Après une période d’activité aérienne intense de l’aviation chinoise dans la zone d’identification de défense aérienne de la République de Chine (RDC, Taïwan), le ministre des Affaires étrangères chinois a déclaré que la République populaire de Chine (RPC) prendrait les mesures nécessaires pour écraser résolument toute tentative d’indépendance de Taïwan. Le ministre taïwanais de la Défense a quant à lui fait le constat que les relations entre les deux pays étaient au plus bas depuis 40 ans et que Pékin serait prêt à une invasion d’ici quatre ans.
Le maintien du statu quo, sous réserve que Taïwan ne déclare pas son indépendance, permettrait le maintien de la paix sans nuire aux économies très imbriquées des deux États. Il ne saurait cependant convenir durablement à Xi Jinping qui a fait inscrire, dans un livre blanc publié le 6 septembre 2011, que la réunification du pays fait partie des intérêts vitaux (core interest) de la Chine. C’est bien sûr Taïwan — principal verrou de la ligne d’îles qui sépare les mers de Chine de l’océan Pacifique — qui est principalement visée, ainsi que plus de 60 % de la mer de Chine méridionale et les hauts fonds qui s’y trouvent.
Pourtant, la situation économique et politique de la RPC s’est dégradée. La crise sanitaire de la Covid-19, largement imputée à la Chine par la communauté internationale, le rejet par de nombreux pays de la norme de télécommunication 5G de Huawei, les différents embargos américains, ainsi que les pénuries énergétiques résultant des sanctions qu’elle a imposées à l’Australie, pourraient induire un mécontentement de la population chinoise et du parti communiste, ce que Xi Jinping ne saurait tolérer.
Prenant avantage des très importants moyens militaires dont ce dernier a doté l’Armée populaire de libération (APL), et en particulier sa marine (APL-M), il pourrait être tenté de canaliser le ressentiment populaire et de désarmer ses opposants politiques en exacerbant le nationalisme et en précipitant une attaque de Taïwan par ses forces armées.
La RDC, à défaut de pouvoir vaincre militairement un agresseur beaucoup plus puissant, lui opposerait une défense active. Infliger des pertes suffisamment importantes suffirait à déconsidérer Xi Jinping et à gagner le temps nécessaire à la constitution d’un soutien international sous l’égide des États-Unis.
La défense de Taïwan
Pour dissuader la Chine d’attaquer, Taïwan doit démontrer qu’elle peut mettre à profit les vulnérabilités de l’APL et contrecarrer les avantages numériques et capacitaires de cette dernière. C’est pendant la traversée maritime du détroit de Taïwan qu’une flotte d’invasion sera la plus exposée. Les forces armées taïwanaises doivent donc tirer pleinement parti de la barrière naturelle que constitue ce bras de mer et du temps nécessaire pour le traverser.
Large de 65 milles nautiques (MN), c’est-à-dire 120 km, là où il est le plus étroit, ce détroit sépare la RPC de la RDC. Peu profond, il n’est pas favorable à la navigation sous-marine, mais est très propice à la guerre des mines. Contrairement au droit de la mer, la Chine considère qu’il fait partie de sa mer territoriale. Pour affirmer la liberté de navigation, des bâtiments de guerre des États-Unis et de leurs alliés le traversent régulièrement au grand dam de la RPC.
Un trafic maritime civil intense l’emprunte, ce qui empêche d’y mouiller préventivement des mines défensives en grand nombre. Cependant, Taïwan disposerait d’un millier de missiles antinavires Harpoon dont la portée permet de couvrir l’ensemble du détroit. Les batteries seraient camouflées à proximité de leurs pas de tir. La conjonction de ces deux types d’armes devrait théoriquement permettre de rendre périlleuse la traversée par une force de surface, même importante. Sans compter l’influence des conditions météorologiques qui peuvent interdire un débarquement sur une côte non équipée en cas de vagues déferlantes.
Taïwan a développé des missiles à longue portée capables de frapper les ports et les bases aériennes de l’APL. Ce faisant, elle espère contraindre l’ennemi à rassembler ses forces et sa logistique de combat le plus loin possible.
Dans un article publié en 2017, le quotidien singapourien The Straits Times révélait, selon le ministre de la Défense de la RDC, que Taïwan était capable de frapper la Chine continentale par des missiles dont la portée serait supérieure à 1500 km (810 MN).
Le 25 mars 2021, c’est le journal hongkongais South China Morning Post qui annonçait que Taïwan avait commencé la production en série d’un missile à longue portée qui aurait la capacité de frapper des cibles situées au cœur de la Chine continentale en cas de conflit.
En raison de la haute technologie dont dispose la RDC, ces informations sont plausibles et les sept îles artificielles construites par Pékin dans les îles Spratleys — qui font l’objet de différends maritimes tranchés en 2016 par une sentence de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye au détriment de la Chine — seraient alors à portée de tir depuis Taïwan.
Enfin, constatant l’écart de puissance grandissant entre les ordres de bataille des deux camps, Taipei a récemment modifié son concept opérationnel de défense en application de la stratégie militaire « défense résolue et dissuasion multidomaines (1) ». Il privilégie l’emploi de moyens de combat asymétriques contre les éléments qui parviendraient à franchir le bras de mer. Ce type de combat serait favorisé par une géographie très montagneuse dont un des sommets atteint 3952 m d’altitude. Seule la côte ouest, qui donne sur le détroit, est plate et facile d’accès par la mer.
Le programme de huit sous-marins, dont l’admission au service actif du premier est prévue en 2025, est maintenu en raison du potentiel de dissuasion face aux grandes unités et aux sous-marins chinois.
Quelle stratégie pour la Chine ?
Depuis que Mao Zedong a pris le contrôle de la Chine continentale en 1949, trois opérations militaires majeures ont été menées contre Taïwan et les quelques îles de moindre importance où s’était réfugié le Kuomintang. Les crises du détroit de Taïwan, de 1954-1955, 1958 et 1995-1996, ont échoué en raison de l’intervention de groupes aéronavals américains, plus puissants que les forces chinoises. La Chine a tiré les leçons de ces échecs cuisants et n’entamera pas d’hostilités sans disposer localement — et pendant le temps nécessaire — d’une supériorité numérique indiscutable dans tous les domaines de lutte. Une inconnue demeure : la compétence opérationnelle des équipages et des états-majors de l’APL-M. Faute d’avoir été engagée dans des opérations réelles de grande envergure, elle n’a pu être évaluée.
La Chine poursuit sans précipitation excessive un plan de développement de sa marine, entamé en 1978 quand Deng Xiaoping a décidé d’ouvrir le pays au commerce maritime mondial. Il préconisait alors : « Cachez votre force, attendez votre heure » pour éviter de susciter une opposition contreproductive des grandes puissances maritimes. À l’arrivée de Xi Jinping au poste de vice-président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois, en 2011, l’observation de ce précepte est devenue difficile en raison du nombre de bâtiments de guerre de son ordre de bataille, qui dépasse aujourd’hui celui des États-Unis, sans pour autant atteindre leur tonnage cumulé. Soigneusement planifiée, la cadence de production, inégalée dans le monde, est destinée à amener l’APL-M au premier rang mondial en 2035.