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« Aujourd’hui l’Ukraine, demain Taïwan ? » : l’impact de la guerre en Ukraine sur les enjeux taïwanais

À Taïwan, l’agression russe contre la lointaine Ukraine a immédiatement focalisé l’attention des médias, mobilisé une partie de l’opinion publique et suscité des prises de position très fermes des autorités politiques. « L’engagement du peuple ukrainien à protéger sa liberté et sa démocratie, son dévouement intrépide à la défense de son pays, suscitent une profonde empathie de la part du peuple taïwanais, car nous nous trouvons, nous aussi, sur les lignes de front de la bataille pour la démocratie » : la présidente indépendantiste Tsai Ing-wen (élue en 2016 et réélue en 2020) a condamné sans réserve l’intervention russe, et a engagé la mise en œuvre des sanctions économiques contre Moscou, alors qu’éditorialistes et think tanks occidentaux partagent la même interrogation (« Aujourd’hui l’Ukraine, demain Taïwan ? »).

Des points communs entre l’Ukraine et Taïwan

L’Ukraine et Taïwan sont deux États à la périphérie d’anciens empires. Ceux-ci revendiquent leur « réintégration » ou « réunification » à la métropole, au nom d’un irrédentisme réécrivant l’histoire ancienne et récente. À Moscou, la « Rous de Kiev » est le « berceau de la nation russe », et les Ukrainiens sont des Russes. À Pékin, Taïwan est défini comme « province chinoise » de tous temps, alors qu’elle ne fut administrée par l’empire que du XVIIe siècle à 1895, et jamais par le régime communiste installé en 1949. Le nationalisme ethniciste chinois fait appartenir tous les Taïwanais, dans leur diversité ethnolinguistique, à la seule grande ethnie han. La souveraineté de l’Ukraine comme celle de Taïwan est niée comme illégitime, car créée par la « main de l’étranger » — américaine dans les deux cas. Moscou comme Pékin partagent la même détestation de la démocratie et un égal mépris pour des dirigeants librement élus : le président Volodymyr Zelensky est qualifié de « nazi » ; la présidente Tsai est « la cheffe de file des séparatistes voués aux poubelles de l’histoire ».

Au regard du droit international, l’Ukraine et Taïwan n’ont, en revanche, pas le même statut. L’Ukraine est un État indépendant pleinement souverain et internationalement reconnu. Agressé par la Russie, Kiev peut en appeler au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’ONU. Taïwan a pour sa part tous les attributs d’un État, mais n’est plus représenté dans les instances onusiennes depuis l’expulsion de la République de Chine en 1971 ; l’île n’est diplomatiquement reconnue en 2022 que par 14 micro-États. Si la Chine attaquait un jour Taïwan, elle le ferait donc au nom de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, et refuserait toute ingérence de l’ONU dans ses « affaires intérieures ». L’île ne pourrait pas en appeler directement au Conseil de sécurité ou à l’Assemblée générale.

Que vaut la « garantie de sécurité américaine » ?

La non-appartenance de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’Alliance atlantique a impliqué le refus de ces deux organisations d’intervenir directement pour défendre Kiev, au risque d’une confrontation militaire avec la Russie. La prise de position de l’OTAN a relancé, à Taïwan, le débat — et les doutes — sur la fiabilité des Américains à l’égard de leurs alliés ou protégés, alors que Pékin ne cesse d’opposer à Taipei « l’inexistence de la garantie de sécurité américaine ». Dans l’opinion publique taïwanaise, la confiance en une intervention américaine pour contrer une invasion chinoise a chuté depuis l’agression contre l’Ukraine : alors qu’elle s’élevait à 65 % en novembre 2021, elle n’était plus qu’à 34,5 % au 15 mars 2022 (1). Du côté des autorités, l’analyse des positionnements américains face aux menaces, puis à l’intervention russe, cherche à évaluer les hypothèses d’engagement de Washington en soutien à Taïwan.

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