Le programme indien de défense antimissile balistique vise à développer un système pour protéger l’Inde contre des attaques de missiles balistiques. Il répond aux menaces représentées par les missiles stratégiques pakistanais et chinois. La phase 1 du programme devrait être opérationnelle en 2025 pour protéger la capitale, New Delhi (1).
Avec l’aggravation des tensions avec le Pakistan et en réponse au déploiement par Islamabad de missiles M11 acquis en Chine, New Delhi achète en août 1995 six batteries russes de missiles sol-air S300 pour sa défense et celle d’autres villes. Après les essais nucléaires croisés indo-pakistanais de 1998, le programme s’accélère. En 1999, la guerre de Kargil avec le Pakistan oppose pour la première fois deux puissances nucléaires. Certains estiment alors que la dissuasion encourage la guerre conventionnelle sous la protection du parapluie nucléaire. Le 31 mai, le ministre pakistanais des Affaires étrangères, Shamshad Ahmad, avertit que son pays pourrait recourir à l’arme nucléaire en cas d’escalade. Le concept d’une dissuasion qui interdit la guerre nucléaire paraît remis en cause.
Avec l’abandon par le Pakistan d’une politique de non-emploi en premier de l’arme nucléaire, l’Inde décide fin 1999 le développement d’un système de missiles antibalistiques. Elle s’intéresse aux missiles israéliens, mais en 2002, les États-Unis s’opposent au transfert à l’Inde de l’intercepteur Arrow2 réalisé par Israel Aerospace Industries en coopération avec la firme américaine Boeing. New Delhi poursuit le développement d’engins nationaux. Atteinte en avril 2019, la phase 1 du système doit permettre l’interception des missiles jusqu’à une portée de 2 000 km.
La phase 1
Le système de défense anti-missiles balistiques comporte deux niveaux : des intercepteurs terrestres et des intercepteurs maritimes guidés par un réseau de radars d’alerte avancée et de poursuite, ainsi que des postes de commandement. Les intercepteurs terrestres sont constitués par le missile Prithvi air defence (PAD) pour l’interception à haute altitude et les intercepteurs maritimes par le missile Advanced air defence (AAD) pour l’interception à basse altitude. Le bouclier à deux niveaux devrait être capable d’intercepter les missiles balistiques lancés à 5 000 kilomètres de distance. Le PAD interceptera les missiles à des altitudes exoatmosphériques de 50 à 80 km et l’AAD à des altitudes endoatmosphériques allant jusqu’à 30 km.
Le centre de recherche Imarat et le programme de défense aérienne (PGAD) à Hyderabad dirigent le programme. Environ 40 entreprises publiques et privées travaillent au développement des systèmes, dont Ordnance Factory Board, Bharat Electronics et Bharat Dynamics parmi les plus importantes. Le Laboratoire de recherche et développement pour la défense (DRDL) met au point le logiciel de contrôle du missile AAD. Le Centre de recherche Imarat (RCI) conçoit les systèmes de navigation, d’actionnement électromécanique et l’autodirecteur radar actif. Advanced Systems Laboratory (ASL) fournit les moteurs pour l’AAD et le PAD. Le laboratoire de recherche sur les matériaux à haute énergie (HEMRL) fournit les propulseurs. Un radar de poursuite à longue portée en bande L (LRTR) Swordfish d’une portée de 600, 800 puis ultérieurement 1 500 km, est mis au point à partir de 2009.
Le système fonctionnera en réseau avec des communications sécurisées reliant les lanceurs, les radars, les centres de contrôle de lancement (LCC) et un centre de contrôle de mission (MCC). Le MCC reçoit les informations des radars et des satellites, qui sont traitées par dix ordinateurs. Ceux-ci classifient les cibles, déterminent le nombre de missiles intercepteurs nécessaires, dirigent les intercepteurs et évaluent les résultats. Le LCC calcule le temps de lancement de l’intercepteur sur la base des informations reçues d’un radar en fonction de la vitesse, de l’altitude et de la trajectoire de vol de la cible. Le LCC prépare le missile au lancement en temps réel et effectue les calculs de guidage au sol. Une fois l’intercepteur lancé, celui-ci reçoit des informations radars actualisées sur la cible via une liaison de données. Lorsque les intercepteurs se rapprochent de la cible, ils activent leur autodirecteur actif pour rechercher et intercepter le missile cible, plusieurs intercepteurs PAD et AAD pouvant être lancés contre un même missile cible (2).
Essais des missiles PAD et AAD
Le PAD est testé avec succès en novembre 2006 contre un missile PrithviII modifié, à une altitude de 50 km. Le 6 mars 2009, le DRDO effectue un deuxième test réussi du PAD, cette fois contre un missile Dhanush lancé par un patrouilleur classe Sukanya. La cible est suivie par le radar Swordfish et détruite par le PAD à 75 km d’altitude. Le 6 décembre 2007, le DRDO effectue un premier essai réussi de l’AAD depuis Wheeler Island, au large d’Orissa, pour intercepter un missile PrithviII modifié à une altitude de 15 km. Après un échec le 15 mars 2010, le DRDO effectue une seconde interception réussie le 6 mars 2011. L’AAD détruit depuis Wheeler Island un Prithvi modifié, à une altitude de 16 km au-dessus du golfe du Bengale et à une vitesse de Mach 4,5.
Détection et interception depuis la mer
L’Inde disposera bientôt deux bâtiments destinés au système de défense antibalistique (3) : l’INS Dhruv (VC11184), premier bâtiment de surveillance et de trajectographie indien, et l’INS Anvesh A41 (ex-TDV ou « ship no 20 »), qui lancera les missiles AAD.
Désigné « Ocean surveillance ship (OSS) », le Dhruv est mis sur cale le 30 juin 2014 au chantier Hindustan de Vishakhapatnam et lancé fin 2016 ou début 2017 sans cérémonie publique. Ses essais à la mer débutent en février 2019, et il entre en service le 10 septembre 2021 à Visakhapatnam. Déplaçant environ 14 700 t à pleine charge pour une longueur de 175 m, le Dhruv est équipé de radars AESA en bande S et bande X. La bande S permet de traquer de gros volumes (suivi des missiles en vol), tandis que la bande X est utilisée pour détecter de petits objets difficiles à repérer, comme les véhicules en phase de réentrée, les intercepteurs de missiles ou les petits satellites. Le Dhruv devrait traquer les missiles balistiques hostiles et chercher à distinguer les leurres des ogives réelles. Il sera donc une composante essentielle du système de défense anti-missiles balistiques indien qui réclame la détection d’un missile hostile dès son lancement (4). Le Dhruv est placé sous le commandement des forces stratégiques (SFC) et rattaché au commandement naval oriental à Vizag. Il est exploité conjointement par l’Organisation nationale de recherche technique (NTRO), l’Organisation de recherche et de développement pour la défense (DRDO) et la marine indienne (5).