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L’aéronavale, pièce maîtresse de la stratégie chinoise

Toutefois, la doctrine aéronavale de la RPC ne semble pas encore totalement fixée, et les prochains déploiements opérationnels devraient dévoiler un peu plus ses ambitions dans ce domaine. Il sera ainsi intéressant de connaître la fréquence des déploiements conjoints de LHD et de porte-­avions, mais aussi de surveiller les mises sur cale au-­delà du troisième porte-avions. En effet, si trois porte-­avions suffisent à assurer la permanence à la mer (et au combat) d’un unique groupe aéronaval, il en faut au moins six pour pouvoir assurer simultanément un déploiement lointain, par exemple dans l’océan Indien, et une gestion de crise à plus courte portée. Un format à six porte-­avions confirmerait alors les ambitions hémisphériques de la Chine, une puissance régionale qui entend protéger ses intérêts maritimes jusqu’au Moyen-Orient et au-­delà. Ce serait également un choix logique sur le plan industriel, le développement d’EMALS et d’avions catapultables ne se justifiant pas pour un unique bâtiment. Reste cependant à voir si les deux porte-­avions STOBAR actuels joueront un rôle actif dans la future flotte de porte-­avions, quel qu’en soit le nombre, ou s’ils sont destinés avant tout à créer et entraîner la chasse embarquée chinoise avant d’être relégués à un rôle plus secondaire.

Les défis à relever pour la PLAN‑AF

Si l’aviation navale chinoise connaît une croissance hors du commun, même au sein des armées chinoises, elle fait face également à de nombreux défis, en partie causés par cette rapide remontée capacitaire.

Au-­delà des aspects logistiques déjà abordés, le principal écueil interne à la PLAN‑AF concerne l’entraînement de ses pilotes. Bien que les cursus de formation aient été récemment réaménagés, la PLAN‑AF fait face à un déficit (et à un déséquilibre) de moyens (5), mais aussi à une certaine désorganisation interne. Ainsi, après avoir sélectionné le JL‑9 comme avion d’entraînement et de transformation avancé face au JL‑10 plus moderne, l’aviation navale semble aujourd’hui faire marche arrière, le JL‑9H s’avérant coûteux à l’entretien, tandis que le JL‑9G est finalement inapte à l’appontage sur porte-avions.

L’autre défi majeur pour la PLAN‑AF concerne son articulation avec la PLAAF, en matière à la fois de positionnement et de coopération, mais aussi d’attribution des nouveaux appareils en cours de livraison. Au sein de chaque commandement de théâtre, les moyens de la PLAAF et de la PLAN‑AF semblent pour l’instant avant tout mobilisés suivant la proximité géographique des unités, et non en fonction des spécialités propres à chaque arme. Les entraînements conjoints restent finalement assez rares, les deux forces étant plus interchangeables que complémentaires. L’arrivée des porte-­avions et de leurs GAE devrait ainsi, dans les années à venir, pousser progressivement l’aviation navale à se spécialiser dans les opérations océaniques, reléguant la défense aérienne littorale aux unités de la PLAAF.

L’extension des activités aéronavales vers les « eaux bleues » pourrait aussi pousser la PLAN‑AF à assumer ses capacités de frappes antinavires à très longue portée, en incorporant plus de H‑6J, de nouveaux ravitailleurs, mais aussi de futurs bombardiers régionaux furtifs et des missiles hypersoniques. Au risque d’entrer frontalement dans un des domaines d’expertise de la PLAAF, qui récupère traditionnellement en premier les nouveaux appareils et équipements de rupture. Dans l’immédiat, les efforts de la PLAN‑AF devraient donc porter sur des améliorations incrémentales et numériques de leurs moyens actuels, en dotant notamment leurs avions de mission de perches de ravitaillement en vol et en accroissant substantiellement les moyens attribués à la PATMAR, à la lutte ASM et au ravitaillement. 

Notes

(1) Pour plus de détails sur l’organisation interne de la PLAN‑AF : Andreas Rupprecht, Modern Chinese Warplanes, Chinese Naval Aviation-Aircrafts and Units, Harpia Publishing, Houston, 2018.

(2) À noter que l’organisation actuelle pourrait évoluer à l’avenir sur le modèle de la PLAAF, des brigades remplaçant alors la structure en régiments subordonnés aux divisions.

(3) L’expression désigne la succession de points d’appui qui mènent de la Chine continentale jusqu’à Djibouti.

(4) Yannick Smaldore, « Pékin, nouvel acteur majeur dans le secteur des drones », Défense & Sécurité Internationale, no 130, juillet-­août 2017.

(5) En plus de petits avions écoles, elle dispose uniquement d’une trentaine de JH‑8H d’entraînement de base, mais de près d’une cinquantaine d’avions d’entraînement avancés JL‑9H/G et JL‑10H.

Légende de la photo en première page : Appontage d’un J-15 sur le Liaoning. La Chine a rapidement progressé dans l’appropriation de son aéronavale embarquée, mettant plus rapidement en œuvre que la Russie des appareils armés et utilisés de nuit. (© MoD/Li Tang) 

Article paru dans la revue DSI hors-série n°68, « Chine : Quelle puissance militaire ?  », octobre-novembre 2019.
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