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Perspectives sur les outils de soft power en Asie dans le contexte de la pandémie de Covid-19

Bien qu’ils aient adopté des stratégies différentes, les pays d’Asie ont su valoriser leur capacité de réaction face aux pandémies. À quelques exceptions près, les dons de masques, l’envoi de vaccins et d’équipements médicaux à l’étranger leur ont d’ailleurs permis de développer une image positive malgré l’omnipotence de la Chine dans cette crise sanitaire…

Le COVID Resilience Ranking établi par Bloomberg (1) a fait régulièrement apparaître 10 nations asiatiques parmi les 15 premières à avoir réagi avec efficacité face à la pandémie dès son apparition courant 2020 : la Nouvelle-Zélande, Taïwan, l’Australie, Singapour, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, le Vietnam, Hong Kong et la Thaïlande. Ces pays, dont la plupart ont été confrontés à des épisodes sévères de SRAS dans les années 2000, ont su tirer parti de cette crise en renforçant leur système national de réponse à des situations d’urgence en cas d’infection d’ampleur. Par comparaison, nombre de nations occidentales comme les États-Unis ou le Royaume-Uni se sont révélées dépassées face à la gravité de la situation.

Ces éléments conduisent à analyser les stratégies asiatiques et à se demander si certaines pourraient constituer un modèle sanitaire. Des pays de la région ont vite compris l’intérêt d’une telle démarche pour renforcer leur diplomatie d’influence sur la base du recours à des outils de soft power. On peut citer la Chine et sa quête d’une meilleure image à travers la production et la distribution de masques et de vaccins à grande échelle ou la Corée du Sud à travers la promotion du modèle des « trois T » (Test, Trace, Treat) et la diffusion massive de kits de dépistage.

Des stratégies d’endiguement de l’épidémie globalement efficaces

Aucun gouvernement n’était suffisamment préparé à l’ampleur de cette pandémie mondiale, et le point de départ de cette dernière, Wuhan, n’a pas fait exception. En coopération avec les autorités locales, le gouvernement central chinois a été en mesure d’appliquer rapidement un confinement drastique et d’autres mesures d’intervention. La décision sans précédent de Pékin d’imposer un verrouillage total de l’agglomération de Wuhan, qui compte 11 millions d’habitants, et des villes adjacentes de la province du Hubei a été cruciale pour contenir le virus. Tous les modes de transport vers cette région et au départ de celle-ci ont été interdits, ce qui a affecté la vie de 60 millions de personnes. Plusieurs fois critiquée pour n’avoir pas immédiatement alerté sa population ni imposé de confinement tout au début de la pandémie, notamment lorsque les transmissions interhumaines n’étaient pas encore confirmées, la Chine a pris des décisions rapides et déterminantes, alors même qu’elle ne disposait encore que d’informations incomplètes. Elle a largement endigué l’épidémie sur son sol depuis le printemps 2020, mais reste sous le feu des critiques pour son manque de transparence et de collaboration avec l’OMS concernant l’origine du virus.

Face au confinement autoritaire chinois, la Corée du Sud a choisi l’option de la libre circulation, du dépistage systématique et du traçage électronique pour identifier les chaînes de contamination. Cette politique active a porté ses fruits tout au long de 2020 et a été très vite présentée par le président sud-coréen, Moon Jae-in, comme un exemple de « bonne pratique » à suivre. Dès mars 2020, celui-ci se faisait l’ambassadeur de ce modèle sanitaire, qu’il décrivait comme « démocratique », au sein du G20 et mettait en place une diplomatie publique dynamique à usage tant interne qu’externe. Ce nouvel aspect du soft power sud-coréen servira de base à une coopération sanitaire axée sur des campagnes d’explication illustrant le souci de transparence du gouvernement et la production massive de kits de dépistage. Début 2021, Séoul innovera en pratiquant des dépistages de type drive-in, sur des parkings réservés à cet effet et en voiture afin de limiter les contacts.

Cependant, sur le triptyque des « trois T », le traçage électronique a pu être jugé intrusif. Le gouvernement s’est engagé à détruire les données collectées une fois la crise passée. Ces efforts n’ont pas mis le pays à l’abri d’une quatrième vague de contaminations due au variant Delta à l’entrée de l’été 2021, mais ont permis de n’enregistrer que 2284 décès au 30 août 2021 selon la Johns Hopkins University (JHU).

