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Effecteurs déportés et « ailiers loyaux ». Retour à la masse, écarts technologiques et reconfiguration de la puissance aérienne

Le programme américain Golden Horde envisage ainsi de positionner des modules d’IA dans des munitions existantes de manière qu’elles puissent coopérer dans l’engagement de leurs cibles. Un premier essai grandeur nature a eu lieu mi-décembre 2020 sur un polygone où des cibles de plusieurs types avaient été positionnées. Deux GBU‑39 spécifiquement configurées ont alors été larguées depuis un F‑16. Communiquant entre elles, les deux armes ont détecté un brouilleur GPS. L’aspect intéressant de l’expérimentation résidait dans la pluralité de cibles dans un contexte où les brouilleurs n’étaient pas les plus prioritaires selon les règles d’engagement. Si, lors de ce test, une erreur logicielle n’a pas permis d’engager, le concept s’est avéré fondamentalement valable.

Pour l’heure, Golden Horde est un effort de recherche qui doit se poursuivre en augmentant le nombre de munitions employées. Mais la rationalité dite NCA (Networked, collaborative, autonomous) doit déboucher sur la capacité à engager un grand nombre de munitions contre des systèmes de défense aérienne complexes, les munitions se répartissant les tâches suivant des règles d’engagement et des scénarios prédéterminés, avec des suites logiques de décisions en cascade – des algorithmes largement explorés et déjà utilisés au cours des essais du X‑45 en son temps.

Automatisation de la guerre aérienne, pas autonomisation

Effecteurs déportés de toutes tailles, essaims de munitions, appareils pilotés, systèmes ISR : autant de nouveaux systèmes appelés à interagir ensemble. L’hypothèse de missiles largués en masse et attaquant en essaim des sites de défense aérienne sur la base d’informations recueillies par des effecteurs déportés ISR, soutenus par d’autres affectés au leurrage et ouvrant la voie à l’engagement d’appareils pilotés pour les phases plus délicates, sort du brouillard de la prospective. Cette vision grandiose a des implications stratégiques nettes : dès lors que des dizaines d’effecteurs déportés peuvent être construits au prix d’un seul appareil piloté, les forces aériennes occidentales peuvent espérer regagner une masse qu’elles avaient perdue. Elles peuvent aussi gagner en efficacité brute, avec la possibilité pour quelques appareils pilotés – qu’ils soient de combat ou de transport – de conduire des meutes de plusieurs dizaines de drones et d’appliquer des volumes de feu de plusieurs centaines de munitions avec précision.

Reste que les obstacles sont nombreux. Les obstacles techniques d’abord : bon nombre de goulets d’étranglement subsistent dans les domaines liés à l’IA ou encore aux liaisons de données, de même qu’à la très délicate question des clouds de combat. Dans l’absolu cependant, bon nombre de briques technologiques ont été acquises ces vingt dernières années. Les obstacles militaires ensuite. La manière de faire de l’ISR ou de la planification pourrait considérablement évoluer, impliquant des changements de pratiques – aussi bien dans les états-majors que dans les cockpits. Par ailleurs, le champ des possibles s’ouvrant complètement, la stratégie des moyens va devenir encore plus centrale que par le passé – en particulier dans la définition de ce que sera l’« IA utile ».

Les obstacles politiques enfin. La remise en question des technologies liées à l’IA (et son instrumentalisation par les puissances adverses) dans un contexte plus général de luddisme technologique, tout comme la complexité du système, sera sans doute à la source de caricatures et de rejets (6). Un autre écueil réside dans les politiques budgétaires et le risque que les gains d’efficience des systèmes futurs soient compris comme un blanc-seing pour la réduction du nombre d’appareils pilotés. En d’autres termes, à bien des égards, ces systèmes nécessiteront une réelle expertise politique, d’autant plus que leur sensibilité au regard de l’exportation sera également une question délicate.

<strong>Programmes d’effecteurs déportés en cours</strong>

Notes

(1) Voir Joseph Henrotin, « Le quatrième âge de la frappe stratégique. Quels concepts matériels ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 30, juin-juillet 2013.

(2) Le principe d’un ravitaillement de drone à drone a déjà été validé par la NASA (entre deux RQ‑4) dès 2007, tandis que le MQ‑25 Stingray est spécifiquement conçu en tant que drone de ravitaillement. Philippe Langloit, « MQ‑25 : échec programmatique ou pièce essentielle des dispositifs aériens futurs ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 62, octobre-novembre 2018.

(3) Sur cette question, voir notamment David Pappalardo, « Combat coopératif aérien connecté, autonomie et hybridation homme-machine : vers un “Guerrier Centaure” ailé ? », Défense & Sécurité Internationale, no 139, janvier-février 2019.

(4) Maximum take-off weight.

(5) Pour un point complet sur la nouvelle génération de munitions air-sol : Philippe Langloit, « Munitions aériennes : small is beautiful », Défense & Sécurité Internationale, hors-série n69, décembre 2019-janvier 2020 ; Yannick Smaldore, « Quelles munitions aériennes dans la lutte anti-A2/AD ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 56, octobre-novembre 2017.

(6) Voir notamment Joseph Henrotin, « Ultra smart nazi killbot slaughters mankind, boils kitten in acid », Areion24​.news, 12 janvier 2021 (https://​www​.areion24​.news/​2​0​2​1​/​0​1​/​1​2​/​u​l​t​r​a​-​s​m​a​r​t​-​n​a​z​i​-​k​i​l​l​b​o​t​-​s​l​a​u​g​h​t​e​r​s​-​m​a​n​k​i​n​d​-​b​o​i​l​s​-​k​i​t​t​e​n​-​i​n​-​a​cid).

Légende de la photo en première page : Des ATS et un F-15EX Eagle II. Le drone australien ATS est l’un des candidats au programme Skyborg de l’US Air Force, qui ambitionne de doter l’US Air Force d’effecteurs déportés. (© DoD)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°78, « Numéro spécial Aviation de combat 2021  », Juin-Juillet 2021.
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