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Sortie de l’OTAN et indépendance stratégique : mythe ou réalité ?

On ne compte plus en France les dénonciations de l’OTAN, de l’aliénation aux Américains jusqu’à la « mort cérébrale » de l’organisation. L’Alliance atlantique serait ainsi inadaptée aux ambitions françaises et cause de l’inertie de la défense européenne. Loin d’une lecture partisane, cet article entend s’intéresser aux conséquences concrètes d’une sortie de l’OTAN pour éclairer l’impact d’une telle mesure au regard de l’indépendance stratégique française.

Si la question se pose pour la France actuelle, le précédent de 1966 ne peut être occulté tant il fonde la légitimité des arguments en faveur d’une rupture avec l’Alliance atlantique. Par conséquent, c’est par le prisme de sa comparaison avec les engagements modernes de la France dans l’Alliance que la question de l’indépendance stratégique pourra être abordée.

La sortie du commandement intégré de l’OTAN en 1966 : étude stratégique

Afin de présenter une étude précise de la sortie de l’OTAN décidée par le général de Gaulle, nous aurons recours à la notion d’espérance politico-stratégique (1), qui permet une mise en balance des coûts et avantages de la décision stratégique par son contexte opérationnel et géopolitique.

La lettre du 7 mars 1966, acmé d’une rupture progressive

Lors de la signification du retrait du commandement intégré de l’OTAN au président Johnson, le général de Gaulle énonce précisément le cadre de sa décision : «  La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entravé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN », avant d’ajouter : « le pays reste prêt à combattre aux côtés de ses alliés au cas où l’un d’entre eux serait l’objet d’une agression qui n’aurait pas été provoquée (2) ». En pratique, cela implique la fermeture des 29 bases américaines sur le territoire national et surtout une logique de dissuasion nucléaire souveraine. Si cette sortie provoque la stupéfaction des alliés, elle est pourtant préparée depuis 1958, avec de nombreuses étapes intermédiaires, comme dès 1959 le retrait de la flotte de Méditerranée du commandement otanien ou le refus en 1962 de réaffecter les forces d’Algérie dans l’OTAN (3).

Toutefois, le risque est calculé et la France, ainsi que la deuxième partie de la lettre l’indique, demeure insérée dans le cadre d’une défense collective face au Pacte de Varsovie dont elle demeure une pièce maîtresse, de même qu’elle permet la continuité logistique de l’OTAN avec le maintien des corridors indispensables, notamment aériens (avec des autorisations renouvelées annuellement).

La sortie du commandement intégré : une indépendance grand stratégique

Ces faits présentés, demeure la question de l’impact de cette mesure pour l’indépendance nationale. Si la variable stratégique est bien présente avec le retrait de forces étrangères sur le sol national, la souveraineté ainsi recouvrée dépasse le cadre militaire. Ainsi, c’est au niveau grand stratégique (4) que les gains sont les plus nets : puisque la défense demeure face à l’Est dans le cadre des alliances, c’est la politique étrangère qui en profite le plus nettement avec le développement d’une dissuasion autonome, pour ne pas entrer dans le système anglais de la « double clé », avec un droit de regard américain, et la possibilité d’une diplomatie libre traitant directement avec l’URSS et la Chine.

Un retrait de l’OTAN aujourd’hui, quelle réalité ?

Si la rupture de 1966 apparaît objectivement relever d’une juste espérance politico-­stratégique par la souveraineté militaire recouvrée et la liberté diplomatique obtenue, qu’en serait-il d’un acte similaire en 2022 ?

Tour d’horizon du fardeau otanien pour la France

Posons d’abord le constat des contraintes militaires imposées par l’Alliance atlantique, pour déterminer la marge de manœuvre obtenue dans ce domaine en cas de retrait. D’un point de vue financier, en tant que troisième contributeur au budget direct de l’Alliance, à hauteur de 10 % du montant total, la France verse chaque année aux alentours de 250 millions d’euros (5), soit 0,61 % de son budget de défense établi en 2022 à 40,9 milliards d’euros. Une part somme toute fortement limitée, à l’image des forces mobilisées en continu au profit de l’Alliance, avec par exemple pour la posture de protection avancée à l’Est (mission « Lynx ») seulement 300 militaires dans le cadre d’un sous-­groupement tactique mobilisant huit chars Leclerc et 13 VBCI (6) alternant entre l’Estonie et la Lituanie, ou encore trois bataillons, trois escadrons de chasse et trois navires dans le cadre des forces de réaction rapide dans leur version renforcée (7).

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