Si la montée en puissance de l’armée de l’air chinoise impressionne les observateurs du monde entier, le renouveau de son aviation navale depuis le début du siècle est en réalité encore plus spectaculaire. Longtemps délaissée par le pouvoir central, celle-ci a été profondément modernisée au cours des vingt dernières années. Et l’arrivée en force d’une flotte entière de porte-avions couplée à la stratégie du « collier de perles » promet des changements encore plus radicaux dans les décennies à venir.
L’origine de la PLAN‑AF (People’s Liberation Army Navy – Air Force) remonte au début des années 1950. Malgré quelques succès tactiques face aux pilotes taïwanais dans les années 1960, ou lors de bombardements du Vietnam en 1979, l’aéronavale chinoise reste depuis son origine dans l’ombre de l’armée de l’air (PLAAF), mieux équipée et plus moderne. Ainsi, si la modernisation de la PLAAF est déjà bien engagée à la fin des années 1980, la PLAN‑AF ne sera massivement renouvelée qu’à partir du début des années 2000.
Couverture aérienne et soutien de la flotte
Depuis sa création, et aujourd’hui encore, le rôle essentiel de l’aviation navale est d’assurer le soutien des bâtiments de la PLAN, à la fois par la supériorité aérienne et par la frappe antinavire, missions principales auxquelles s’ajoutent le soutien aérien au profit des troupes d’infanterie de marine et, de plus en plus, la lutte anti-sous-marine (ASM). Pour accompagner le développement frénétique de la flotte de surface et les ambitions régionales chinoises, la PLAN‑AF a logiquement été restructurée en profondeur au cours de la dernière décennie (1).
À partir de 2007, elle est ainsi passée de huit à six divisions opérationnelles, largement renforcées par l’intégration de régiments spéciaux jusqu’alors indépendants. En plus des unités de transport et d’entraînement assignées au quartier général de la marine, deux divisions sont rattachées à chacune des trois flottes de la marine chinoise (Nord, Est et Sud), elles-mêmes intégrées aux commandements de théâtre Nord, Est et Sud (2). Parallèlement, l’aéronavale a connu une diminution quantitative de ses effectifs avec le retrait des derniers Q‑5, J‑6 et J‑7, mais la déflation numérique est amplement compensée sur le plan capacitaire par l’arrivée en masse de nouveaux intercepteurs et chasseurs multirôles.
Les plus vieux intercepteurs en service dans la PLAN‑AF sont ainsi une cinquantaine de J‑8H/F, des variantes modernisées d’un chasseur lourd des années 1980, produites et livrées au début des années 2000, y compris dans une version destinée à la reconnaissance. Durant la même période, la PLAN‑AF met en service une centaine de chasseurs bombardiers JH‑7A spécialisés dans la lutte antinavire et dérivés du JH‑7 entré en service au compte-gouttes à partir de 1994. Capables d’emporter des mines, des bombes lisses ou guidées et des missiles antinavires YJ‑83 et YJ‑91, les JH‑7 modernisés et JH‑7A sont de plus en plus souvent observés avec des pods de guerre électronique et des missiles antiradar leur conférant un rôle de suppression des défenses adverses (SEAD). Dans les années à venir, au moins une partie des JH‑7/A et des J‑8H/F pourraient être remplacés par des Flanker, probablement des J‑11D ou des biplaces J‑16 multirôles.
Comme dans la PLAAF, les différentes variantes du Flanker constituent en effet l’épine dorsale de l’aviation navale. Deux douzaines de Su‑30MK2 ont ainsi été livrés à partir de 2004, suivis dans les années 2010 par une demi-douzaine d’escadrons de J‑11BH (monoplaces) et J‑11BSH (biplaces).
Dernier arrivé dans les régiments basés à terre, le J‑10AH (et le biplace J‑10SH) complète depuis 2010 les dotations en J‑11, JH‑7 et J‑8. D’abord destiné à la défense aérienne locale, ce monoréacteur semble doté depuis trois ans de capacités de frappe de précision. Le J‑10 armé de bombes guidées laser pourrait ainsi constituer le noyau dur des unités de soutien aérien rapproché lors des opérations de débarquement, le CAS restant mal maîtrisé au sein de la PLAN‑AF. À terme, l’aéronavale pourrait recevoir une version adaptée du J‑10C, dernière mouture multirôle du J‑10 en service dans la PLAAF.
