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Le modèle taïwanais, un hub technologique ?

D’ailleurs, il n’est pas possible d’évoquer Taïwan sans prendre en compte ses relations avec la Chine et de facto celles avec les États-Unis. Depuis plusieurs années, Taipei fait face à l’intensification des menaces par Pékin, qui ont pour but de l’isoler de la scène internationale et de réduire toute opportunité de reconnaissance comme État indépendant. De leur côté, les États-Unis apportent leur soutien, que ce soit pour renforcer la défense taïwanaise (11), ou encore dans le cadre des échanges commerciaux des technologies de pointe comme les semi-conducteurs. En réponse à cela, l’action chinoise tend à se durcir en s’illustrant par des opérations d’influence et de manipulation de l’information ainsi que par une forte activité militaire, qui portent à s’interroger sur la possibilité que cette île devienne non plus simplement une forme de guerre froide 2.0, mais une aire géographique d’affrontement. Concrètement, en un peu plus d’un an, la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) de Taïwan a été survolée une centaine de fois par des avions de chasse de l’Armée populaire de libération (APL), sans pour autant engendrer de représailles militaires, mais augmentant à chaque survol les tensions sino-américaines. De manière très récente, le dernier point d’achoppement concerne l’invitation faite à Taïwan, par le président américain Joe Biden, à participer au sommet pour la démocratie organisé en ligne (9 et 10 décembre 2021), ce qui montre toute la complexité de la zone grise où se situe Taïwan, notamment son statut d’indépendance insulaire et démocratique vis-à-vis de la Chine continentale (12).

Le fait que Taïwan ne soit pas reconnue en tant qu’État la prive de certaines prérogatives comme l’accès à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), position d’autant plus délicate lors d’une pandémie mondiale. Toutefois, Taïwan a fait preuve de résilience à l’aide de la technologie du numérique.

Big Data, santé et démocratie 2.0 : le cas du coronavirus 

De manière générale, les structures médicales taïwanaises profitent de la transformation numérique. À cet effet, les hôpitaux sont dotés d’équipements de précision, qui permettent d’augmenter la qualité des soins, et de dispositifs de santé personnalisés, tels que la mise en œuvre de systèmes intelligents pour les draps de lit, l’éclairage par LED, les fauteuils roulants intelligents, la reconnaissance de posture, ainsi que la mise en place de technologies sans fil pour la mesure des signes vitaux. Ces dispositifs montrent un cadre de santé extrêmement moderne où la technologie et la connectivité occupent une place centrale.

Pour revenir à ses défis passés, Taïwan a été déjà confrontée à des pertes résultant d’une crise sanitaire, notamment avec l’épidémie de SRAS (en 2002-2003). Qu’en est-il vingt ans plus tard ? La transformation numérique a été intégrée au secteur médical et privilégie la mise en place d’un large éventail d’applications numériques qui offrent des protocoles optimisés pour lutter contre le nouveau coronavirus (13). Cette nouvelle maîtrise de l’outil technologique, avec l’utilisation des Big Data, s’illustre dans de nombreux exemples : renforcement du contrôle des frontières à l’aide de fichiers de données personnelles, géolocalisation dans le cadre du suivi des personnes en quarantaine, traçabilité d’une éventuelle chaîne de contamination (exemple des 4 000 passagers du bateau de croisière Diamond Process), estimation des stocks de masques via l’intelligence artificielle (IA) et les lieux de distribution (plateforme digitale basée sur Google Maps, chatbots, assistants vocaux), utilisation de robots d’assistance médicale (14), etc.

Toutes les forces vives taïwanaises ont été mobilisées dans la lutte contre la Covid-19. À ce titre, il est possible de citer les travaux de l’Industrial and Technological Research Institute (ITRI), qui a développé avec succès un appareil médical d’analyse PCR portable (molecular rapid screening system) qui se substitue à une analyse en laboratoire et permet de détecter en seulement quarante minutes la présence du virus chez le patient (15). D’autres travaux ont été effectués par l’Epidemic Intelligence Center et la National Taiwan University et ont permis d’établir des recommandations sur les différentes actions à mener (traçage, confinement, quarantaine, etc.) à partir d’une étude des caractéristiques épidémiologiques de la transmission du virus, et surtout grâce aux Big Data (16).

Le numérique, associé à la santé, apparaît être un outil de taille. Toutefois, cette utilisation conjointe et hautement connectée laisse apparaître une forme de renoncement à certaines libertés individuelles, au profit du bien commun, et vient porter le débat sur l’acceptation sociale. À ce sujet, la réaction de la population taïwanaise peut être comparée à une « démocratie 2.0 », dans la mesure où elle s’est investie de manière très participative en donnant accès à ses propres données tout en recevant en retour l’ensemble des données collectées par Taipei (17). Cette convergence a permis aux autorités de se coordonner avec une plus grande efficacité pour lutter contre la Covid-19 mais aussi de faire face à l’afflux de fausses informations sur les réseaux sociaux (18) ; ce modèle ne semble pas pour autant réunir toute l’adhésion.

Un autre domaine d’intérêt suscite toute l’attention : le spatial, qui représente bien plus qu’un simple marché économique, dans le sens où sa maîtrise technologique est une démonstration de puissance d’un État souverain et gage de reconnaissance internationale.

Le secteur spatial, un domaine clé de développement futur

De manière rétrospective, le spatial taïwanais débute en 1999, avec le lancement à Cap Canaveral du premier satellite Formosat-1 (satellite de recherche dans les télécommunications) par l’Agence spatiale nationale (ASN). À la suite de cette première expérience, les satellites Formosat-2 (cartographie, 2004) et Formosat-3 (constellation de microsatellites, 2006) seront développés, toujours en collaboration avec des partenaires européens et américains. Dès 2017, une série de satellites voit le jour avec un changement notable : celle de la mise en lumière du nouveau savoir-faire des entreprises taïwanaises au niveau de la conception et de la fabrication d’un satellite. À titre d’exemples, le Formosat-5 représente cette évolution, ainsi que le développement du dernier satellite Formosat-7 (également appelé COSMIC-2, Constellation observing system for meteorology, ionospheric, and climate, 2019) (19), dont seul son lancement a été sous-traité par l’entreprise américaine Space X. Ce satellite a pour vocation de suivre les évolutions météorologiques et d’être un support à la préparation des catastrophes naturelles, au profit de Taïwan, et à terme, de servir également à l’ensemble de la communauté internationale. L’industrie spatiale taïwanaise est en marche ; d’ailleurs, elle est l’une des priorités du gouvernement, mais comment compte-t-elle relever plus encore ce défi ?

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