Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Corée du Nord : où en est la péninsule ?

Premiers pas de l’administration Biden sur le dossier nord-coréen

En mars dernier, la Corée du Nord avait procédé au lancement de deux missiles balistiques à courte portée, première provocation depuis l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis. Biden avait considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’affoler, qu’il ne s’agissait que de « business as usual » (3).

Le mois suivant, la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a officiellement présenté la ligne politique adoptée par les États-Unis vis-à-vis de la Corée du Nord : il s’agira de poursuivre une « approche pratique calibrée, ouverte à la diplomatie » pour réaliser des « progrès concrets » afin d’accroître la sécurité des États-Unis et de leurs alliés (4). Psaki a précisé que l’objectif « rest[ait] la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », conformément aux éléments de langage de la déclaration conjointe signée par Donald Trump et Kim Jong-un lors du sommet de Singapour en juin 2018. L’administration Biden inscrit donc sa stratégie dans la recherche d’un juste milieu entre l’ambition de « grand bargain » de Trump et la « patience stratégique » d’Obama avec pour but d’éviter les écueils de l’une et l’autre approches.

Mais le temps est précieux, plus encore lorsqu’il s’agit de la Corée du Nord qui n’en perd pas. Or différer trop longtemps la reprise du dialogue pourrait pousser la Corée du Sud, voire le Japon à considérer, à leur tour, l’acquisition d’armes de destruction massive — par-delà le mandat du nouveau Premier ministre japonais, Kishida Fumio, élu en octobre 2021 et très hostile aux armes nucléaires.

Séoul et Tokyo face à Pyongyang : main tendue et poing armé

Avec un mandat touchant bientôt à sa fin, le président sud-coréen Moon Jae-in souhaite laisser un bilan positif de sa politique d’engagement avec Pyongyang. Mais après les résultats mitigés des multiples sommets intercoréens, la position de Séoul se teinte de Realpolitik qui rend la lisibilité de ses objectifs moins claire. D’un côté le gouvernement Moon continue de tenter de ramener Pyongyang à la table des négociations, mais de l’autre il se livre à une course aux armements qui pourrait être le catalyseur d’une nouvelle crise sur la péninsule coréenne.

Cette rivalité s’est illustrée de manière flagrante en septembre dernier lorsque, le même jour, Pyongyang lançait deux missiles balistiques à courte portée puis, à peine quelques heures plus tard, Séoul procédait à son tour au test de lancements de missiles SLBM. La coïncidence entre les deux tests augure d’un risque d’escalade des tensions si une solution diplomatique n’est pas trouvée au plus vite. En effet, malgré sa volonté de réconciliation avec la Corée du Nord, le gouvernement Moon a augmenté son budget de défense de 7 % en moyenne par rapport aux 4,1 % en moyenne de son prédécesseur, Park Geun-hye. Fort de cette hausse budgétaire, Korea Aerospace Industries a dévoilé en août 2021 un nouvel avion de chasse supersonique KF-21 qui a nécessité un investissement de 7,8 milliards de dollars. Le pays a aussi développé le missile balistique Hyunmoo-4 capable de frapper le territoire nord-coréen.

Du côté de Tokyo, l’ancien Premier ministre Suga Yoshihide a été le premier dirigeant étranger reçu à la Maison-Blanche en avril. Suga et Biden ont réaffirmé l’importance de l’alliance militaire entre le Japon et les États-Unis, qui constitue la pierre angulaire du maintien de la paix et de la sécurité dans la région. Le Japon a aussi inscrit sa stratégie dans un contexte plus large : le Quadrilateral Security Dialogue ou « Quad », qui allie les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon dans le but de promouvoir le concept géostratégique de « Free and Open Indo-Pacific  ». Les quatre leaders se sont engagés en mars dernier à réaliser la « dénucléarisation complète de la Corée du Nord [et] la résolution immédiate de la question des Japonais victimes d’enlèvements » par le régime nord-coréen (5). Ces éléments de langage révèlent que derrière la déclaration du Quad du 12 mars 2021, ce sont les intérêts de Tokyo qui sont garantis, tout comme derrière la mise sous pression de Pyongyang, c’est bien l’influence de Pékin, son plus proche allié, qui est indirectement visée.

