Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Israël en 2021 : fort de six alliés arabes, mais face aux six armées de Téhéran

Dernier revirement de taille : c’est désormais l’Iran — même plus un État arabe — qui soutient prioritairement les deux mouvements précités. En un demi-siècle, tous les paramètres identitaires (nationalité, ethnicité, idéologie, structure, etc.) de « la menace » ont évolué depuis la perspective israélo-centrée.

Depuis lors, les années 2000 et 2010 n’ont cessé de voir la guerre dite « asymétrique » s’imposer par défaut, et donc les phénomènes miliciens proliférer. La République islamique d’Iran, acculée par des décennies de sanctions économiques, s’est imposée en champion de ce type de conflit. Et son leadership militaire se targue désormais d’avoir créé six « armées » en dehors d’Iran pour protéger Téhéran face à « l’impérialisme américano-sioniste » : le Hezbollah au Liban, les forces pro-gouvernementales en Syrie, le Hamas à Gaza, le Jihad Islamique en Cisjordanie, les Houthis au Yémen et les Forces de la mobilisation populaire (al-Hashd al-Shaabi) en Irak (2). Si cette déclaration est fort démagogique, elle n’est pas non plus déconnectée de la réalité. Dans un cas comme dans l’autre, elle rappelle que c’est bien l’Iran qui reste la bête noire actuelle d’Israël. Plus spécifiquement, l’obsession se porte vers l’avancée de son programme nucléaire (associé à une multitude d’installations souterraines) et la sophistication de son arsenal de missiles (notamment distillé vers ses « proxies  »). Bien entendu, les débats internationaux persistent quant au degré de posture défensive (clamée par Téhéran) ou offensive (clamée par Israël) qui se cache derrière chacun de ces maillons. Bien que les capacités militaires de l’ensemble de ces acteurs aient crû au fil des dernières années (surtout dans le contexte des guerres en Syrie et au Yémen), deux acteurs se sont distingués par rapport à Israël en 2021 : le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien.

Le « Parti de Dieu », toutes proportions gardées, est resté la principale source de préoccupation pour l’état-major israélien. Même si le front libanais est resté relativement calme en 2021, le mouvement dirigé par Hassan Nasrallah n’a cessé de renforcer la stature régionale de sa composante armée, la Résistance islamique. Traditionnellement estimée à 25 000 combattants de carrière à temps plein (et de 25 000 autres réservistes), celle-ci compterait désormais 100 000 hommes entraînés selon une déclaration récente du célèbre « Sayyed ». Ce chiffre est probablement exagéré, fruit d’un empilement de tensions internes au Liban qui laisse planer de plus en plus le spectre d’une nouvelle guerre civile intercommunautaire. Quoi qu’il en soit, c’est également cette Résistance islamique qui détiendrait quelque 120 000 projectiles — roquettes et missiles confondus — déployés derrière une ligne de front qui transcende les territoires libanais et syrien, d’où la campagne de bombardements — discrète mais soutenue — qu’y mène la FAI depuis 2013 (3). Orientés vers Israël et théoriquement capables d’en atteindre n’importe quelle localité, ces trop nombreux missiles sont toujours en mesure de — temporairement mais significativement — submerger le système de défense antimissile de l’État hébreu (qui continue donc d’améliorer son « Dôme de Fer » au fil des échanges de tirs — plus réguliers mais moins risqués — avec Gaza). L’un dans l’autre, les incidents concrets sur le front nord en 2021 se sont limités à une poignée de drones abattus et à quelques étincelles entre artilleurs au mois d’août. Si les risques d’escalade locale restent présents, la situation nationale dramatique du Liban et la tentative de relance régionale de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) ont manifestement amené les belligérants concernés à ne pas mettre le feu aux poudres… jusqu’à présent.

Le Hamas a quant à lui créé la surprise dans le sillage de la « mini-guerre » de Gaza du 10 au 21 mai 2021. Le mouvement d’Ismaïl Haniyeh, particulièrement affaibli au lendemain des printemps arabes (et du bref « moment Frères musulmans »), n’a certes pas glané une victoire éclatante à l’issue d’un conflit qui a occasionné 248 victimes palestiniennes, soit dix fois plus que du côté israélien. Les hostilités lui ont en outre coûté de nombreuses munitions et infrastructures. Ceci dit, il a néanmoins réussi à sortir de l’ombre et à frapper les esprits en tirant 4300 projectiles à un rythme surprenant et à une distance inédite. Si le Dôme de Fer s’est montré redoutable, il ne s’est pas révélé infaillible. Plus alarmant encore pour Tel Aviv : les violences civiles se sont manifestées à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, mais également dans les villes mixtes à l’intérieur même du territoire israélien et dans des proportions graves. Le lien de confiance entre Israéliens juifs et Israéliens arabes en est ressorti sensiblement érodé, de sorte à empêcher le retour à un statu quo ante sur le plan citoyen. Israël a indubitablement gagné du temps — peut-être cinq ans ? — avant que le Hamas ne parvienne à renouveler son arsenal. Mais ce dernier s’est redonné des couleurs en se profilant comme le défenseur par excellence de la cause palestinienne, mais aussi désormais comme le défenseur de Jérusalem, un comble par rapport à la proximité de la (moribonde) Autorité palestinienne dont le siège se trouve à Ramallah.

Entretenant sa supériorité techno-militaire, jouissant d’une providentielle manne gazière et exploitant ses nouvelles alliances, l’acteur israélien se montre serein et continue de jouer la montre face à ses rivaux. Il est conscient du fait que la communauté internationale voit de plus en plus le conflit israélo-palestinien comme un contentieux latent et secondaire, surtout à l’aune des autres guerres de haute intensité qui ont récemment défiguré la Libye, la Syrie ou encore le Yémen. Il est par ailleurs de plus en plus convaincu qu’il doit assurer sa sécurité en solo, avec ou sans aide américaine, avec ou sans caution européenne.

À propos de l'auteur

Didier Leroy

Chercheur à l'Institut royal supérieur de défense (IRSD) en Belgique, Didier Leroy est également chercheur associé à l'Université libre de Bruxelles (ULB) et à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est notamment l’auteur de deux ouvrages sur le Hezbollah.

0
Votre panier