On le voit, les forces basées à terre de la PLAN‑AF assurent à la fois des missions de supériorité aérienne, d’interdiction et de CAS au profit des troupes de marine, ainsi que de lutte antinavire, y compris en coordination avec les unités de surface. Pour la continuation de cette mission au-delà de la première chaîne d’îles, la PLAN‑AF compte sur une trentaine de bombardiers régionaux H‑6G (flotte de l’Est) et H‑6J (flotte du Sud), épaulés par un petit nombre de H‑6DU de ravitaillement en vol. Introduit au début des années 2000, le H‑6G peut embarquer jusqu’à quatre missiles de croisière antinavires, tandis que le très récent H‑6J (version navale du H‑6K) dispose de six points d’emport.
L’enjeu du transport logistique
Au-delà du soutien à la flotte, la croissance de la marine chinoise, et donc de son aéronavale, s’explique plus largement par une volonté de faire coïncider la stratégie des moyens de Pékin avec sa nouvelle posture géostratégique régionale, notamment vis-à‑vis des îles Paracels et des Spratleys, mais aussi de la « nouvelle route de la soie ». L’aéronavale chinoise, par le biais de ses avions de transport, de patrouille et d’écoute électronique, participe à la sécurisation et au ravitaillement des bases avancées sur les îlots aménagés de la mer de Chine méridionale, mais également à la logistique des premières bases chinoises du « collier de perles » (3), dans les îles Paracels et Spratleys.
Pour les missions logistiques, la PLAN‑AF s’appuie essentiellement sur une cinquantaine d’appareils de deux familles distinctes : les Y‑7 et MA‑60 bimoteurs dérivés de l’An‑24 russe, et les Y‑8 et Y‑9 quadrimoteurs dérivés de l’An‑12. Encore suffisantes au début des années 2000, ces flottes montrent aujourd’hui de sérieuses limites, tant en matière de portée opérationnelle que de disponibilité. L’un des défis des prochaines années va ainsi porter sur la modernisation de la flotte de transport tactique. Si l’acquisition de MA‑60H et surtout d’Y‑9, version modernisée de l’Y‑8C, semble s’imposer logiquement, les besoins urgents en avions spécialisés mobilisent la quasi-totalité des Y‑9 disponibles pour la PLAN‑AF, qui cherche aussi à se doter à moyen terme de moyens stratégiques. L’acquisition d’Y‑20, disponibles en version ravitailleur, pourrait à la fois répondre à ce besoin de transport stratégique et à la problématique cruciale du remplacement des H‑6DU, aujourd’hui incapables de ravitailler les différents Flanker de la PLAN‑AF. Pour le transport stratégique en mer de Chine, l’option de l’hydravion lourd AG‑600 est aussi évoquée, l’appareil pouvant également servir de plate-forme de sauvetage, de patrouille maritime (PATMAR) ou de lutte ASM.
PATMAR, reconnaissance et guerre électronique : Pékin multiplie les expériences
Comparativement à ses missions et à l’ampleur de sa zone de responsabilité, la PLAN‑AF est en manque chronique de moyens de lutte ASM à longue portée. Ces dernières années, l’aviation navale a enfin reçu une douzaine d’Y‑8Q/KQ‑200, appareil endurant et armé, capable de compléter vers le haut les nombreuses microflottes d’avions de surveillance maritime. Si les besoins en plates-formes PATMAR/ASM sont gigantesques, la chaîne de production de l’Y‑9 doit cependant fournir d’autres variantes spécialisées de l’avion. L’aviation navale met ainsi en œuvre une dizaine d’avions-radars AEW sur la base d’Y‑8 (les Y‑8J et KJ‑200H) et au moins six Y‑9 modifiés pour le même usage (KJ‑500H), en plus des Y‑9JZ spécialisés dans l’écoute électronique.