Tokyo a fermement condamné les tirs de missiles balistiques du 15 septembre qui ont terminé leur course dans la ZEE japonaise. Dans son Livre blanc de la défense 2021, le gouvernement japonais avait (de nouveau) désigné la Corée du Nord comme une « menace grave et imminente pour la sécurité » du pays (6). Le Diplomatic Bluebook du ministère des Affaires étrangères 2020 qualifiait de « totalement inacceptables » les lancements de missiles balistiques nord-coréens (7). Cependant, le Japon reste ouvert à un dialogue avec Pyongyang. Ainsi, en septembre 2021, Funakoshi Takehiro, directeur du Bureau des affaires asiatiques et océaniennes du ministère japonais des Affaires étrangères et chargé des relations avec la Corée du Nord, a rencontré les envoyés spéciaux sud-coréen et américain pour la Corée du Nord, Noh Kyu-duk et Sung Kim, afin de discuter de l’aide humanitaire et d’autres initiatives visant à encourager le retour de Pyongyang dans le dialogue.

Quelles perspectives ?

À court terme, le régime nord-coréen tient « la politique hostile des États-Unis » pour responsable des tensions sur la péninsule coréenne. Il s’agit là d’un leitmotiv employé afin de justifier la réticence de la Corée du Nord à dialoguer. Signe d’un durcissement de ligne, Choe Son-hui, vice-ministre des Affaires étrangères en charge des dernières négociations avec les États-Unis, a été démise de ses fonctions au sein de la Commission des Affaires d’État en septembre, alors que Kim Yo-jong, très critique envers Washington, en est devenu membre. Quant au rétablissement des lignes de communication avec Séoul, il constitue avant tout un moyen pour Pyongyang de continuer à peser dans la relation triangulaire entre les deux Corées et les États-Unis, sans engagement. À moyen terme, il faut s’attendre à ce que la Corée du Nord se concentre sur les objectifs technologiques qu’elle s’est fixés en matière de développement de son arsenal balistique. Si, en parallèle, Washington n’envoie pas de signal fort tel qu’une proposition de levée partielle des sanctions économiques, pierre d’achoppement des dernières négociations bilatérales, les tensions sur la péninsule coréenne pourraient perdurer. Adopter une posture « pratique » nécessitera pour l’administration Biden d’aborder les futures négociations sur la base d’un contrôle des armements à moyen terme, pour, à long terme, viser la dénucléarisation.

<strong>Repères</strong>

Notes

(1) KCNA, « Great Programme for Struggle Leading Korean-style Socialist Construction to Fresh Victory On Report Made by Supreme Leader Kim Jong Un at Eighth Congress of WPK », 9 janvier 2021.

(2) KCNA, op. cit.

(3) The White House, « Remarks by President Biden After Marine One Arrival », 24 mars 2021.

(4) The White House, « Press Gaggle by Press Secretary Jen Psaki Aboard Air Force One En Route Philadelphia, PA », 30 avril 2021.

(5) The White House, « Quad Leaders’ Joint Statement : “The Spirit of the Quad” », 12 mars 2021.

(6) Japan Ministry of Defense, « Defense of Japan 2021 », p. 97.

(7) Ministry of Foreign Affairs of Japan, « Diplomatic Bluebook 2020 », p. 32.

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°65, « L’état des conflits dans le monde », Décembre 2021 – Janvier 2022.

À propos de l'auteur

Raphaëlle Pierre

Doctorante en science politique à l’Inalco.

À propos de l'auteur

Guibourg Delamotte

Maître de conférences habilitée à diriger les recherches à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

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