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Entretien avec Valérie Pécresse, candidate à l’élection présidentielle

Quant à l’« autonomie stratégique européenne », objet des incantations d’Emmanuel Macron, il y a eu seulement quelques timides avancées comme le Fonds européen de défense (FED) ou les co-opérations structurées permanentes. Simplement parce que la phrase de Clausewitz «  la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » est toujours d’actualité. La lourdeur des circuits décisionnels au sein de la PESC et la règle de l’unanimité rendent très difficiles des progrès rapides. Il ne faut pas trop attendre, à mon sens, de la « boussole stratégique » qui risque d’être un catalogue de vœux pieux.

Le défi des prochaines décennies sera de renforcer la notion d’Europe-­puissance, d’acquérir une culture de la souveraineté et d’alléger les modalités de décision. C’est un objectif à long terme que je poursuivrai, en ayant à l’esprit que c’est la défense de l’Europe qui prime, la « défense européenne » n’étant qu’une de ses modalités. Aujourd’hui, ce sont les coalitions ad hoc comme Takuba ou les coopérations bilatérales comme CAMO qui sont les plus à même de développer une culture stratégique commune qui pourra à terme ouvrir les portes d’une future autonomie stratégique.

S’agissant de la création d’une BITD européenne, on ne peut qu’y être favorable, sous réserve d’y mettre des conditions qui sont autant de lignes rouges : préservation de nos actifs technologiques (SCAF avec les commandes de vol par exemple), conservation de notre liberté de manœuvre en matière de grand export vital pour notre souveraineté et financement à un coût abordable de nos grands programmes, développement d’une forme de buy european act avec nos partenaires.

Je me battrai pour mettre un terme à une forme de schizophrénie européenne qui, d’un côté lance le FED, mais en même temps lance un projet de taxonomie sociale qui exclurait le secteur de l’armement et propose un écolabel finance durable qui s’appuie sur la même exclusion. Je mettrai aussi à l’agenda européen la réécriture de la directive temps de travail pour que pour nos forces armées soient définitivement libérées de cette épée de Damoclès qui pèse sur elles, en contradiction avec le principe constitutionnel de « disponibilité en tout temps et en tout lieu ».

La France doit-elle rester dans l’OTAN et si oui, quelle doit y être sa place ?

Les propos d’Emmanuel Macron sur «  l’OTAN en état de mort cérébrale » ont fait des ravages chez nos partenaires et ont causé plus de tort à l’autonomie stratégique européenne qu’ils ne l’ont servie. Pour la plupart des Européens, en particulier ceux de l’est de l’Europe, l’OTAN et le parapluie américain sont un horizon indépassable. Je retiens de mon expérience internationale qu’il n’est possible de promouvoir l’autonomie stratégique qu’en précisant que c’est un second pilier de sécurité, aux côtés de l’OTAN, mais sans se substituer à elle.

Dès lors, je maintiendrai évidemment la France dans le commandement intégré avec une vraie stratégie d’influence et une volonté de profiter au mieux des atouts que confère l’interopérabilité.

Tout le reste est démagogie, splendide isolement et, pour finir, affaiblissement de nos forces, car nul ne peut ignorer que dans un conflit majeur, l’engagement se ferait en coalition.

Du point de vue des engagements, faut-il poursuivre les opérations au Sahel, faut-il être plus présent face à la Chine et faudrait-il défendre l’Ukraine face à des actions russes ?

Au Sahel, il faut garder son sang-­froid et ne pas alimenter de surenchère inutile au regard de l’importance des enjeux : d’une part, parce que nos soldats sont exposés et que leur sécurité est la première des priorités ; d’autre part, parce que la raison de notre présence militaire dans cette région est la lutte contre le terrorisme djihadiste, et que cette lutte reste d’actualité. L’attitude des militaires maliens au pouvoir à Bamako est très contrariante, particulièrement au regard des sacrifices consentis depuis près de 10 ans. L’hypothèse d’un départ ne peut donc être exclue, mais c’est une décision lourde et complexe dans ses implications (ne jamais oublier qu’un retrait militaire est plus dangereux à sécuriser qu’un déploiement initial…) qui ne peut se prendre sur un « coup de tête ». L’un des points très négatifs de la crise actuelle est que cela dissuade nos partenaires européens d’approfondir un engagement qui offrait une perspective intéressante. Il y a nécessité de revoir notre dispositif militaire dans toute sa dimension régionale, du fait des difficultés politiques au Mali, du désengagement européen et de la diffusion de la menace djihadiste dans toute la région. Le Mali reste exposé à cette menace, mais est aussi confronté à d’autres défis internes pour lesquels une action militaire française n’est pas adaptée. Nous devons donc nous appuyer prioritairement sur les pays volontaires dans la lutte antidjihadiste (Niger, Tchad), en mettant l’accent sur un dispositif mobile et plus léger (renseignement/forces spéciales) et sans doute travailler plus sur la prévention de la diffusion de la menace avec les autres pays de l’Afrique occidentale (Sénégal, Côte d’Ivoire).

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