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Ils s’instruisent pour surprendre

Un autre exemple de préparation de bataille particulièrement soignée est celle de l’opération « Minarets ». « Minarets » désigne le plan de l’armée égyptienne, prêt en septembre 1971, visant à franchir le canal de Suez jusqu’à 15 kilomètres à l’intérieur du Sinaï pour tenir ensuite la position conquise jusqu’à l’inévitable cessez-­le-feu. Ce plan est un des plus détaillés de l’histoire puisqu’il descend jusqu’à la description précise de chaque groupe de combat d’infanterie ou du génie, de chaque équipe antichar, de chaque pièce d’artillerie et de chaque char des cinq divisions d’infanterie qui doivent franchir le canal, soit, avec les forces de réserve, 200 000 hommes, 1 600 chars et 1 900 pièces d’artillerie. Il est interdit de s’écarter du plan pendant les six premières heures. Opération la plus précise, « Minarets » est aussi sans doute la plus répétée de l’histoire. Les équipes de missiles filoguidés AT‑3 Sagger s’entraînent par exemple à cibler des camions une demi-­heure chaque jour jusqu’à l’offensive. L’opération entière elle-­même est répétée 35 fois, ce qui paradoxalement contribue à la surprise de l’attaque du 6 octobre 1973 puisque la concentration des troupes qui l’a précédée, la 22e de l’année, n’a pas suscité d’attention particulière. Cet effort porte ses fruits : l’opération « Minarets » est une réussite qui surprend complètement les Israéliens qui ne croyaient pas les Égyptiens capables d’une telle performance.

Les conditions de la surprise par l’instruction

Les surprises par l’instruction sont en fait relativement rares. Il faut souvent, pour qu’il y ait un effort considérable en matière d’instruction, un constat d’insuffisance des méthodes en cours, ce qui n’est jamais évident. Il faut ensuite déterminer comment procéder. Cela passe fréquemment par une remise à plat de ses pratiques par rapport à celles de l’ennemi. Il faut enfin investir massivement et vite, dans de nouvelles infrastructures souvent, mais surtout dans un encadrement performant, en recrutant les meilleurs disponibles chez soi ou parfois à l’étranger. Cet investissement ne permet cependant d’obtenir une surprise que si l’ennemi ne bouge pas de son côté.

Bien souvent en effet, les efforts sont parallèles entre adversaires qui se surveillent, mais il arrive parfois que l’un des deux ne veuille pas ou ne puisse pas suivre cet effort. Les armées alliées de 1918 voient bien l’effort qui est effectué par l’armée allemande, mais, alors en nette infériorité numérique, elles n’ont pas les moyens de retirer 60 divisions du front pour les instruire de la même façon. En 1995, après un effort d’organisation et d’instruction fortement appuyé par la société privée américaine DynCorp, l’armée croate s’empare en quelques jours de la « République serbe de Krajina ». Les milices serbes qui la défendaient n’ont pas été capables de suivre la montée en gamme.

Dans l’exemple égyptien cité plus haut, l’armée israélienne est clairement soumise à un biais d’arrogance qui l’aveugle sur les progrès de l’ennemi. Il est reproduit aussi vis-à‑vis du Hezbollah qui effectue de 2000 à 2006 un saut qualitatif lui permettant de réaliser des opérations plus complexes, alors que de son côté l’armée israélienne a plutôt tendance à perdre ses compétences. On le retrouve peut-être encore lorsque l’infanterie du Hamas progresse de 2008 à 2014. Dans la guerre de 2008, il était tombé 50 combattants du Hamas pour 1 Israélien ; dans celle de 2014, le rapport n’était plus que de 1 pour 8.

À une échelle beaucoup plus réduite, ce qui surprend le plus dans l’attaque du 7 janvier 2015 par les frères Kouachi, c’est leur maîtrise microtactique qui leur a permis de faire face, à deux, à 16 policiers en moins d’un quart d’heure. Après les grands centres d’entraînement et la centralisation de la formation selon des procédés réalistes, mais lourds à organiser, le nouveau saut en matière d’instruction militaire réside peut-être au contraire dans la démocratisation du « réalisme tactique » et des possibilités d’apprentissage par les moyens d’information ou de simulation.

Notes

(1) Herbert K. Weiss, Systems Analysis Problems of Limited War, Annals of Reliability and Maintainability, New York, 1966.

(2) Voir DSI no 141, mai-juin 2019.

Légende de la photo en première page : Un F-16A et un F/A-18C du Naval Strike and Air Warfare Center, qui a repris la Fighter Weapons School sous son aile en 1996. (© DoD)

Article paru dans la revue DSI n°143, « Guerre de l’électronique : la Russie en pointe », septembre-octobre 2019.

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