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Turkish Airlines ou le reflet des mutations de la Turquie contemporaine

En deuxième lieu, une autre tendance affirmée de la compagnie turque est l’attention qu’elle n’a cessé de porter au nombre et à la qualité des services offerts aux voyageurs. Alors même que les autres transporteurs réduisent leurs prestations ou les facturent à leurs clients, la THY, qui a pour sa part renoncé à la classe Premium pour se contenter des classes Business et Economy, offre entre autres à tous ses passagers un poids généreux de bagages et de vrais repas dégustés avec des couverts en métal.

En troisième lieu, pour populariser ses succès et gagner de nouveaux clients, la Turkish Airlines a conduit une série de campagnes publicitaires originales qui ont marqué les esprits, en faisant appel à des stars du cinéma (Kevin Costner, Ridley Scott), du football (Lionel Messi, Didier Drogba) et du basket (Kobe Bryant). L’une de ces campagnes montre certaines de ces stars rivaliser dans une course-poursuite sans fin autour du monde, censée convaincre de la capacité du réseau turc à emmener ses passagers vers les horizons les plus lointains et les plus divers. Mais pour parachever ce développement, le réseau devenu tentaculaire méritait un port d’attache à la hauteur de ses ambitions. C’est chose faite depuis l’ouverture en 2018 du nouvel aéroport d’Istanbul. Cet équipement surdimensionné, qui pourrait devenir le plus grand aéroport du monde, a été construit en un temps record (entre 2015 et 2018), au prix de nombreuses vies humaines (plusieurs dizaines de travailleurs employés seraient morts au cours des travaux, selon les syndicats). Du fait de sa position géographique, cet équipement se pose en concurrent direct des grands hubs d’Europe et du Golfe. En 2019, avant l’épidémie, il a ainsi acheminé près de 55 millions de passagers, mais il est capable d’en accueillir 200 millions.

Une dimension politique et stratégique

À bien des égards, le développement étonnant de la Turkish Airlines au cours des vingt dernières années reflète les tendances fortes du régime de Recep Tayyip Erdoğan. Observés dans leur contexte national, l’essor de cette compagnie et la mise en service de ce que l’on doit bien appeler son aéroport se sont inscrits dans la politique de grands projets par laquelle ce régime incite les Turcs à renouer avec une destinée souvent fantasmée. S’exprimant lors de l’inauguration du nouvel aéroport d’Istanbul, coïncidant avec la célébration du 95e anniversaire de la proclamation de la République, le président turc expliquait d’ailleurs que l’achèvement de ce projet constituait « une source de fierté pour la Turquie et un exemple pour le monde entier ».

Si l’on se place dans une perspective internationale, il est clair que la croissance de ce transporteur a souvent été liée au souhait du gouvernement turc de conquérir de nouveaux marchés et de favoriser une dynamique des échanges. Mais, cette préoccupation économique a rapidement rejoint des objectifs politiques stratégiques visant à faire sortir la diplomatie turque de son environnement régional pour lui ouvrir des horizons multidimensionnels (africains, américains ou extrême-orientaux). Aux côtés de l’ouverture de postes diplomatiques, de la fréquence des visites politiques de haut niveau ou de la création d’agences de la TIKA (Agence turque de coopération et de développement), les destinations de la THY sont désormais un indice qui permet d’observer l’évolution des orientations géographiques de la politique internationale d’Ankara. Ainsi, une observation du tracé des lignes aériennes turques montre que la Turquie est un pays qui entend être présent sur plusieurs continents pour essayer d’y jouer un rôle d’acteur diplomatique émergent.

La crise de la Covid-19 ne semble pas avoir durement altéré la soif de développement de la compagnie turque. La THY, soutenue par le dynamisme de sa filiale dédiée au fret, Turkish Cargo, est en effet parvenue à sauvegarder près de la moitié de ses revenus (qui ont atteint tout de même 6,7 milliards de dollars en 2020), tout en préservant son impressionnant réseau. Cette même année, elle a en particulier réussi à transporter 28 millions de passagers avec un taux d’occupation de ses avions atteignant les 71 %. Reste à savoir si cette croissance exponentielle spécifique n’est pas menacée à terme par l’impératif global de réduire les risques environnementaux. Significativement, la dernière publicité de la Turkish Airlines ne propose plus à ses clients « d’élargir leur monde », comme le faisaient les sportifs et les artistes de renom qu’elle mobilisait il y a dix ans, mais plus modestement de « choisir leurs souvenirs » à l’occasion de vacances en Turquie pour y revivre des plaisirs que l’on croyait définitivement perdus.

Légende de la photo en première page : En septembre 2021, lors des World Airline Awards 2021 décernés par l’entreprise britannique Skytrax sur la base des témoignages de plus de 13 millions de passagers, la compagnie Turkish Airlines se classait au 17e rang mondial des compagnies aériennes préférées des voyageurs, faisant un bond de 18 places en deux ans. Première compagnie en nombre de pays desservis (121 en 2019, devant Air France avec 116 pays desservis), elle a en outre remporté le prix du meilleur salon de classe affaires en Europe, de la meilleure classe économique en Europe et le prix du Covid-19 Airline Excellence. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Diplomatie n°112, « Caucase : un territoire stratégique au carrefour des empires », Novembre-Décembre 2021.
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