Au printemps 2022, la France se dotera d’une nouvelle équipe dirigeante. Celle-ci devra prendre ses marques et définir ses priorités en matière de politique étrangère, dans un contexte paradoxal. Paradoxal, car autant le contexte international est tendu comme rarement il l’avait été dans les trois dernières décennies, autant l’attention du public est focalisée sur les enjeux nationaux.
La crise de la Covid-19 qui se poursuit depuis mars 2020, l’inflation et les difficultés d’approvisionnement générées par les suites de cette crise, le malaise social et les inquiétudes autour du pouvoir d’achat (qui ont trouvé leur paroxysme lors du mouvement des gilets jaunes en 2018), les débats sur le séparatisme musulman en France (avec une loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République » (1)), ainsi que les polémiques habituelles sur la sécurité, l’immigration et l’identité française, génèrent un repli sur soi. On opposait, lors de la crise des gilets jaunes, la « fin du monde » — résumé grossier des inquiétudes climatiques et d’une nécessaire prise de conscience internationale du phénomène) — à la « fin du mois », en référence au budget des ménages dans le pays.
Opposition artificielle en réalité. Car ces sujets considérés comme domestiques trouvent leurs sources aussi bien que leurs solutions à l’extérieur. Ce sont les tendances économiques mondiales et la capacité européenne à se doter de plans de relance efficaces qui détermineront les marges de manœuvre économique de la France et de ses partenaires pour rebondir. Ce sont les dialogues avec plusieurs pays du sud, mais aussi avec les partenaires de l’Union européenne, qui permettront d’aborder les questions religieuses et migratoires dans l’Hexagone et chez ses voisins.
Comme souvent, les questions de politique extérieure ont été secondaires dans le débat de précampagne. Pire encore, dans quelques émissions grand public ayant tenté d’aborder le sujet, la plupart des candidats sont apparus moyennement préparés sur les grands dossiers internationaux (ce qui était peut-être dû à l’exercice lui-même, qui ne se voulait pas spécialisé). Il faudra bien, pourtant, que les prétendants à l’Élysée — comme ceux qui aspirent au pouvoir exécutif dans d’autres grandes démocraties — finissent par comprendre que la maîtrise des arcanes diplomatiques et stratégiques est essentielle à la fonction qu’ils briguent. Leurs concitoyens attendent d’eux qu’ils les protègent des risques extérieurs, qu’ils soient en mesure de saisir les opportunités d’un monde foisonnant, ou qu’ils bâtissent des coalitions pour ce faire.
Revenons d’abord sur le contexte de politique étrangère duquel la France émerge après le quinquennat d’Emmanuel Macron. Posons ensuite la question des défis qui se dresseront sur la route de la prochaine équipe. Interrogeons enfin les instruments dont dispose la France pour les affronter.
Le contexte
Lorsque Emmanuel Macron est entré à l’Élysée en 2017, l’Europe venait de subir un double choc. L’année précédente, le Royaume-Uni a décidé par référendum de quitter l’UE, et Donald Trump a été élu président des États-Unis. Au cours du mandat, d’autres défis s’accumuleront : la crise de la Covid-19 bien sûr, mais également la continuation de la montée en puissance chinoise, et le déroulement d’une présidence Trump, devenue déstabilisatrice à force d’être disruptive, qui fera vaciller l’OTAN, inquiétera les Alliés, et divisera l’Amérique. La complexification de la situation au Sahel, la montée des « illibéralismes » au sein de l’UE, le naufrage du Liban, la persistance des grandes tensions internationales (Syrie, Ukraine, Taïwan…), le spectre d’une guerre froide Chine-États-Unis, et le refus russe de laisser ces deux acteurs en tête-à-tête : tout cela sans que progresse le moins du monde la mise en place d’un acteur stratégique européen.
L’élection d’Emmanuel Macron, sa personnalité, ont interpelé la presse internationale. Ses discours ont été remarqués (2), car ils assumaient une posture européaniste, libérale et multilatéraliste. On a pu noter également une volonté de maintenir le dialogue avec tous les régimes (Russie, Égypte, Arabie saoudite…), un goût pour des formules volontiers provocatrices destinées à faire bouger les lignes (3), des moments symboliques (une visite à Beyrouth au lendemain de l’explosion du 4 août 2020), une tentative de tourner plusieurs pages mémorielles douloureuses (4), des initiatives globales (les sommets One Planet sur l’environnement). Des investissements diplomatiques intenses qui n’ont pas tous abouti, mais qui ont montré une volonté d’implication française et, souvent, une bonne maîtrise des dossiers par nos diplomates : à titre d’exemple, une tentative pour sortir le Liban de son impasse, ou pour réunir les protagonistes de la guerre civile libyenne afin d’organiser enfin des élections dans le pays.
Mais, en cette fin de quinquennat, le monde, qui attend la prochaine équipe, est un monde dangereux. À la mi-février 2022, plus de 100 000 troupes russes étaient massées à la frontière ukrainienne (et des navires russes manœuvraient en mer Noire), les appareils militaires chinois avaient multiplié les incursions dans la zone de défense aérienne de Taïwan, l’ambassadeur de France au Mali se voyait expulsé, dans un pays et sur un continent de plus en plus accueillant aux paramilitaires russes de la société Wagner et, depuis longtemps, aux investissements chinois. Si la Turquie semblait modérer son ton au sein de l’OTAN en 2022, les tensions entre Paris et Ankara avaient été vives dans les mois précédents, aussi bien sur fond de manœuvres russes en Libye, en Syrie ou dans l’est méditerranéen, que sur le dossier de l’islam d’Europe.