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Tejas : une fierté nationale

Combien de Tejas entreront-ils à terme en service ? Aux 123 Mk1/Mk1A effectivement commandés, il faudra ajouter les Mk2. Avec 99 réacteurs achetés, une nouvelle commande de 80 appareils semble envisageable, au moins dans un premier temps. Reste que les autorités indiennes semblent poursuivre leur objectif de disposer à terme de 14 escadrons dotés du Tejas – sans préciser de quelle version il s’agirait. De la sorte, jusqu’à 300 unités pourraient entrer en service. Le principal obstacle à ce plan pourrait ne plus être le développement de l’appareil, mais les capacités de production de HAL dans un contexte où d’autres programmes pourraient occuper l’industriel : le biréacteur de cinquième génération AMCA, mais aussi le MRCA 2.0 s’il est construit en Inde.

Une variante navale avortée

S’il est en service dans l’Indian Air Force, le Tejas a vu, dès 2003, le développement d’une version navalisée de l’appareil. Il était alors question d’acheter 50 exemplaires pour le Vikramaditya et le Vikrant, destinés à opérer avec les MiG29K. Le premier prototype naval, le biplace NP1, a effectué son premier vol en avril 2012. Le deuxième, le monoplace NP2, a quant à lui effectué son premier vol en 2015. Des essais ont eu lieu depuis l’INS Hansa, la base navale dotée d’un tremplin, avant que le NP2 ne soit testé sur le Vikramaditya en 2020, menant des appontages et des décollages. Le programme prévoyait la construction d’autres prototypes, doté du F414, entre-temps abandonnée.

La configuration en double delta sans plans de profondeur se prête très mal aux appontages, forçant à l’adoption d’un angle d’attaque très élevé. Pour y remédier, les ingénieurs ont donc misé sur des extensions de bord d’attaque mobiles, mais aussi sur un redesign du nez, de manière à offrir un meilleur angle de vue. De plus, les appareils recevaient un train d’atterrissage renforcé, de même qu’une crosse d’appontage. La configuration générale du NP2 montrait également une verrière plus haute. Si les essais se sont poursuivis, l’Indian Navy a cependant écarté dès 2016 l’hypothèse d’une production et d’une entrée en service. Son insatisfaction repose sur plusieurs critères. La sous-motorisation de l’appareil suscite d’emblée des interrogations. Les porte-avions indiens ne sont de facto pas dotés de catapultes – ils ont une configuration STOBAR (Short take-off but arrested recovery) – et les opérations reposent sur l’usage de la puissance de l’appareil, d’un tremplin et de la vitesse relative du bâtiment porteur.

Dans le même temps, le Tejas navalisé est aussi plus lourd, rendant plus saillant le problème de la sous-motorisation. Cette masse pourrait être encore accrue, d’autant que l’on ne sait pas si les circuits de carburant ont été renforcés. Ce dernier point est essentiel pour limiter les contraintes structurelles liées aux fortes accélérations et décélérations et ne pas trop réduire le potentiel de l’appareil. Cette question de la masse et son incidence sur la motorisation ont des implications opérationnelles, en termes notamment de charge utile embarquée, qui aurait été réduite. Par ailleurs, la configuration même de l’appareil rend les opérations d’appontage difficiles, le caractère monoréacteur de l’avion impliquant également un risque pour le pilote en matière de panne moteur. In fine, le Tejas est un nouvel exemple de la difficulté de navalisation d’un appareil qui a d’abord été conçu pour un usage terrestre.

Concrètement, l’Indian Navy a lancé en 2017 une demande d’information pour 57 appareils embarqués, tout en faisant développer un nouvel appareil, le Twin engine deck based fighter (TEDBF), biréacteur avec deux F414. Évoqué dès avril 2020 par le DRDO (Defence research and development organisation), ce biréacteur delta-canards présenté comme étant de cinquième génération, est d’emblée développé dans l’optique d’une utilisation sur porte-avions. Avec une envergure de 11,2 m (ses extrémités d’ailes sont repliables), il aura une longueur de 16,3 m et une masse maximale au décollage de 26 t. Avec une vitesse maximale de Mach 1,6, il sera multirôle. Reste que le programme est encore peu avancé : une première maquette a été présentée en 2021 durant le salon Aero India, tandis que les travaux de design préliminaire progressent. Selon la marine, un premier vol aurait lieu en 2026, en vue d’une entrée en service en 2031 – un timing qui semble particulièrement serré, même si un certain nombre de systèmes avioniques issus du Tejas pourraient être utilisés. D’autant plus que l’Inde teste également le Rafale, qui a effectué en janvier 2022 des essais de 12 jours depuis le ski-jump terrestre de la base d’Hansa. En mars, c’était également le cas du F/A18 Super Hornet.

Quel avenir ?

Si la feuille de route du Tejas est déjà écrite, plusieurs inconnues restent pendantes. C’est le cas sur le plan technique, mais aussi sur le plan doctrinal et, plus généralement, de la stratégie des moyens aérienne. Du point de vue doctrinal, le Tejas a été conçu à une époque où l’IAF spécialisait ses appareils. Si le Mk2 va cristalliser son statut polyvalent, il n’en reste pas moins que le Tejas est un appareil limité en emport comme en rayon d’action. À bien des égards, l’adéquation du Tejas à la doctrine peut être mise en doute. En revanche, industriellement, il a permis à HAL et à ses fournisseurs de développer des savoir-faire qui seront notamment utiles à l’AMCA et au TEDBF, les deux autres grands projets aéronautiques nationaux. Sur le plan de la stratégie des moyens, il reste également à voir quels seront les choix indiens en termes de volumes de commandes pour le Mk2, si du moins il est envisagé de poursuivre sur cette voie. 

<strong>Caractéristiques du HAL LCA/Tejas Mk1</strong>

Constructeur  : Hindustan Aeronautics Limited (HAL).

Type  : monoréacteur monoplace polyvalent de quatrième génération.

Dimensions  : longueur : 13,20 m ; envergure : 8,2 m ; hauteur : 4,40 m ; surface alaire : 38,4 m2.

Propulsion  : 1 F404GEIN20 de 53,9 kN de poussée à sec et 89,8 kN de poussée avec postcombustion.

Performances  : vitesse maximale : Mach 1,6 ; plafond : 16 000 m ; rayon d’action au combat : 300 km ; distance franchissable : 850 km ; distance franchissable en convoyage : 3 000 km ; rapport poids/puissance : 1,07 ; charge alaire : 247 kg/m2 ; facteur de charge : + 9G/− 3,5 G ; course au décollage : 1 700 m ; course d’atterrissage : 1 300 m.

Masse  : à vide : 6,5 t ; en ordre de combat : 9,5 t ; maximale au décollage : 13,2 t.

Armement  : 1 canon double Gsh23 de 23 mm approvisionné à raison de 220 coups ; 7 points d’emport pour une charge maximale de 5,3 t d’armement incluant des missiles air-air AA8, AA11, Derby et Python ; des missiles air-sol AS13 et AS18 ; des missiles antinavires AS17 et AS20 ; des bombes guidées par laser ; des bombes lisses, à sous-munitions, antipistes et incendiaires ; des pods de roquettes de différents calibres ; le pod de désignation laser Litening III.

Légende de la photo en première page : Deux Tejas en vol. Les appareils au standard MK1 FOC sont dotés d’une perche de ravitaillement en vol. (© Indian Air Force)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°83, « La puissance militaire indienne  », Avril-Mai 2022 .
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