Le choc des prix agricoles et alimentaires, mais aussi énergétiques, sur les marchés internationaux touche durement les ménages, en particulier dans les contextes où une partie importante des budgets est consacrée à l’achat de produits de base. Il aggrave ainsi l’insécurité alimentaire partout et encore plus dans les zones exposées aux effets du changement climatique et aux conflits, comme c’est le cas au Yémen, en Éthiopie ou au Soudan du Sud. La faim concerne aujourd’hui plus d’un milliard de personnes, un habitant sur trois dans les pays arabes et un sur quatre en Amérique latine. Il y a près de quinze ans, le monde connaissait un mouvement similaire de hausse des prix des matières premières et des émeutes explosaient dans des villes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud. Quand une population a faim et se trouve en situation de grande précarité, elle se révolte. Il ne faut donc pas exclure que, si les mécanismes de protection des individus ne sont pas au rendez-vous et que l’inflation alimentaire et générale (transport, électricité, énergie, etc.) continue, de nouvelles manifestations et protestations pourraient éclater. Cependant, leur nature est bien plus complexe et ne peut se limiter à la problématique alimentaire ou agricole. Elle renvoie à des questions politiques, de justice sociale et de choix de société. En outre, la sécurité alimentaire n’est pas qu’un enjeu de disponibilité, c’est-à-dire de quantité produite, elle est aussi et surtout liée à la capacité physique et économique d’acheter la nourriture, à sa répartition, aux règles du commerce. Elle interroge donc l’économie politique de l’alimentation, de la production agricole et de la lutte contre la pauvreté à travers la planète.
La question alimentaire au menu du politique
L’inflation alimentaire n’est pas qu’un problème de pays en développement. La précarité alimentaire en France et en Europe, révélée par la pandémie, est un problème grave. L’inflation alimentaire touche tous les pays, y compris les grandes puissances agricoles. L’année 2022, qui s’ouvre en Europe avec la présidence française de l’Union européenne, va conjuguer le triple enjeu de relance, de puissance et d’appartenance. Des thèmes clés pour les campagnes électorales à venir, mais aussi et surtout pour l’agriculture française, européenne et mondiale (3). En Europe, justement, la stratégie du pacte vert et sa déclinaison agricole inquiètent les analystes qui craignent que dans les prochaines années, la production agricole décline, déstabilisant encore plus les marchés internationaux. Si des études tendent à le confirmer, il faut aussi comprendre cette stratégie comme un outil politique au service d’une transformation systémique de l’agriculture et de l’alimentation. Cette dernière ne passera que par une Union européenne forte, capable de peser sur les équilibres politiques par des changements dans les régimes alimentaires, un soutien renforcé de toutes les agricultures du monde et une limitation des distorsions de marché.
Notes
(1) Michaël Tanchum, « The fragile state of food security in the Maghreb : implication of the 2021 cereal grains crisis in Tunisia, Algeria and Morocco », MEI, 9 novembre 2021 (https://www.mei.edu/publications/fragile-state-food-security-maghreb-implication-2021-cereal-grains-crisis-tunisia).
(2) Pierre Blanc, « Nourrir la puissance : l’alimentation au prisme de la géopolitique », in Sébastien Abis et Matthieu Brun (dir.), Le Déméter 2022, Alimentation : les nouvelles frontières, IRIS éditions, février 2022.
(3) Sébastien Abis et Matthieu Brun, « Relance, puissance, appartenance : des priorités (agricoles) pour tous », Le Déméter 2022, op. cit.
Légende de la photo en première page : Alors que la Chine constitue le premier importateur mondial de produits alimentaires, le gouvernement chinois appelait en novembre dernier sa population à « stocker une certaine quantité de produits de première nécessité afin de faire face aux besoins quotidiens et aux cas d’urgence ». Le ministère du Commerce appelait également les différentes autorités locales à faciliter les réserves de viande et de légumes et à maintenir la stabilité des prix. (© Xinhua/Zhu Xudong)