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Arjun : Delhi se dote de son propre char

Rarement dans l’histoire des blindés, un programme aura mis autant de temps à arriver à son terme. Il faut en effet remonter à 1972 pour voir les premières traces du programme Arjun, qui tire son nom du prince Arjuna, héros d’un poème épique de la mythologie hindoue.

Au début des années 1970, l’armée indienne souhaite remplacer son char de bataille principal, le Vijayanta, version indienne du Vickers britannique, par un char moderne de 50 t équipé d’un canon de 120 mm rayé, d’une conduite de tir automatique et mû par un moteur de 1 400 ch. Le programme est lancé dès 1974 et, en 1976, la mission du développement incombe à la Defence and research and development organisation (DRDO), ainsi qu’au Combat vehicle research and development (CVRD). Les ingénieurs ne partent pas d’une feuille blanche. Ils s’inspirent du design du Leopard 2A4 allemand récemment mis en service. L’ingénierie locale accuse un retard technologique certain dans le domaine de la conception de blindés, ce qui fait que les études vont durer jusqu’en 1996.

Un développement long

Pour combler ce retard, l’Inde doit se résoudre à importer entre 25 et 30 % des composants comme le groupe motopropulseur (GMP), l’artillerie principale, les chenilles et la conduite de tir. En 1983, la firme allemande KMW est partie prenante du programme et supervise le design, le développement ainsi que les évaluations techniques. À cette époque, deux firmes locales rejoignent le projet : Bharat Electronics Limited (BEL) et Heavy Vehicles Factory (HVF). La sortie du premier prototype est annoncée pour 1980. Mais diverses difficultés la font repousser à 1987, et il sera in fine livré deux ans plus tard, en 1989.

Très proche esthétiquement du Leopard 2A4, avec 63 % des composants en commun, le prototype entame une campagne d’essais entre 1993 et 1996. À la fin de cette année-là, 14 exemplaires, dont six non blindés, sont produits à des fins de tests de pilotage dans des conditions climatiques exigeantes. Les essais sont calamiteux et, à l’issue de 20 000 km effectués et de 1 200 obus tirés, les chars sont renvoyés chez le constructeur. Dix défauts de conception cruciaux sont rapidement identifiés, qui retardent la mise en service officielle, dont une surchauffe moteur chronique, une artillerie déficiente couplée à une conduite de tir perfectible. Cette accumulation de déboires fait passer le coût de développement de 52 millions de dollars à 206,7 millions sur la période 1974-1995. Il semblerait que ces différents problèmes soient imputés aux différentes tergiversations de l’état-­major qui semble avoir changé plusieurs fois d’options durant ces vingt dernières années.

En 1997, le prototype 15 est terminé et affecté au 43e régiment blindé localisé à Suratgarh. Il est destiné à corriger les défauts rencontrés afin de lancer au plus vite la production, car le voisin pakistanais vient de se doter de T 80UD achetés à l’Ukraine. Le prototype 15 fait sa première apparition publique lors du défilé de la fête nationale en 1997 et 15 exemplaires de présérie sont commandés. En 1999, l’armée indienne donne son aval pour lancer une production limitée dont les exemplaires seront des clones du prototype 15. Un contrat portant sur l’acquisition de 124 Arjun Mk1 est signé en mars 2000.

La production débute à partir de 2003 sur le site de HVF à Avadi, sur la côte est du pays. La livraison est divisée en deux tranches : une première de 85 exemplaires qui devra être terminée fin 2008, et une seconde courant 2009. Les chars sont protégés par un blindage composite de type Kanchan, souvent comparé au Chobham britannique. Classifié, il a été mis au point par la firme locale Defence Metallurgical Laboratory et produit par Mishra Dhatu Nigam, à Hyderabad. Une première tranche de cinq chars est livrée au 43e régiment blindé le 7 août 2004 afin de poursuivre les essais en unité et de valider diverses options. En vue de commander de nouveaux Arjun, des essais comparatifs sont organisés dans le désert du Rajasthan du 19 février au 12 mars 2010. Ils opposent un escadron composé de 14 Arjun à un escadron de 14 T 90S en service dans l’armée indienne. Malgré des résultats positifs, la production est gelée et il est décidé et de ne pas commander de chars supplémentaires, bien que les Arjun aient démontré une nette supériorité dans les domaines de la manœuvrabilité, de la précision du tir en mouvement et de la puissance de feu.

New Dehli comptait équiper ses forces blindées de 400 à 500 Arjun, mais les T 90S et T 72 ont un rapport qualité/prix inégalé avec un approvisionnement en pièces de rechange beaucoup plus aisé. C’est justement ce dernier point qui posera problème, car, à partir de 2013, les trois quart des 124 Arjun seront immobilisés par manque de pièces de rechange et il faudra attendre 2016 pour que la situation redevienne normale. Comme moyen de substitution, il sera alors envisagé de monter une tourelle d’Arjun sur un châssis de T 72M1. Ce projet, dénommé Tank EX, sera refusé par le chef des troupes mécanisées de l’époque. Le 25 mai 2009, lors d’une cérémonie officielle qui se tient à Avadi, le CVRDE remet au 43e régiment blindé les 16 premiers Arjun pleinement opérationnels. Ce régiment est le premier à se séparer de ses Vijayanta et le premier aussi à avoir été doté de 45 Arjun. Le second régiment à percevoir l’Arjun est le 75e régiment blindé. Il perçoit le même nombre de chars entre fin 2010 et 2012, le reliquat de la flotte étant réparti au sein des organismes de formation.

Malgré ces déboires, et l’annulation d’une seconde commande, le DRDO propose en 2010 le modèle Mk2 qui ne comprend que 59 % de composants étrangers. Ce nouveau char représente une nouvelle étape du programme avec pas moins de 89 points revus ou améliorés, qui concernent principalement la protection et la puissance de feu. Le premier prototype du Mk2, qui sera rebaptisé Mk1A en 2016, est présenté en 2011. Il est testé en conditions extrêmes dans l’ouest du désert du Rajasthan à partir du 22 juin 2012, sur plus de 7 000 km, et ne reprend que 19 améliorations. Il est doté d’une lunette panoramique chef indépendante et d’un système CANBus développé par le DRDO pour la gestion des divers systèmes embarqués en caisse. Après cette campagne d’essais, dont les résultats ne seront publiés que trois ans plus tard, est envisagée une commande de 118 exemplaires pour un montant de 889 millions de dollars. Mais certaines voix s’élèvent, car le poids du Mk1A (68 t) grève son déploiement opérationnel. Il faut attendre le mois de septembre 2021 pour voir cette seconde commande validée à la suite de nombreuses discussions.

La livraison de la flotte de Mk1A doit courir sur 30 mois, en vue de remplacer une partie des T 72M1 qui, avec l’abandon du programme Rhino, ne seront pas modernisés. Hormis l’EX, mentionné supra, il est à noter que d’autres projets ont été élaborés sur le châssis de l’Arjun, avec des fortunes diverses. Le plus abouti est sans nul doute le Catapult, pièce d’artillerie automotrice armée du canon russe M 46 de 130 mm qui pourrait faire l’objet d’une commande de 40 exemplaires. Une autre pièce d’artillerie, dénommée Bhim SPH, a été équipée de la tourelle T6 du très réussi G 5 sud-­africain, armée d’un canon de 155 mm L/52, un projet qui sera annulé à cause de malversations financières. Les autres modèles sont ceux de dépannage, de génie poseur de ponts avec travures de 24 m de type ciseaux.

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