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Ressources halieutiques : l’avenir de la sécurité alimentaire se joue en mer

Mais alors, une pêche durable est-elle possible ? Évidemment ! Des solutions sont mises en place, à la fois pour répondre aux besoins alimentaires de la population mondiale grandissante mais aussi pour préserver au mieux les ressources et l’environnement marin. Des quotas de pêche temporaires sont ainsi régulièrement instaurés pour certaines espèces surexploitées, permettant aux stocks de se renouveler, des zones protégées où la pêche est interdite sont aussi délimitées, tout comme des périodes d’interdiction de pêche pour certaines races de poissons (notamment pendant la période de reproduction)… Si ces méthodes de protection font leur preuve, elles imposent néanmoins aux pêcheurs d’importantes contraintes, parfois trop lourdes pour leur permettre de poursuivre leur activité dignement.

L’aquaculture, une solution durable ?

C’est à partir de la fin des années 1970 que l’aquaculture s’est considérablement développée. Si elle est pratiquée depuis des millénaires — en Égypte notamment, depuis plus de 4000 ans — elle n’avait alors véritablement pris son essor que dans les pays asiatiques. Et lorsque l’on a pris conscience que la pêche industrielle pouvait mener à l’extinction de nombreuses espèces, on a alors cherché à développer une alternative plus durable et plus maîtrisable que la capture. L’aquaculture s’est ainsi développée dans le monde entier. Et en quelques années, elle a fait un bond phénoménal : entre 1990 et 2020, alors que le secteur de la pêche n’a connu une croissance stable que de 14 %, l’aquaculture a explosé tous les records en atteignant un développement de +527 %. Il s’agit du secteur de l’agroalimentaire qui s’est le plus développé ces trente dernières années, à raison d’une moyenne de +8,8 % par an.

L’essentiel de l’aquaculture se pratique toujours en Asie — près de 90 % de la production mondiale —, la France n’a pas encore saisi l’opportunité de développer cette activité à large échelle, généralement pour des questions culturelles et d’acceptation sociale. Toutefois, conscient de son potentiel inouï, le pays prend peu à peu la mesure de l’importance de ce secteur. Le 4 mars 2022, au Salon international de l’Agriculture, a ainsi été signé le plan « Aquacultures d’avenir » qui vise à valoriser cette activité sur le territoire français. Ce plan, co-construit entre l’État, les régions et les professionnels du secteur, définit des objectifs, des outils d’accompagnement à mettre en place et les freins à lever pour son développement. Si la France reste le deuxième pays aquacole d’Europe, notamment grâce à la conchyliculture (4), seul 1 % du littoral est dédié à cette activité. Ce plan prévoit d’atteindre les 2 % dans les prochaines années. L’aquaculture est une alternative intéressante à la capture, tout d’abord en termes de coûts — outre les prix du carburant, les bateaux de pêche doivent être de plus en plus performants pour aller toujours plus loin et toujours plus profond —, elle permet d’optimiser et de maîtriser la production et enfin, comporte moins de restrictions que le secteur de la pêche.

Néanmoins, cette activité reste critiquée pour son impact environnemental et pour les problématiques de bien-être animal. En effet, aujourd’hui, plus de 75 % des fermes aquacoles mondiales pratiquent leur activité de manière intensive. Et les dégâts sont importants, tant du point de vue animal (stress, blessures, épidémies…), que du point de vue environnemental. En effet, dans des bassins où l’on atteint parfois les 60 kg de poissons par mètre cube, les animaux rejettent beaucoup de déchets organiques sur un espace relativement restreint, ce qui dégrade l’écosystème local (saturation des sols en azote, etc.).

La demande en protéines toujours plus importante a aussi développé un autre type de capture : la pêche minotière. Celle-ci consiste à pêcher de petits poissons destinés à être transformés en huile et farine et à nourrir les élevages, notamment les élevages aquacoles carnivores. Si cette pêche industrielle n’a rien d’illégal, elle interroge néanmoins sur l’épuisement des ressources, sachant que les petites espèces pélagiques pêchées à cet effet représentent une source de nourriture en moins pour les animaux sauvages qui s’en nourrissent (oiseaux, poissons, mammifères marins…). La pêche minotière représente aujourd’hui environ 25 % des captures totales. Un chiffre qui ne surprend plus, quand on sait que cinq kilos de poissons sont nécessaires pour nourrir un kilo de saumon et vingt pour un kilo de thon rouge…

Dès lors, l’aquaculture, qui pourrait être une réponse aux impacts néfastes de la pêche, peut s’avérer elle-même problématique lorsqu’elle est pratiquée de manière intensive. Pourtant, dès les années 1990, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a cherché à sensibiliser à une pratique aquacole plus saine et respectueuse de l’environnement. Elle a ainsi mis en place un plan d’étude et de prospection à l’échelle mondiale afin de répertorier tous les problèmes posés par l’aquaculture, mais aussi toutes les techniques ingénieuses à la fois rentables et durables. À l’issue de ce travail, des solutions ont émergé : valorisation d’espèces herbivores, alternatives aux régimes carnivores, recyclage des déchets organiques produits par les élevages, élaboration de cages en cuivre — ce matériau bactéricide permet notamment de limiter la propagation de maladies… Mais ces techniques n’ont pour l’heure pu être réalisables qu’à échelle réduite. Une technique s’est néanmoins distinguée, à la fois pour le faible coût de sa mise en place et l’intérêt environnemental qu’elle représente : c’est la pratique de l’aquaponie. Celle-ci consiste à cultiver des plantes terrestres et élever des espèces marines dans une même structure : les poissons sont nourris par l’aquaculteur, l’eau de leur bassin, riche en nutriments issus des déchets qu’ils ont rejetés vient ensuite alimenter la terre des plantations ; la terre et les racines des plantes filtrent l’eau qui vient à nouveau remplir le bassin aquacole, et ainsi de suite. Des agriculteurs, soucieux de pouvoir diversifier leur activité, se lancent ainsi dans l’aventure.

Au Canada, un système ingénieux s’est également développé ces dernières années, reprenant le principe de base de l’aquaponie, il recrée à petite échelle un écosystème marin pratiquement autonome. L’aquaculture multitrophique intégrée (AMTI) consiste à élever dans un même espace marin des poissons, des coquillages et mollusques ou encore des algues. De la même manière que pour le système aquaponique classique, une chaîne alimentaire et de filtrage de l’eau et des déchets — notamment grâce aux coquillages et aux algues — se met en place et permet de rentabiliser au maximum une production diversifiée. Si la mise en place de ce système est relativement coûteuse, celui-ci est ensuite pratiquement autonome et peu onéreux dans l’entretien.

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