Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Irak : stabilité précaire et montée en puissance d’un ordre politique pro-iranien

En conséquence, malgré leur maitrise du terrain, les groupes pro-iraniens se sont retrouvés défavorisés dans le jeu politique. D’une part, il a été impossible pour la coalition Al-Fattah de mener une campagne électorale efficace ni de présenter un programme politique concret, au-delà de revendiquer la défense du pays contre les ingérences occidentales. L’unité politique de la coalition milicienne a même conduit à plusieurs défections comme les milices fidèles à la marjariya en avril 2020 (3), ou le groupe Katai’b Hezbollah qui établit son propre parti, Al-Houqouq, peu avant les élections de 2021. D’autre part, l’absence de coordination rend difficile l’adoption au nouveau type de scrutin dont les règles évoluent. Contrairement aux élections de 2018 où le système de liste a permis de présenter plusieurs candidats autour d’un consensus large, en 2021, la création de 83 districts électoraux et le mode de scrutin individuel ont exacerbé la compétition entre milices. Dans ce contexte, la forte coercition exercée contre la population n’a pu empêcher la multiplication des candidats par districts et une dispersion des votes. Malgré un nombre de voix relativement élevé — plus de 450 000 —, la coalition Al-Fattah se retrouve ainsi être le cinquième bloc parlementaire au Parlement.

Toutefois, ce revers électoral est loin de signifier la fin de la domination des milices pro-iraniennes sur le système politique irakien. Fortes de leurs moyens de pression, elles restent un acteur central de la scène politique et démontrent leur capacité de déstabilisation via l’organisation de manifestations ou la tentative d’assassinat contre le Premier ministre Kadhimi, début novembre 2021. De plus, leur alliance élargie aux organisations chiites soutenues par l’Iran, notamment avec le groupe de l’ex-Premier ministre Nouri al-Maliki, leur permet in fine de constituer un large bloc parlementaire et d’obtenir plusieurs ministères. Bien que sur la défensive, les groupes armés pro-iraniens continuent ainsi à s’imposer tant sur le plan sécuritaire que politique.

<strong>Repères</strong>

Notes

(1) Créées en Iran en 1982, les brigades Badr, dirigées par Hadi al-Ameri, représentent la plus puissante milice irakienne. Elles participent à la guerre contre le régime de Saddam Hussein et s’installent en Irak en 2003. En 2009, elles se constituent en parti politique tout en continuant à disposer de leur branche armée.

(2) Cette tendance à l’accaparement néo-patrimonial des ressources étatiques est une pratique courante de la vie politique irakienne, directement héritée du régime de Saddam Hussein : les organisations politiques détournent les ressources de l’État pour accroitre leur influence sur la société. (Arthur Quesnay, La guerre civile irakienne, Paris, Karthala, 2021.)

(3) Les « milices des sanctuaires » (ataba), pro-Sistani, annoncent leur volonté de se retirer des PMF en avril 2020 en signe de défiance à la domination des groupes pro-iraniens.

Légende de la photo en première page : Le 7 novembre 2021, des membres de la police anti-émeute se tiennent à proximité de la Zone verte ultra-sécurisée de Bagdad, après une tentative d’assassinat du Premier ministre irakien Moustafa al-Kadhimi. Ce dernier est sorti indemne de cette attaque perpétrée par un drone visant sa résidence officielle, dans un contexte de fortes tensions après les élections législatives dont les résultats sont contestés par les factions chiites pro-Iran. (© Xinhua)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°65, « L’état des conflits dans le monde », Décembre 2021 – Janvier 2022.

À propos de l'auteur

Arthur Quesnay

Docteur en science politique (Paris-1 Panthéon-Sorbonne). Auteur de La guerre civile irakienne : ordres partisans et politiques identitaires à Kirkouk (Karthala, juin 2021) et avec Adam Baczko et Gilles Dorronsoro, Syrie, anatomie d’une guerre civile (CNRS éditions, 2016).

0
Votre panier