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Le conflit au Nagorny-Karabagh, nouveau révélateur des défis politiques au sein de l’OTAN

Si la guerre du Nagorny-Karabagh fut riche d’enseignements militaires, l’incapacité de l’Alliance à contenir l’aventurisme d’Ankara sur la scène internationale a été considérée par l’Arménie comme symptomatique d’une perte d’influence qui mine la crédibilité de l’organisation.

Le conflit au Nagorny-Karabagh qui opposa l’Azerbaïdjan et l’Arménie au cours de l’automne 2020 a constitué un véritable laboratoire en matière d’usage des drones aériens, de défense active comme passive contre ceux-ci ou encore d’efficacité de la chaîne de commandement (1). Ces enseignements seront certainement précieux alors que la perspective d’affrontements de moyenne ou haute intensité apparaît de plus en plus envisageable sur la scène internationale. Au-delà, cette guerre constitue un nouveau révélateur de deux défis politiques majeurs auxquels l’Alliance atlantique est régulièrement confrontée : sa relation avec la Russie dans une région que Moscou considère comme relevant de sa zone d’influence, d’une part ; et une politique étrangère indépendante au service d’intérêts affirmés de la part d’un de ses membres clés, en l’occurrence la Turquie, d’autre part.

La « deuxième guerre du Nagorny-Karabagh » de l’automne 2020 fut un épisode supplémentaire d’un conflit latent depuis trois décennies. Opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il remonte en effet à la fin des années 1980. Alors que l’Union soviétique était sur le point d’imploser, la province azerbaïdjanaise peuplée d’Arméniens chercha à être rattachée à l’Arménie. La première guerre entre les deux nouveaux États indépendants dura près de six ans et s’acheva par un cessez-le-feu en 1994. Au prix de 30 000 morts et environ un million de déplacés, la province et sept districts l’entourant tombaient sous le contrôle de l’Arménie (2).

En dépit de la dissolution de l’URSS, Moscou est demeuré un acteur influent dans le conflit. En vertu d’un accord de défense avec Erevan, la Russie dispose de milliers de soldats stationnés en Arménie. Elle est en même temps l’un des principaux fournisseurs d’armements de l’Azerbaïdjan. En maintenant un certain niveau de tension entre les protagonistes, Moscou cherche à conserver son influence dans le Sud du Caucase et à éviter que la région, considérée comme stratégique, ne s’émancipe du giron russe en faveur de l’Occident. Cet objectif russe est constant et clairement exprimé. La guerre de Géorgie en 2008 en fut une manifestation nette, au même titre que la convocation du président arménien à Moscou, à l’automne 2013. Au retour de cette visite, celui-ci annonça en effet le retrait de son pays du partenariat oriental de l’Union européenne et son désir de joindre l’union douanière promue par la Russie.

Trouver un équilibre avec Moscou

Dans le cadre notamment du groupe de Minsk de l’OSCE, les États-Unis ont régulièrement cherché à résoudre le conflit opposant Bakou et Erevan. Selon la chercheuse américaine Brenda Shaffer (3), les efforts américains ont échoué en bonne partie parce que Washington a trop systématiquement dénoncé le manque de volonté des dirigeants azerbaïdjanais et arméniens d’apaiser la situation, tout en ignorant le rôle de Moscou (4). L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 incita l’administration Obama à s’intéresser de nouveau à ce dossier. Elle estimait alors que Vladimir Poutine pourrait être enclin à la négociation au sujet du Sud du Caucase afin de contrecarrer les tensions avec l’Occident suscitées par la crise ukrainienne.

L’initiative d’Obama pour régler le conflit au Nagorny-Karabagh échoua. Les paramètres généraux de la discussion avec Moscou demeurent cependant inchangés et relativement clairs. Sur les questions concernant ce que Moscou considère comme sa zone d’influence traditionnelle, que ce soit le Sud du Caucase ou l’Ukraine, tout autant que sur des enjeux tels que le contrôle des armements ou l’ingérence dans les processus électoraux des démocraties occidentales, Vladimir Poutine ne sera ouvert à un éventuel dialogue que s’il obtient une forme de garantie que l’OTAN ne cherchera pas à intégrer de nouveaux pays limitrophes de la Russie.

Si les principes clés du dialogue avec Moscou n’ont pas vraiment changé au cours des dernières années, les relations entre l’Occident et la Turquie ont quant à elles significativement évolué, et pas vraiment positivement. Erdogan reproche aux Américains d’abriter Fethullah Gülen, considéré comme l’instigateur de la tentative de coup d’État de 2016. Américains et Européens s’inquiètent quant à eux de la dérive autoritaire d’Erdogan, de son éloignement de la communauté transatlantique, symbolisé par l’achat de matériel militaire russe, de sa tendance à jouer le chantage de l’immigration face à l’Europe ou encore de sa volonté de rapprochement avec Pékin, que ce soit pour attirer des investissements ou se procurer le vaccin anti-Covid Sinovac.

Ankara, bon élève de l’OTAN malgré tout

Au demeurant, le président Erdogan semble engagé dans une politique étrangère d’affirmation de la puissance de la Turquie qui suscite des tensions de plus en plus régulières entre membres de l’Alliance atlantique (5). Les forces militaires turques sont intervenues en Syrie pour limiter l’influence des Kurdes syriens qui avaient été les alliés des Occidentaux dans la lutte contre l’État islamique. Paris et Athènes ont dénoncé les agissements turcs en Méditerranée orientale. Ankara s’est impliqué dans la guerre civile libyenne du côté certes du gouvernement reconnu par l’ONU, mais avec lequel les puissances occidentales ont voulu rompre.

Dans cette perspective, la deuxième guerre du Nagorny-Karabagh a pu apparaître comme un nouvel épisode préoccupant des divergences qui secouent l’OTAN. L’engagement turc en faveur de l’Azerbaïdjan, en lui livrant des drones aériens, voire en déployant des mercenaires sur le terrain (6), put ainsi faire craindre que l’OTAN se trouvât potentiellement engagée dans un conflit contre la Russie du fait de l’accord de défense existant entre Moscou et Erevan (7). Sans aller jusque-là, ce dernier conflit dans le Sud Caucase a affecté l’image de l’Alliance atlantique et souligné le risque de paralysie au sein de celle-ci.

L’appui fourni par Ankara à Bakou a en effet suscité l’ire d’Erevan. Le président arménien, Armen Sarkissian, s’est rendu à Bruxelles avec l’intention de mettre les membres de l’OTAN face à leurs responsabilités, leur reprochant notamment de ne pas s’opposer aux actions d’un des leurs dans un conflit qui à ses yeux ne concerne pas l’OTAN (8).

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