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L’Europe et sa défense. La nouvelle coalition allemande est-elle une bonne nouvelle pour la défense européenne ?

À la suite des élections législatives de septembre 2021, l’Allemagne vient de se doter d’un nouveau gouvernement de coalition. Le contrat de coalition adopté le 5 décembre 2021 trace les grandes lignes de la politique allemande pour les quatre années à venir, et les questions européennes figurent en bonne place au sein de ce document. Mais qu’en est-il de la défense européenne ?

Le gouvernement « feu tricolore » signifie-t‑il un feu vert pour la défense européenne ?

Le nouveau gouvernement allemand issu des urnes en 2021 forme une coalition de type « feu tricolore » (Ampelkoalition) constituée des sociaux-­démocrates (SPD), des libéraux (FDP) et des Verts. Des ministères clés comme celui des Affaires étrangères, des Finances ou de la Défense changent ainsi de titulaires, ce qui peut engendrer des changements de perspectives en matière de défense européenne. En particulier, le ministère de la Défense, troisième portefeuille du gouvernement et ministère régalien dont le nom du titulaire n’est pas encore connu à l’heure où ces lignes sont rédigées, reviendra à un social-­démocrate (1), ce qui peut infléchir la façon dont l’Allemagne perçoit son rôle en matière de défense européenne. Si la ministre précédente, Annegret Kramp-Karrenbauer, avait exprimé une claire défiance à l’égard de la notion d’autonomie stratégique européenne, allant jusqu’à qualifier celle-ci d’illusion qui devait cesser à l’automne 2020 (prenant ainsi le contre-­pied de la conception française), l’alternance politique au Bendler Block (2) pourrait donc constituer une bonne nouvelle pour le chantier de l’autonomie stratégique européenne et le rôle du couple franco-allemand en matière de PSDC dans la mesure où les sociaux-­démocrates allemands, s’ils demeurent attachés à l’OTAN, ont exprimé ces dernières années des positions largement favorables au développement de la défense européenne.

Ils ont, en avril 2020 par exemple, fortement critiqué le choix du gouvernement allemand précédent d’opter, dans le cadre du renouvellement de sa flotte aérienne militaire, pour un panachage entre des avions de chasse européens et américains (93 Eurofighter et 45 avions américains F‑18). Or ce choix avait justement été opéré par les conservateurs afin de manifester leur lien indéfectible avec l’Alliance atlantique et le partenaire américain. On peut donc espérer, et c’est en substance ce qu’indique le contrat de coalition dans ses lignes consacrées à la défense européenne, un engagement plus marqué pour la défense européenne, même si le document montre clairement une volonté de développer les aspects civils de la PSDC tandis que les aspects militaires sont abordés de façon plus évasive. De même, la nouvelle coalition tricolore plaide dans son contrat de gouvernement pour davantage d’indépendance dans la politique de défense de l’UE à travers l’action du couple franco-allemand, pour plus de coopération en matière d’armement et pour une réduction des dépenses réalisées en doublon, mais tout en continuant de considérer l’OTAN comme la garantie de sécurité du continent européen. Dès lors, un certain nombre de sujets pourraient causer des frictions avec les partenaires européens, et en particulier la France, risquant de limiter les futures avancées de la défense européenne.

Des sujets à fort potentiel polémique

En premier lieu, même s’il semble évident que le renforcement de la défense européenne, en particulier avec la boussole stratégique qui devrait être adoptée sous la présidence française de l’UE en 2022, ne passera pas prioritairement par plus d’interventions militaires européennes sur des théâtres de conflits, la nouvelle coalition allemande se caractérise, bien davantage que les conservateurs de la CDU, par une culture politique de la retenue. Même si l’ironie de l’histoire a voulu que le chancelier social-­démocrate Schröder soit le premier à faire intervenir des soldats allemands en dehors de leur territoire lors de la guerre du Kosovo en 1998, après la levée des restrictions constitutionnelles qui pesaient jusqu’à lors sur le déploiement extérieur des militaires allemands, rien ne garantit que le gouvernement d’Olaf Scholz envisage de futures interventions militaires européennes d’un bon œil. Les sociaux-démocrates et plus encore les Verts allemands sont en effet les deux partis les plus critiques au Bundestag quand il s’agit d’approuver les opérations extérieures auxquelles doit contribuer la Bundeswehr.

En outre, les partis majoritaires de cette nouvelle coalition ont renouvelé leur souhait d’introduire un contrôle européen strict et contraignant des exportations d’armements à destination de pays tiers. Cela risque de rendre très difficile l’exportation de futurs armements produits en commun tels que l’avion de combat franco-­allemand, actuellement en chantier dans le cadre du Système de combat aérien du futur (SCAF) notamment. De même, la question de l’armement des drones, auquel les Verts sont fortement opposés et point sur lequel la SPD est très divisée, va inévitablement entraîner des discussions complexes avec les partenaires européens de l’Allemagne concernant le futur drone européen.

Enfin, d’un point de vue budgétaire, la Bundeswehr pourrait, avec l’accession au ministère des Finances fédéral du libéral Christian Lindner, très soucieux de rigueur budgétaire, perdre les marges de manœuvre acquises ces dernières années. Si la coalition tricolore paraît résolument tournée vers la construction européenne, il semble cependant inévitable que les questions de défense suscitent des discussions animées avec les partenaires de l’Allemagne au sein de l’UE.

Notes

(1) Des noms tels que celui de Lars Klingbeil (qui devrait finalement prendre la tête de la SPD) ou encore de l’experte en matière de défense Siemtje Möller ont été avancés.

(2) Il s’agit du siège du ministère fédéral de la Défense à Berlin.

Légende de la photo ci-dessus : Un Typhoon allemand engagé dans l’exercice « Blue Flag 2021 ». (© Bundeswehr)

Article paru dans la revue DSI n°157, « Ukraine : prête à combattre ? », Janvier-Février 2022.
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