Le Japon a donné l’impression de suivre la crise sanitaire au fil de l’eau. Le nombre de décès a cependant été contenu à 15 969 personnes au 30 août 2021 (JHU). Le gouvernement s’en est largement remis à la culture hygiéniste fortement intériorisée de sa population et à son sens civique. L’année 2020 a ainsi renvoyé l’image d’un face-à-face contrasté entre l’énergique gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, rappelant sans relâche les règles de la distanciation sociale, et un gouvernement attentiste. Il est vrai que le Premier ministre, Shinzo Abe, a dû annoncer, à contrecœur, le report des Jeux olympiques d’été de 2020 à 2021. Or leur tenue à Tokyo, dont il avait fait une affaire personnelle, avait été arrachée de haute lutte et l’archipel escomptait en faire un outil de rayonnement international particulier, notamment face à un discours chinois ultranationaliste et qui n’a de cesse de célébrer ses succès. Au lieu de cela, ces Jeux, censés marquer la renaissance du Japon après l’épisode dévastateur de Fukushima il y a dix ans, ont eu lieu du 23 juillet au 8 août 2021 à huis clos. En raison d’une situation sanitaire préoccupante, les organisateurs ont dû en bannir tout spectateur, qu’ils soient étrangers ou japonais, suscitant des réactions de colère parmi ces derniers, déjà alarmés par le coût de l’évènement.

Singapour a été saluée pour son efficacité dans sa gestion de l’épidémie, avec un très faible nombre de décès (55 morts au 30 août). Durant les premiers mois de la pandémie, Singapour a occupé la première place du classement Bloomberg sur la résilience face à la Covid-19. Le succès de son application de recherche des contacts numériques, TraceTogether (téléchargé par 90 % de la population), a permis à l’État-nation de relancer son économie sans craindre que la pandémie ne devienne incontrôlable. En fin de compte, le confinement court et précis permettant de maintenir le système de santé en état de marche et l’économie en mouvement, de hiérarchiser efficacement ses ressources et d’agir dans l’urgence sans précipiter ses décisions, et de bien gérer sa communication, en instaurant un haut niveau de confiance entre les citoyens et le gouvernement, sont les stratégies qui ont permis à Singapour d’être si efficace dans la gestion de la crise. Toutefois, avec la propagation du variant Delta, le niveau d’alerte y a récemment été relevé.

Le Vietnam a confirmé un total de 10 749 décès au 30 août 2021 selon la JHU (seulement 81 décès jusqu’au 1er juillet 2021), ce qui est relativement peu compte tenu de sa proximité géographique avec la Chine (environ 1300 kilomètres de frontière commune) et de sa population totale (95,5 millions). Depuis le début de la pandémie, le Vietnam a été salué par la communauté internationale comme l’un des pays d’Asie ayant le mieux réussi à contenir le virus. La gestion efficace du coronavirus a donné au Parti communiste vietnamien (PCV) l’occasion de regagner la confiance de la population et de renforcer sa légitimité sur la scène internationale alors qu’il est considéré comme l’un des régimes les plus répressifs d’Asie, avec un bilan catastrophique en matière de droits de l’homme. Fait peu commun, le régime a fait preuve d’une grande transparence dans sa réponse à la crise, en diffusant régulièrement des émissions à la télévision et en tenant ses citoyens informés via les téléphones cellulaires. Ce concert de louanges pourrait permettre au Vietnam de devenir une puissance moyenne à part entière d’ici à 2030, ce qui est un objectif essentiel pour le PCV.

À propos de l'auteur

Eric Mottet

Enseignant-chercheur à l’Université catholique de Lille, directeur adjoint du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG) et co-auteur de Manuel de géopolitique : enjeux de pouvoir sur des territoires (Armand Colin, 2020)

À propos de l'auteur

Marianne Peron-Doise

Chercheure associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où elle dirige l’Observatoire géopolitique de l’Indopacifique, et chargée de cours à Sciences Po Paris.

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