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Afghanistan : la chute de l’aigle ?

Il serait toutefois erroné de supposer que le désengagement international en Afghanistan mènera à une rupture des relations États-Unis-Pakistan. Véritable pierre d’achoppement de l’opération internationale, le Pakistan demeure une préoccupation centrale pour Washington. Le rôle joué par Islamabad, et plus spécifiquement par Rawalpindi, siège de l’institution militaire pakistanaise, dans la victoire des talibans, est largement connu et documenté. Plus qu’un soutien passif, les militaires pakistanais ont été de véritables alliés pour les talibans pendant ces 20 dernières années. Pourquoi, sachant cela, les États-Unis maintiennent-ils leurs relations et leur soutien financier et logistique au Pakistan, et en particulier à son armée ? La réponse est simple et tient en deux mots : arme nucléaire. Le cauchemar américain d’un terrorisme nucléaire explique la continuité de l’engagement américain au Pakistan et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles les Américains ne se désengageront pas totalement de la région.

Le pivot est malgré tout clair : face à une Chine qui monte en puissance et s’établit comme le concurrent direct dans tous les domaines de puissance, Washington recentre ses ressources sur la menace directe à long terme pour son leadership. Entre 2001 et 2021, le contexte géopolitique mondial a évolué. Or, la guerre contre le terrorisme a consommé de nombreuses ressources américaines, économiques, militaires, diplomatiques ; ressources qui sont aujourd’hui nécessaires pour faire face à la menace stratégique que représente Pékin et les enjeux qui en découlent en Indopacifique. De l’ambitieuse politique de transformation démocratique du Moyen-Orient, Washington a évolué vers une politique de cohabitation, toute malaisée soit-elle, avec les régimes en place. Par ailleurs, la surestimation de la menace de l’islamisme radical a occulté d’autres menaces dont l’émergence de la Chine, le retour de la Russie et la remise en question du leadership américain.

Le Moyen-Orient et l’Asie centrale deviennent ainsi des théâtres secondaires, Washington comptant sur ses alliés dans la région pour contenir et gérer l’insécurité. Le réinvestissement militaire dans les conflits de haute intensité nécessite une réorientation stratégique des ressources.

Il est peu probable que le retrait d’Afghanistan ait un impact sur les alliances américaines en Europe ou en Indopacifique. Certes, la réputation et le prestige américains ont été affaiblis, mais Kaboul n’est pas Taipei, Canberra ou Berlin. Alors que Taïwan ou le Japon sont des enjeux majeurs pour le leadership américain, l’Afghanistan se trouve vite remisée aux oubliettes de la politique internationale. En d’autres termes, si l’image et le prestige américains ont effectivement été affectés par cet échec, la tendance de l’Afghanistan à retomber dans l’oubli permettra aux dirigeants américains de tourner la page et de ne plus regarder derrière eux.

Légende de la photo en première page : Des soldats américains de la base d’opérations avancée de Farah, dans l’Ouest de l’Afghanistan, montent à bord d’un C-130 de l’US Air Force. Depuis son entrée officielle sur le territoire afghan, le 7 octobre 2001, les États-Unis ont envoyé plus de 800 000 personnes sur place, avec un effectif maximum de 100 000 soldats atteint en 2011. (© US Navy)

Article paru dans la revue Diplomatie n°113, « Taïwan : la menace chinoise », Janvier-Février 2022.
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