Parallèlement à ces avions de mission, la PLAN‑AF opère également un nombre croissant de drones MALE et HALE, dans des configurations parfois originales (4). Doté d’une aile rhomboïdale, l’EA‑03 Soaring Dragon II est ainsi un drone HALE plus compact et plus rapide que ses équivalents occidentaux. Au sein de la PLAN‑AF, il remplace progressivement la trentaine de BZK‑500 et a pour tâche principale la détection des unités de surface adverses et l’écoute électronique, aux côtés de drones MALE plus conventionnels de la famille Wing Loong.
Porte-avions et porte-hélicoptères
Enfin, si un accroissement qualitatif et quantitatif de la flotte de surface chinoise implique une augmentation substantielle des appareils de soutien basés à terre, cela impose également de revoir à la hausse la dotation en appareils embarqués, hélicoptères et voilures fixes confondues.
Depuis 2012, la marine chinoise dispose en effet d’un porte-avions en service actif, le Liaoning, qui devrait être rejoint par une seconde unité d’ici à la fin de l’année. Les deux navires déplacent environ 60 000 t et mettent en œuvre une trentaine d’aéronefs depuis une piste équipée d’un tremplin. Un troisième bâtiment de 80 000 t et équipé de catapultes électromagnétiques est déjà en construction. Parallèlement, la flotte chinoise devrait aussi recevoir prochainement son premier porte-hélicoptères d’assaut (LHD) Type‑075, un navire de 40 000 t qui mettra en œuvre des hélicoptères des forces terrestres et de l’aéronavale.
Pour armer le Liaoning, la PLAN‑AF dispose d’un groupe aérien embarqué directement rattaché au quartier général de la marine. Ce dernier opère une vingtaine de chasseurs multirôles J‑15. Directement dérivé du prototype T‑10K‑7 acheté en Ukraine en 2004, le J‑15 est donc un cousin, et non pas une copie, du Su‑33 Flanker. Des variantes biplaces (J‑15S) et d’autres destinées à la mission SEAD (J‑15D biplace, plus une variante monoplace) ont également pu être observées, tandis que les essais d’une version catapultable pour le troisième porte-avions (J‑15A ?) ont débuté à partir de catapultes à terre. Pour les porte-avions CATOBAR, la marine prévoit aussi un chasseur furtif, peut-être basé sur le FC‑31 ou le J‑20, un avion AEW basé sur l’Y‑7 et dénommé KJ‑600, ainsi que des drones de reconnaissance et de combat.
Le groupe embarqué met aussi en œuvre plusieurs variantes du Z‑18 affectées au transport, à la lutte ASM (Z‑18F) et à la détection radar lointaine (Z‑18J). Dérivé nettement amélioré du Z‑8, une copie chinoise du Super Frelon français, le Z‑18 est un hélicoptère lourd qui profite pleinement des larges capacités d’accueil du Liaoning et qui pourrait conférer aux prochains Type‑075 des capacités de lutte ASM ponctuelles. Si le Z‑8 continue de remplir des missions ASM, ce sont les petits Z‑9C/D qui constituent l’hélicoptère embarqué de référence pour les frégates et destroyers chinois, aux côtés d’une quinzaine de Ka‑28 d’origine russe. Limité par sa faible capacité d’emport et son autonomie, le Z‑9 devrait être remplacé dans les années à venir par un nouvel hélicoptère ASM, éventuellement un dérivé du H175/AC352 ou, plus probablement, une variante du Z‑20, inspiré du S‑70 américain.
Vers une aéronavale océanique
Pour la République populaire de Chine, la mise en œuvre d’une flotte entière de porte-aéronefs est une priorité tant opérationnelle que politique, le porte-avions étant aussi un outil majeur de représentation au service d’une stratégie déclaratoire. Sur le plan opérationnel, une multiplication des « ponts plats » se justifie par l’ampleur des missions qui sont désormais dévolues à la flotte de surface chinoise. L’économie du pays dépend massivement des exportations, mais aussi de l’approvisionnement maritime en matières premières. Le contrôle maritime autorisé par un porte-avions est alors vu avant tout comme une police d’assurance pour la protection du territoire, des ressources et des marchés de la RPC. Au-delà des aspects purement défensifs, le porte-avions constitue aussi un outil offensif de premier ordre pour assurer la domination aérienne, la frappe dans la profondeur et le contrôle – même limité dans le temps et l’espace – d’un point clé de la première chaîne d’îles, notamment Taïwan.