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Au Tchad : « du Déby sans Déby », mais toujours avec la France

Qui est Mahamat Idriss Déby, le fils du défunt président imposé à la tête du CMT ? S’agit-il selon vous d’une transition dynastique masquée ?

Il est d’abord et essentiellement le fils de son père. Il apparaît au grand public lorsqu’il devient le commandant en second d’un contingent tchadien qui intervient au Mali en janvier 2013. Il n’est alors âgé que de 29 ans. Curieuse contradiction des militaires français qui demandent au Mali de construire une armée républicaine et représentant la diversité nationale tout en faisant l’éloge de troupes tchadiennes en très grande majorité composées de combattants zaghawas et dirigées par des officiers dont le premier talent est d’être parents du président tchadien.

Mahamat « Kaka » [surnommé ainsi, car il a été élevé par sa grand-mère, NdlR] n’a pas la réputation de son père, mais il n’est pas affligé des défauts de ses frères, l’avidité notamment. Il bénéficie d’une estime de ses hommes, n’est pas aussi colérique et inconstant que son père. Mais, évidemment, il ne doit son grade et sa position qu’à son père, pas à une expérience politique ou militaire digne de ce nom.

Je n’ai aucun doute sur le fait que le projet initial de cette transition entend être une succession dynastique, mais les candidats sont nombreux parmi les parents les plus proches d’Idriss Déby et l’actuel président pourrait éventuellement céder la place à l’un d’entre eux, voire à un parent un peu plus distant. Pour espérer une évolution spontanée du régime vers un pouvoir plus civil et plus ancré dans une population qui compte très peu aujourd’hui, il faut la naïveté ou le cynisme d’un président français.

Dès l’annonce de la charte de transition, une partie de l’opposition et de la société civile a refusé de s’associer au processus. Qui sont les acteurs de cette opposition ? Certains pourraient-ils tirer leur épingle du jeu ?

L’arène politique au Tchad est très marquée par les 30 ans d’autoritarisme qui ont caractérisé le règne de Déby et par l’impossibilité d’élections décentes depuis pratiquement 1996. Aussi la scène politique s’est-elle plutôt figée, si l’on excepte les péripéties militaires et les ralliements dûment rémunérés.

En revanche, la société civile a fait preuve d’une vivacité plus grande, et pas seulement dans la capitale ou le monde urbain. Les causes en sont multiples, mais elles demanderaient de trop longs développements. Ce qui est certain, c’est que la société civile a démontré ces dernières semaines sa capacité à attirer l’attention internationale, plus américaine qu’européenne, et plus européenne que française, sans aucune surprise.

À l’heure où cet entretien se tient, on ignore encore la position américaine et l’on peut penser qu’une des raisons de cette hésitation est l’écoute dont bénéficient les acteurs de la société civile tchadienne auprès de la diplomatie américaine. Une autre raison tient au fait que, si le Département d’État définit la situation actuelle comme un coup d’État, les relations de Washington avec le régime tchadien seront très strictement réglementées légalement. En miroir, on mesure une fois de plus l’anachronisme de la posture française, derrière les grands discours des présidents de la République ayant annoncé de nouvelles relations avec l’Afrique, de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron en passant par François Hollande.

La place des différentes tribus dans le paysage sociopolitique tchadien a été l’une des difficultés du régime précédent. Comment les tribus, en particulier la communauté zaghawa (qui est celle de la famille Déby), ont-elles été prises en compte dans le processus de transition ?

Il y a plusieurs réponses à cette question. D’abord à un niveau global, le régime Déby n’a pas toujours été aussi isolé socialement qu’il l’est devenu dans les années 2000 ou 2010. Mais les oukases d’Idriss Déby et la prédation organisée de ses alliés et de sa famille ont découragé beaucoup de gens, pas simplement dans l’Est ou le Sud du pays, mais aussi au centre et même (quoique plus rarement) dans le Nord. Déby a toujours réprimé toute tentative de dissension civile dans cette dernière région, car il voulait en apparaître comme le seul leader. Aujourd’hui, ces zones et les groupes qui y vivent pensent qu’ils ont droit à une part du gâteau national, en termes de pouvoir, de représentation et de ressources. La volonté affichée de « faire du Déby sans Déby » ne peut donc que susciter de nouvelles tensions.

D’un autre côté, Déby, issu d’une famille modeste du Nord-Est, a prêté une attention croissante avec les années à l’administration « traditionnelle » (on devrait dire « quasi coloniale ») et a institué des chefs coutumiers dans de nombreuses zones avec la volonté de promouvoir des élites locales apolitiques. Ce système s’est beaucoup développé dans les années 2010 et a une certaine importance dans le monde rural du Nord du pays.

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