Plusieurs facteurs seraient favorables à la paix : le désengagement américain de la région, qui force les acteurs régionaux à se parler à nouveau ; le retour à la table des négociations de l’Iran dans le cadre de l’accord nucléaire qui pourrait inciter Téhéran à donner des gages sur le Yémen ; le rôle de médiateur d’Oman… Qu’en pensez-vous ?
S’il était véritable, sincère et efficace, le « désengagement » américain forcerait certainement l’Arabie saoudite à chercher un plan de paix pour sortir de sa situation délicate. Si cette dernière veut trouver une porte de sortie, elle devra s’adresser directement aux Houthis et donc entamer des pourparlers sur un agenda et des points précis, comme l’arrêt du blocus aérien et maritime. Dans plusieurs déclarations, et avec le cynisme qu’on lui connait, la République islamique d’Iran a souligné qu’elle ne veut pas interférer dans le conflit yéménite et que toute décision ne peut être prise qu’au Yémen. Quant au Sultanat d’Oman, depuis le début du conflit, il a largement œuvré en qualité d’intermédiaire mais ce n’est manifestement qu’un « honnête messager » et rien d’autre.
La question de l’après-conflit et de la reconstruction du pays s’est-elle déjà posée ?
La reconstruction du Yémen est un enjeu global, car il s’agit à terme de la survie de 35 millions de personnes arabo-musulmanes vivant au sud de la péninsule Arabique, et l’ONU a qualifié la situation actuelle dans le pays de « pire crise humanitaire au monde ». La coalition dirigée par le Royaume d’Arabie saoudite est principalement responsable de tout ce que la majorité de la population du Yémen, qui se concentre au Nord, a enduré et perdu pendant ces années de guerre, y compris la destruction des infrastructures par les bombardements intensifs et souvent aveugles. Après avoir dépensé sans compter des milliards de dollars pour une aventure guerrière largement injustifiée et totalement inefficace, il faudra bien que l’Arabie saoudite « achète la paix » pour préserver sa frontière sud et évite que les haines générées par l’actuel conflit ne suscitent à terme un « abcès de fixation » qui fragiliserait son développement futur.
Les velléités indépendantistes du Sud pourraient-elles prolonger le conflit ?
Le Yémen du Sud a eu une occasion de faire sécession quand le gouvernement autoproclamé d’Ansar Allah [Houthis] était occupé par les conflits au nord avec l’Arabie saoudite. Le Conseil de Transition du Sud, qui prône l’indépendance du Sud, et donc la scission du pays, a bénéficié d’un soutien illimité des Émirats. Les récentes déclarations d’Aidarous al-Zubaidi, le principal leader du CTS, soutenant la normalisation des relations diplomatiques de plusieurs monarchies du Golfe avec Israël, l’a largement discrédité parmi les principales tribus yéménites du Sud du pays.
Dans sa volonté de jouer un rôle régional dans la zone d’insécurité globale que représentent le golfe d’Aden, le détroit de Bab-el-Mandeb et les pays riverains de la Corne de l’Afrique (État failli en Somalie, guerres intérieures en Éthiopie ou conflits larvés en Érythrée et au Soudan), les EAU ont manifestement souhaité disposer des ressources stratégiques considérables que représentent les côtes yéménites et leurs ports. S’assurer d’un « allié soumis » au Yémen du Sud leur aurait permis de disposer d’une « profondeur stratégique » pour asseoir leurs velléités de « protection régionale » au profit du commerce maritime mondial et du transit du pétrole et du gaz passant par la mer Rouge et le canal de Suez.
Propos recueillis par Thomas Delage
Yémen
Chef de l’État : Abd Rabbo Mansour Hadi (depuis le 25 février 2012)
Chef de gouvernement : Maïn Abdelmalek Saïd (depuis le 18 octobre 2018)
Superficie : 527 968 km2 (49e rang mondial)
Capitale : Sanaa
Population : 30 millions d’habitants
Religion : Musulmans : 99 % (65 % sunnites, 35 % chiites).
Le conflit
Intensité : Niveau 5 (guerre)
Objet : Système/idéologie, pouvoir national, prédominance sous-nationale, sécession
Parties au conflit : Ansar al-Sharia VS gouvernement, Southern Mobility Movement
et
Al-Houthi, troupes loyales à l’ancien président Saleh VS gouvernement, coalition menée par l’Arabie saoudite, forces de résistance populaire, forces tribales
et
Al-Hirak VS gouvernement
Durée : Depuis 1992 et 2004
Autres conflits : 2
Sources : HIIK, CIA, Council on Foreign Relations
Légende de la photo en première page : En sept ans, la guerre du Yémen aura causé la mort de 377 000 personnes d’ici à la fin de l’année 2021. Selon des estimations publiées par l’ONU, 150 000 personnes seraient mortes en raison des combats et environ 227 000 personnes à cause des conséquences indirectes du conflit, comme la famine ou les maladies. (© Shutterstock)