Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Israël en 2021 : fort de six alliés arabes, mais face aux six armées de Téhéran

Un double complexe obsidional en évolution

Bien des choses ont changé depuis la « doctrine de la périphérie » telle que pensée par David Ben Gourion. S’identifiant toujours à l’emblématique forteresse de Massada, l’État hébreu continue de s’emmurer le long de ses lisières palestiniennes et libanaises, mais parvient pourtant à déplacer son limes anti-iranien au sein du monde arabe. Ces développements continuent de faire évoluer le paramétrage d’un complexe obsidional (4) partagé par l’État d’Israël et la République islamique d’Iran.

D’un côté, la « citadelle » israélienne se retrouve de plus en plus assiégée par le réseau milicien pro-iranien évoqué précédemment. Si le Hezbollah libanais reste le principal levier de proximité dont dispose Téhéran le long de son corridor terrestre ad Mediterraneum, le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) aime rappeler qu’il est également en mesure de frapper là où l’ennemi ne s’y attend pas. Si cela peut à la fois tout et rien dire, Israël doit continuer de prendre en compte un scénario de coordination ennemie maximale qui l’exposerait à des tirs fournis et synchrones en provenance des territoires palestiniens, du Liban, de Syrie, d’Irak, d’Iran et du Yémen.

De l’autre côté, la « citadelle » iranienne — notoirement encerclée de bases militaires américaines — se retrouve de plus en plus en tête-à-tête avec les nouveaux partenaires de l’ennemi existentiel israélien. Si l’acteur émirati ressort, à ce stade, comme la pièce maîtresse de cet échiquier en reconfiguration, il n’est pas le seul atout dont Tel Aviv pourrait faire usage à moyen terme. L’approfondissement des liens d’Israël avec l’Azerbaïdjan, voire sa participation à l’intriguant « Middle East Quad » (avec les USA, les EAU et l’Inde) sont autant d’initiatives « minilatérales » susceptibles de venir s’inscrire dans ce cadre. Quoi qu’il en soit, l’Iran doit de plus en plus redouter de nouveaux scénarios de coordination ennemie qui pourraient permettre à la FAI d’anéantir ses ambitions nucléaires, comme ce fut le cas pour l’Irak en 1981 et pour la Syrie en 2007.

La polarisation régionale se poursuit donc, et c’est au Liban — paratonnerre régulier des tempêtes régionales — que se manifestent les premiers entrechocs alarmants. À l’heure où le pays souffre notamment d’une pénurie énergétique sans précédent, l’Iran s’y impose comme providentiel importateur de pétrole (en défiant Tel Aviv et Washington), tandis que l’Égypte et la Jordanie sont en phase d’y devenir respectivement les nouveaux fournisseurs de gaz et d’électricité (en accommodant Tel Aviv et Washington). À l’heure d’écrire ces lignes, les deux agendas semblent progresser, laissant présager une confrontation de plus en plus inéluctable au fur et à mesure que grossit le dilemme sécuritaire pour les deux protagonistes.

<strong>Diplomatie israélienne dans la région du Grand Moyen-Orient</strong>

Notes

(1) B. Caspit, « Israel, UAE send signal to Iran during Israeli air force drill », Al-Monitor, 26/10/2021 (https://​www​.al​-monitor​.com/​o​r​i​g​i​n​a​l​s​/​2​0​2​1​/​1​0​/​i​s​r​a​e​l​-​u​a​e​-​s​e​n​d​-​s​i​g​n​a​l​-​i​r​a​n​-​d​u​r​i​n​g​-​i​s​r​a​e​l​i​-​a​i​r​-​f​o​r​c​e​-​d​r​ill).

(2) R. Taha, « We have established six armies outside our borders : Iranian military commander », Al-Arabiya, 27/09/2021 (https://​english​.alarabiya​.net/​N​e​w​s​/​m​i​d​d​l​e​-​e​a​s​t​/​2​0​2​1​/​0​9​/​2​7​/​W​e​-​h​a​v​e​-​e​s​t​a​b​l​i​s​h​e​d​-​s​i​x​-​a​r​m​i​e​s​-​o​u​t​s​i​d​e​-​o​u​r​-​b​o​r​d​e​r​s​-​I​r​a​n​i​a​n​-​m​i​l​i​t​a​r​y​-​c​o​m​m​a​n​der).

(3) Depuis le début de l’année, Israël aurait bombardé des cibles en territoire syrien à plus de vingt reprises. Voir « Since early 2021, Israeli attack Syrian territory on 23 occasions, destroying over 65 targets and killing nearly 120 people », Syrian Observatory for Human Rights, 03/11/2021 (https://​www​.syriahr​.com/​e​n​/​2​2​7​3​14/).

(4) R. Delcorde, « Où va l’Iran ? », Centre d’étude des crises et conflits internationaux, Université catholique de Louvain, Note d’analyse no 70, septembre 2020, p. 32 (http://​cecrilouvain​.be/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​0​/​0​8​/​N​d​A​R​a​o​u​l​-​D​e​l​c​o​r​d​e​.​pdf).

Légende de la photo en première page : Le 15 mai 2021, un soldat israélien intervient en Cisjordanie lors d’affrontements. Cette année, la crise israélo-palestinienne a connu un regain de tension avec une série d’affrontements qui se sont déroulés lors du mois de Ramadan et dans un contexte de tensions religieuses exacerbées. Au cours de cette crise, lors de laquelle 4360 roquettes auraient été tirées en direction d’Israël depuis Gaza, au moins 256 Palestiniens ont trouvé la mort, plus de 1900 personnes ont été blessées et 72 000 ont été déplacées. Côté israélien, 14 personnes ont été tuées et 343 civils ont été blessés par des tirs ou lors des émeutes. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°65, « L’état des conflits dans le monde », Décembre 2021 – Janvier 2022.

À propos de l'auteur

Didier Leroy

Chercheur à l'Institut royal supérieur de défense (IRSD) en Belgique, Didier Leroy est également chercheur associé à l'Université libre de Bruxelles (ULB) et à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est notamment l’auteur de deux ouvrages sur le Hezbollah.

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