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D’un exil à l’autre : les réfugiés palestiniens dans le conflit syrien

D’autres ont opté pour la poursuite de leur parcours migratoire pour trouver asile dans un pays tiers, principalement en Europe. Beaucoup de ces départs ont eu lieu avant 2016, alors que les routes vers l’Europe à travers la Turquie étaient ouvertes. L’émigration est devenue plus complexe et dangereuse, et elle emprunte des routes plus longues en passant par la Libye. Les coûts sont aussi plus élevés, ce qui limite fortement la possibilité d’émigrer. Au début de la crise, ceux qui avaient les moyens financiers, les liens familiaux ou les réseaux nécessaires ont pu partir. Ne restent au Liban que les populations les plus pauvres et les moins connectées avec la diaspora.

Dans ce contexte fait d’incertitudes et de contraintes, les réfugiés palestiniens de Syrie se sont pour la majorité installés dans les camps existants, dans les principaux quartiers où résident les Palestiniens ainsi que dans les groupements informels ruraux. Ils se sont donc insérés dans les marges urbaines défavorisées des agglomérations libanaises, où habitent également de nombreux réfugiés syriens et travailleurs étrangers venus du sud-est asiatique ou d’Afrique subsaharienne.

Plusieurs facteurs expliquent cette localisation. Les réfugiés qui ne disposent pas de titre de séjour valide échappent en partie aux contrôles des autorités libanaises en s’installant dans ces espaces. Les forces de sécurité libanaises n’entrent pas dans les camps de réfugiés palestiniens qui sont gérés par les factions palestiniennes. On y trouve donc des réfugiés et des migrants clandestins de différentes nationalités. Ces espaces deviennent des refuges pour les populations sans statut qui peuvent s’y établir sans risquer d’être arrêtées ou déportées vers la Syrie. Elles peuvent y exercer une activité professionnelle, alors que cela leur est interdit sur le reste du territoire libanais. Ce rôle d’accueil des camps pour des populations réfugiées ou migrantes en situation irrégulière n’est pas nouveau et se développe depuis les années 1990.

La présence dans les camps et les principaux groupements palestiniens s’explique également par des raisons économiques. Ce sont des espaces de relégation où se concentrent de longue date les populations les plus défavorisées. Le logement y est moins cher que dans d’autres quartiers des agglomérations libanaises. C’est le cas plus particulièrement à Beyrouth, où le camp de Chatila et ses abords – comme le quartier de Sabra – accueillent une importante population palestinienne de Syrie, syrienne et asiatique. Le conflit syrien a donc contribué à renforcer le rôle des camps de réfugiés palestiniens dans l’accueil de nouveaux arrivants. Les Palestiniens du Liban ont construit illégalement des étages supplémentaires à leurs habitations qu’ils louent aux réfugiés. Cela leur permet d’accroître leurs revenus dans un contexte économique difficile. On assiste au développement de formes de complémentarités économiques entre les différents groupes de réfugiés, les plus anciennement présents sur le sol libanais bénéficiant d’une situation plus favorable.

Le rôle des réseaux familiaux est aussi un facteur déterminant pour comprendre l’installation des réfugiés palestiniens de Syrie au Liban. En 1948, de nombreuses familles ont été scindées par l’exil, et des membres de la même famille ont trouvé asile dans plusieurs pays. Les liens familiaux entre les différentes communautés de la diaspora ont souvent persisté à travers le temps par le biais de visites ou de mariages. Ils ont été réactivés avec la guerre en Syrie. Faute de revenus suffisants ou d’accès à l’aide humanitaire, et dans un contexte de conflit dans lequel la plupart des réfugiés ont dû quitter la Syrie de façon précipitée, beaucoup de familles ont eu recours aux réseaux familiaux pour trouver un logement. Elles ont été accueillies chez leurs proches ou bien dans des habitations non occupées. Certains groupements informels ruraux autour de la ville de Tyr, dans le sud du Liban, ont vu leur population presque doubler en 2013 avec l’arrivée des familles venues de Syrie. Cela a créé une très forte pression sur les prix du logement, ainsi que d’importants défis pour le système de santé et la scolarisation des enfants, tout cela dans un contexte de baisse des moyens de l’UNRWA, déjà déficitaire avant 2011.

