Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Ressources halieutiques : l’avenir de la sécurité alimentaire se joue en mer

La science : l’outil pour préserver et valoriser les ressources halieutiques

Certains pays, de plus en plus sensibles aux questions environnementales et à la question de l’épuisement des stocks, mettent en place des services de surveillance et d’étude des ressources maritimes. En France, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) gère le système d’informations halieutiques (SIH), un réseau scientifique national qui recueille des données sur les stocks de poissons et sur l’ensemble des flottilles de pêche professionnelle. Ce service collecte et partage des informations sur les caractéristiques des navires, mais aussi des éléments sur les populations de poissons et l’environnement marin. Ces diagnostics, qui permettent de faire un bilan régulier de l’état des ressources les plus pêchées, sont des outils précieux pour les professionnels comme pour les pouvoirs publics chargés des politiques de la pêche. En 2020, on a ainsi constaté que 60 % des volumes de poissons pêchés en France sont issus de populations exploitées durablement, contre seulement 15 % il y a 20 ans. Malgré cela, la surpêche touche encore 20 % des populations, et 2 % sont considérées comme effondrées, comme le merlu en Méditerranée dont la quantité de reproducteurs est aujourd’hui insuffisante pour renouveler l’espèce. Mais l’alerte donnée par les scientifiques sur l’effondrement de populations de poissons a permis l’élaboration de plans d’urgence pour redresser la barre avant qu’il ne soit trop tard. Le merlu, considéré comme effondré en Atlantique au début des années 2000, voit sa population aujourd’hui reconstituée grâce aux quotas imposés : une belle illustration des améliorations possibles.

Si la science a permis à l’Homme de développer de nouvelles techniques de capture et d’élevage, mais aussi de surveillance de l’écosystème marin, elle est également un atout incontestable pour valoriser ces ressources halieutiques, notamment à des fins médicales. En effet, les algues, les poissons, les crustacés, les mollusques… contiennent des substances potentiellement valorisables dans de nombreux secteurs, dont celui de la santé. Des actifs marins sont ainsi commercialisés à des fins médicales, comme la spiruline (micro-algue), présentée sous forme de complément alimentaire pour ses vertus nutritives et sa capacité à renforcer les défenses immunitaires. Autre exemple, l’alginate de sodium, glucide complexe extrait d’algues brunes, est le principe actif d’un médicament utilisé contre les brûlures d’estomac. Le chitosan enfin, issu des carapaces de crustacés, possède des propriétés hémostatiques et cicatrisantes, et est employé pour la fabrication de pansements. Si jusqu’à présent, la plupart des médicaments issus de molécules naturelles trouvaient leur source sur terre, la médecine se tourne désormais de plus en plus vers la mer pour les traitements de demain. Afin de lutter contre le diabète (425 millions de personnes affectées dans le monde), le projet « Redame » cherche par exemple à tirer profit de la dactylospongia metachromia, éponge de mer de Polynésie, dont une molécule facilite la production d’insuline. Si on sait que près de 90 % de la biodiversité marine reste encore à découvrir, on peut aisément imaginer l’immense potentiel que représentent les océans et leurs ressources pour l’avenir de l’humanité.

On l’a souvent dit et constaté : c’est dans les océans que se joue notre avenir. Et si utiliser et valoriser les ressources halieutiques est aujourd’hui une évidence, les préserver est à la fois une nécessité et une responsabilité. Outre le bouleversement climatique qui affecte naturellement les océans (hausse des températures, acidité…) et pousse certaines espèces à se déplacer, modifiant ainsi l’écosystème local, d’autres sont directement menacées de surexploitation, voire d’extinction par l’Homme, notamment pour répondre à une demande alimentaire en constante hausse. Mais la croissance démographique mondiale ne doit pas être le prétexte pour une exploitation des ressources halieutiques toujours plus intensive. Si des efforts considérables ont déjà été entrepris par de nombreux pays — amélioration de la gestion des ressources halieutiques, mise en place d’une aquaculture durable et d’un commerce équitable —, les renforcer et les développer à large échelle permettrait de restaurer la productivité des océans et procurerait un moyen de subsistance à des milliards d’individus.

En partenariat avec le Club Demeter

Notes

(1) Espèces qui vivent à proximité des fonds marins mais n’en sont pas dépendantes (morues, merlus, lieus…).

(2) Espèces dépendantes des fonds marins (baudroies, soles, crustacés, végétaux…).

(3) Weronika Zarachowicz, entretien avec Paul Watson, Télérama, 09/08/15 (mis à jour le 08/12/2020, https://​www​.telerama​.fr/​i​d​e​e​s​/​p​a​u​l​-​w​a​t​s​o​n​-​4​0​-​d​e​s​-​p​o​i​s​s​o​n​s​-​v​e​n​d​u​s​-​p​r​o​v​i​e​n​n​e​n​t​-​d​e​-​p​e​c​h​e​s​-​i​l​l​e​g​a​l​e​s​,​1​3​0​0​2​6​.​php).

(4) Élevage de coquillages (huîtres plates ou creuses, moules, palourdes…).

Légende de la photo en première page : En avril 2022, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ferait perdre environ 2,5 milliards de dollars par an aux pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), contribuant ainsi à la pauvreté et la raréfaction des ressources. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°68, « Géopolitique des mers & des océans : tensions sur les mers du globe », Juin-Juillet 2022.
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