Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Sahel : sombres perspectives pour 2022

La transformation du dispositif militaire

Le 10 juin 2021, le président français Emmanuel Macron a annoncé des modifications du dispositif militaire français au Sahel et a évoqué la fin de l’opération « Barkhane », tout en précisant : « Cette transformation se traduira par un changement de modèle ».

Dans cette perspective, les 5100 soldats français présents au Sahel seront ramenés à 3000 d’ici 2023. Les Français se retirent des bases militaires du Nord du Mali à Tessalit, Kidal et Tombouctou, dès octobre 2021 pour Kidal. L’ensemble des forces sont redéployées principalement vers la base de Gao au Mali et la base aérienne 101 de Niamey au Niger, sur la zone dite des Trois Frontières (Mali-Burkina-Niger), où le groupe EIGS est le plus actif.

Il n’y a donc pas de fin de « Barkhane » — une annonce ambigüe qui a suscité certains malentendus — mais un changement du dispositif pour se rapprocher des armées locales et pour faire venir d’autres partenaires européens (actuellement 600 militaires) dans la force Takuba, ensemble de forces spéciales appuyant plus directement les armées locales afin de se concentrer sur la montée en puissance des armées africaines. Mais cette transformation utile est arrivée un peu tardivement. D’une part car l’action militaire étrangère atteint ses limites et aussi parce que le drapeau européen aurait été plus facilement accepté que celui de l’ancien colonisateur. Mais il reste important que « Barkhane » évolue et apparaisse en appui, en mettant en avant les armées locales. Une certaine hybridation entre les militaires français et les armées locales apparait aujourd’hui nécessaire pour éviter un rejet croissant de « Barkhane ».

Un rejet de la politique française au Sahel

Ce sentiment demeure néanmoins différent d’un pays à l’autre de la région :
• Au Mali, la crise était latente depuis plusieurs années, mais s’est aggravée depuis le second coup d’État des Colonels (mai 2021) et les décisions du président Macron sur la réorganisation de « Barkhane ».

En effet, il y avait déjà un problème d’acceptation et de compréhension du dispositif militaire français. L’approche française était avant tout technique et sécuritaire, au détriment de l’aspect politique et donc d’une perception positive par les populations locales et par les autorités des pays du Sahel. Lorsqu’un dispositif militaire étranger, de surcroît venant de l’ancienne puissance coloniale, se maintient près de dix ans, la perception négative s’accroit, le retour de l’armée ex-coloniale étant perçu en soi comme une humiliation.

D’autre part, la population n’a pas compris que l’armée française, avec ses moyens techniques, ne parvienne pas à éliminer l’insécurité comme l’avait pourtant annoncé le président Hollande en visite au Mali en 2014. À cela s’est rajoutée une communication probablement mal adaptée de la part de la France.

En outre, une erreur initiale a pesé lourdement. En 2013, l’opération « Serval » a soutenu le mouvement touareg séparatiste du MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad) à Kidal, non pas pour soutenir le séparatisme, mais parce que les autorités françaises croyaient que ces rebelles pouvaient aider à combattre les djihadistes. Cette mauvaise prise en compte du contexte politique local a donc hérissé l’opinion publique au nom de la violation de la souveraineté nationale.

Depuis, l’incompréhension a tourné à l’hostilité à l’égard de la politique française dans des franges importantes de la population, à laquelle font écho les accusations publiques du Premier ministre malien Choguel Maïga à la tribune des Nations Unies (25 septembre 2021). Il a ainsi accusé la France « d’abandon en plein vol », de « décisions unilatérales » et a par ailleurs suggéré une duplicité française à Kidal.

Les autorités maliennes ont depuis approché Moscou pour rechercher une alternative à Paris. Mais la Russie ne souhaite apparemment pas s’embourber au Mali et a recommandé ses mercenaires de la société privée Wagner. Cette possibilité présenterait néanmoins un coût financier et diplomatique très élevé pour Bamako, ces mercenaires étant rejetés par les partenaires du Mali. De plus, le résultat n’est pas garanti, comme on a pu le constater en Libye, où 1200 mercenaires russes n’ont pas réussi à donner la victoire au maréchal Haftar dans son offensive contre Tripoli au printemps 2021.

0
Votre panier