Une difficile insertion économique et sociale

Parallèlement aux difficultés liées à leur installation, les Palestiniens de Syrie font face à d’importants problèmes économiques. Faute d’accès au marché de l’emploi, les familles vivent principalement de l’assistance économique qui leur est fournie par l’UNRWA ainsi que des aides alimentaires qui leur sont distribuées. Selon une étude menée par l’UNRWA et l’université américaine de Beyrouth (4), 90 % d’entre eux sont en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent couvrir leurs besoins essentiels (alimentaires et non alimentaires). Depuis le début du conflit en Syrie, le Liban traverse une profonde crise économique qui s’est fortement amplifiée en 2019. Les chances de trouver un emploi sont très limitées et se concentrent dans le secteur informel, donc sans contrat de travail ni protection sociale. Plus de la moitié des Palestiniens de Syrie n’ont pas d’emploi, ce qui représente le double de la population palestinienne au Liban. Les femmes sont largement absentes du marché du travail – c’était déjà le cas en Syrie –, cette situation étant amplifiée par l’exil. La concurrence sur les segments les moins qualifiés du marché du travail s’est exacerbée avec la présence accrue de main-d’œuvre syrienne. Les salaires journaliers dans les secteurs agricoles ou dans celui de la construction ont été soumis à de très fortes pressions.

On retrouve donc l’essentiel des réfugiés palestiniens de Syrie sur le marché du travail journalier, ce qui les installe dans une précarité socio-économique durable. L’absence de perspectives de retour et les difficultés à poursuivre leur parcours vers l’Europe plongent cette communauté dans une situation toujours plus critique. Les crises politique, économique et sanitaire n’ont fait que renforcer leur exclusion et leur marginalisation. Certains d’entre eux ont cependant contribué à développer des activités économiques dans les camps de réfugiés qui ont bénéficié de l’arrivée des nouveaux réfugiés syriens et palestiniens, accroissant la demande interne dans les camps. De petites échoppes ont vu le jour et le commerce de rue est apparu. Cette forme d’entrepreneuriat de nécessité permet aux plus démunis de générer des revenus, même si ce type d’activité reste peu rémunératrice et incertaine.

De l’asile à l’exil : à la marge de la société libanaise

Le conflit syrien a remis au jour la question des réfugiés contraints de quitter leur État d’accueil pour chercher de nouveau asile dans un pays tiers. La situation des réfugiés est singulière à plusieurs titres puisqu’ils sont apatrides tout en relevant d’une agence de l’ONU, l’UNRWA. Le statut de réfugié des Palestiniens est lié à leur pays de résidence habituelle. Lorsqu’ils le quittent, ils ne relèvent pas du mandat de l’UNHCR et ne peuvent accéder qu’à une assistance humanitaire limitée fournie par l’UNRWA. Les réfugiés palestiniens sont rejetés au statut de demandeurs d’asile par les conflits. La plupart du temps, ils sont considérés comme des migrants illégaux dans leur pays de résidence temporaire. Apatrides, ils ne peuvent pas demander la protection de leur pays d’origine. La singularité de l’expérience palestinienne est donc en partie liée à la non-résolution du conflit israélo-arabe, à leur statut d’apatride comme à leur exclusion du système d’asile conventionnel de 1951.

Alors que le conflit en Syrie s’inscrit dans la durée et que la mobilité des Palestiniens est très fortement restreinte par les autorités libanaises, les Palestiniens de Syrie tendent à s’installer de façon plus durable dans leur pays d’accueil. Cette installation se traduit par la paupérisation de ce groupe et sa marginalisation croissante, du fait de l’illégalité de leur statut, de leur accès très restreint à l’aide humanitaire et de la concurrence accrue sur les marchés locatifs et de l’emploi. Si certaines familles qui disposent de connexions transnationales et de relais dans la diaspora peuvent espérer émigrer vers un pays tiers, d’autres se retrouvent dans une impasse migratoire, ne pouvant ni revenir en Syrie à cause du conflit ni accéder, faute de moyens, à l’émigration. Ils sont confinés dans les marges de la société libanaise.

Notes

(1) Valentina Napolitano, « La mobilisation des réfugiés palestiniens dans le sillage de la “révolution” syrienne : s’engager sous contrainte », in Cultures & Conflits no 87, 2012, p. 119-137.

(2) Kamel Doraï et Jalal al-Husseini, « La vulnérabilité des réfugiés palestiniens à la lumière de la crise syrienne », in Confluences Méditerranée no 87, 2013, p. 95-107.

(3) Au Liban, la moitié des réfugiés palestiniens vivent toujours dans des camps de réfugiés administrés par l’UNRWA. Il existe également de nombreux groupements informels, qui peuvent être considérés comme des camps non officiels et qui ne sont pas gérés par l’agence.

(4) Jad Chaaban, Nisreen Salti, Hala Ghattas, Alexandra Irani, Tala Ismail et Lara Batlouni, « Survey on the Socio-economic Status of Palestine Refugees in Lebanon 2015 », American University of Beirut/UNRWA, 2016.

Légende de la photo en première page : Bâtiments habités par des réfugiés syriens et des travailleurs migrants dans le quartier de Sabra (sud de Beyrouth). © Kamel Doraï

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°50, « Syrie : Dix ans de guerre », octobre-décembre 2020.
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