000 habitants) et Givat Zeev (18 000), ou de l’agglomération Tel-Aviv – Petah Tiqva. Le plus souvent, leurs habitants sont laïcs, et ni nationalistes, ni religieux, ni ultra-orthodoxes. Aux élections législatives de mars 2020, la majorité des habitants des colonies cisjordaniennes a certes voté pour des partis de droite, mais comme la majorité de la population israélienne installée à l’ouest de la Ligne verte. « Notre localité est située “sur” la frontière », affirment fréquemment ces habitants afin de minimiser leur incursion dans l’espace palestinien (3).

Leur première motivation pour passer la Ligne verte est le coût du logement et le confort matériel offert par ces banlieues, qui ressemblent aux lotissements résidentiels occidentaux, avec des maisons nommées « cottage  », dotées de toits en tuiles et entourées de jardins, dans un environnement de collines verdoyantes. En 2020, un appartement de 130 mètres carrés de 4 pièces s’y vend aux alentours de 4 500 dollars le mètre carré, tandis qu’un bien équivalent coûte plus du double à Jérusalem-Ouest (9 000 dollars/m2), voire le triple pour Tel-Aviv (12 000 dollars/m2). Un grand nombre de leurs habitants effectuent des migrations pendulaires quotidiennes pour se rendre sur leur lieu de travail dans les agglomérations de Jérusalem et de Tel-Aviv.

Les quartiers israéliens de Jérusalem-Est (Neve Yakov, Pisgat Zeev, Ramot, Talpiyot-Est, Gilo, Har Homa), construits à partir des années 1970, se situaient quant à eux à proximité de quartiers palestiniens, sans pour autant répondre à un objectif de mixité sociale et culturelle. Israël Kimhi, le directeur du département municipal des politiques urbaines, estimait que la ségrégation était « le meilleur moyen de vivre en paix à Jérusalem » et qu’il était « inutile de mettre en place des politiques urbaines pour forcer l’intégration » (4). L’objectif était aussi d’établir des faits accomplis afin de pouvoir revendiquer une souveraineté territoriale sur Jérusalem-Est dans les négociations israélo-palestiniennes.

Pourtant, comme pour les autres colonies de banlieues, ces quartiers israéliens de Jérusalem-Est ne sont pas majoritairement peuplés par des nationalistes ou des sionistes-religieux. Dans les plus anciennes, celles des années 1970 et 1980, on trouve des classes moyennes israéliennes laïques (Ramot, Talpiyot-Est, Gilo), par exemple des enseignants de l’université hébraïque de Givat Tserfatit. Dans les plus récentes, comme Neve Yakov, on trouve des classes sociales plus modestes, attirées par un coût du logement plus bas : immigrants russes, ménages ultra-orthodoxes (non sionistes), et même familles palestiniennes (5). Ces dernières y cherchent des logements, car le marché immobilier palestinien est saturé. Leur proximité avec les quartiers de Shu’fat et de Beit Hanina leur permet de maintenir une vie sociale dans la communauté palestinienne tout en utilisant les équipements et les commerces du quartier israélien.

À partir de 2002, la construction du mur de séparation a rattaché de facto au territoire israélien les quartiers de Jérusalem-Est, les grands blocs de colonies construits autour de Jérusalem dans les années 1980 (Ma’ale Adumim, Givat Zeev, Gush Etzion), de même que les colonies proches de la Ligne verte en Cisjordanie (par exemple Shaarei Tiqva ou Oranit). Cette inclusion a pu donner à leurs habitants l’impression d’une normalisation et d’une banalisation de leur existence.

Un entre-soi : les colonies ultra-orthodoxes

Plusieurs colonies sont peuplées principalement par des ménages ultra-orthodoxes : Modi’in Illit, Immanuel, Beitar Illit, notamment. Certaines ont été conçues dès le départ dans l’optique d’accueillir spécifiquement cette communauté, mais d’autres sont devenues ultra-orthodoxes à l’usage (des sous-quartiers de Ramot et de Givat Zeev, par exemple). Les pratiques religieuses et sociétales de cette communauté rendent presque obligatoire le regroupement, notamment pour la constitution d’une assemblée à la synagogue et la présence de services collectifs. Abraham Sheinberg, membre de deux yeshivot (écoles talmudiques) ultra-orthodoxes, présente ainsi le mode de vie de sa communauté : « Nous vivons différemment et séparément du reste de la société. Nous avons tout à gagner à vivre dans notre ghetto. Nous avons choisi d’aller à contre-courant et de demeurer ce que nous sommes. (6) »

Mais les ménages ultra-orthodoxes habitent aussi en Israël, à l’ouest de la Ligne verte. Ainsi, la localité la plus peuplée par des haredim est Bnei Brak, dans la banlieue de Tel-Aviv, avec 198 000 habitants en 2019. Modi’in Illit, colonie cisjordanienne sise à mi-distance entre Jérusalem et Tel-Aviv, est une extension de Modi’in. Elle compte 73 000 habitants en 2019, soit moins que Bet Shemesh, autre grande agglomération ultra-orthodoxe (118 700) dont la position géographique est semblable, entre les deux premières villes israéliennes, sans pourtant être une colonie (elle se trouve à l’ouest de la Ligne verte).

À propos de l'auteur

Irène Salenson

Agrégée de géographie, docteure en urbanisme, chercheuse associée au Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ) ; auteure de Jérusalem : Bâtir deux villes en une (Éditions de l’Aube, 2014)

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