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« Boussole stratégique » : bon cap ou désorientation ?

L’Union européenne a toujours été très talentueuse à produire de grands textes, de nouveaux concepts et autres stratégies et bien des traités. Parfois, le poids des mots dépassait leurs applications concrètes tardant à venir. Une lourdeur assurée, mais une volonté de bien faire et surtout l’obligation d’aboutir à un consensus entre les États membres.

Le 6 mars 2020, les « 27 » ministres de la Défense (sans le Royaume-Uni, vu le Brexit) ont donné le départ d’une nouvelle réflexion dénommée « boussole stratégique » proposée en 2019 par l’Allemagne. Il s’agit de tenter de sortir de la « théorie de la stratégie globale », jugée trop vague, pour aller vers une mise à jour plus concrète sans vouloir aboutir à un Livre blanc de la sécurité-défense, ce « monstre du Loch Ness » jamais élaboré (1). Mais, d’évidence, à la lecture de la méthodologie, des objectifs et des résultats souhaités de ladite boussole, cela semble en être un, à la condition que le doctrinal tout comme le caractère concret des lectures et des mesures soient bel et bien fortement présents.

Ce document sera « un document politique et stratégique pour définir au mieux les objectifs de sécurité et de défense, identifier les menaces et donner un nouvel élan à nos initiatives » (Josep Borrell, haut représentant). Il devrait être valide pour cinq à dix ans ! Cependant, pour la vice-présidente de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen, la « boussole stratégique » ne doit pas s’arrêter après son achèvement, mais « devra se poursuivre dans le temps et être régulièrement révisée  ». L’analyse de la menace a déjà été finalisée en priorité, base sur laquelle les objectifs de la « boussole stratégique » seront aussi fixés. Confidentiel dans son contenu – mais certaines réalités sont déjà bien connues –, le document indique que les menaces sont régionales, transverses, incluant aussi une analyse prospective. Ce fut un travail à 360° sans « surfocalisation » sur une zone ou un pays, prospectif à dix ans, synthétique (50 pages) et technique (sans débat politique).

Les « paniers »

Trois grandes priorités sont déjà fixées par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) : répondre aux conflits et crises externes, renforcer les capacités des partenaires et protéger l’Union et ses citoyens. Le tout sous la responsabilité des capitales qui élaboreront (avec l’aide du Service européen) les documents de travail, les non-papers et enfin le document final dans un esprit intergouvernemental autour de quatre « paniers » : gestion de crise, partenariats, capacités et résilience. Le résultat du travail de la « boussole stratégique » permettra d’identifier les besoins de défense et de sécurité (gestion des crises de la PSDC ; développement capacitaire et coopération de défense ; soutien aux partenaires extérieurs ; protection et résilience face au cyber, climat, nouvelles technologies et menaces hybrides).

À propos de l'auteur

André Dumoulin

Politologue de défense, André Dumoulin est chercheur à l'Institut Royal Supérieur de Défenses (IRSD) à Bruxelles et chargé de cours à l'Université de Liège (ULg). La politique européenne de sécurité et de défense, les interactions UE-OTAN et UE-UEO, les politiques de dissuasion et les doctrines nucléaires, la politique de sécurité et de défense de la Belgique sont ses domaines de compétences et de recherche.
Il est également membre du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (RMES), dont il est directeur de collection, et collabore régulièrement à l’Annuaire français de relations internationales (AFRI), à la Documentation française et à la revue Défense et sécurité internationale (DSI).

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