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Ce que les comics nous apprennent lorsqu’il s’agit de jouer l’adversité

Enfin, toute équipe et son leader, une fois la mission accomplie, ont besoin d’un retour d’expérience. Curieusement, la notion de RETEX demeure globalement étrangère à l’univers des comics. Batman analyse en solitaire puis impose le fruit de ses cogitations à la Bat Family. Les X-men et les Avengers s’en tiennent au constat et se répandent en querelles et reproches. Quant aux Fantastic Four, modèle de la famille idéale des sixties, ils ne connaissent aucun débriefing. Leur chef, Reed Richards, souhaiterait un véritable retour d’expérience, mais ne l’obtient jamais, puisque son épouse Sue rejoint sa cuisine, tandis que Johnny Storm va draguer les filles de son âge et que Ben Grimm se coltine avec les voyous de Yancy Street, quartier de sa jeunesse. L’absence générale de RETEX tient peut-être à la nature des comics  : basés sur la répétition, ils fonctionnent sur le retour perpétuel du même ennemi. Inutile donc de se préparer vraiment à l’imprévu, puisque la surprise n’est que temporaire et aura des airs de déjà-vu. Ainsi peut-on voir, à travers ces modèles, que le moment du RETEX est un aspect clé de l’empathie, covariant selon la manière dont le groupe se structure pour planifier l’action.

Conclusion

La tradition des comics repose ainsi sur nombre de concepts associés aux armées. Omniprésence de l’ennemi, nécessité de faire front en associant les qualités individuelles à la dynamique collective, rôle clé du leader, le tout reposant sur l’empathie, déclinée en maintes variations. On en retiendra deux apprentissages clés d’un point de vue opérationnel. D’une part, ces exemples montrent que la complexité de l’ennemi, sa capacité à exprimer des réactions à la fois détestables et enviables, contribuent à favoriser l’empathie. Ce qui tranche avec la version classique et simplifiée d’un ennemi réduit à ses fonctions d’opposant systématique.

D’autre part, les comics indiquent les possibilités, et les limites, de la corrélation entre différents types de RETEX et l’empathie. Ce moment d’apprentissage paraît décisif pour aider à constituer un collectif opérationnel. Ce qui invite à s’interroger sur les diverses manières de partager le vécu au sein d’un groupe « ami ». Faut-il viser un modèle commun et top down, rapporté autour de la figure charismatique d’un acteur central, ou au contraire privilégier une construction collective reposant sur la capacité à se rapprocher du vécu de chacun ? Sans proposer de solution toute faite, le monde des superhéros constitue une sorte de laboratoire qui mérite d’être étudié.

Légende de la photo en première page : Décollage d’un F-16C du 18th Agressor squadron. La doctrine de ces unités consiste à reproduire les tactiques adverses, au-delà du seul rôle de « sparring-partner ». (© US Air Force)

Article paru dans la revue DSI n°155, « Ka-52 Alligator : la reptile de Kamov », Septembre-Octobre 2021.
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