Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Quelle place pour la puissance navale en 2022 ?

Ces efforts capacitaires ont de surcroît une dimension essentielle, celle de l’interopérabilité. Dans la mesure où l’ampleur des enjeux géostratégiques rend certain le recours à des alliances, l’interopérabilité technique et tactique est indispensable pour mener des opérations du haut du spectre dans lesquelles la différence entre le succès ou l’échec se compte en secondes. Elle suppose que les choix structurants des standards des équipements et des systèmes soient partagés entre alliés et que leurs industriels soient invités à renoncer à construire des systèmes fermés et captifs pour défendre leurs parts de marché. Dans un monde où la compétition économique fait rage, y compris entre Occidentaux, cet aspect requiert une indispensable prise de conscience politique pour disposer du « nombre » qui fera défaut à chacun d’entre eux pris isolément.

Le temps long, impératif catégorique de la puissance navale

« Rien n’est plus nécessaire au gouvernement d’un État que la prévoyance, puisque, par son moyen, on peut aisément prévenir beaucoup de maux qui ne se pourraient guérir qu’avec de grandes difficultés quand ils sont arrivés » soulignait Richelieu. La puissance navale fait partie des domaines dans lesquels l’effort se conduit dans la durée, malgré les aléas politiques ou financiers qui peuvent en altérer l’ambition. Les Chinois l’ont bien compris, comme en témoigne l’effort considérable qu’ils soutiennent depuis bientôt 20 ans. Pour nos pays occidentaux qui ont bénéficié pendant toute cette période des dividendes d’une paix qu’ils ont crue éternelle, il est encore temps de s’y mettre. La sagesse commande en effet de méditer cet avertissement de Robert de Saint Jean : « La paix est le temps où l’on dit des bêtises, la guerre le temps où on les paie. »

Notes

(1) Pour s’en convaincre, voir « Ukraine : pourquoi la Russie de Poutine a tant de mal à conquérir le pays ? », infographie du Monde, le 1er mai 2022, qui présente l’ordre de bataille des forces ukrainiennes et russes au premier jour de l’invasion, sans même mentionner les unités navales.

(2) Missile de croisière navale.

Légende de la photo en première page : Le missile de croisière naval (MdCN) est au service de la marine française depuis 2015. Équivalent du Tomahawk américain, ce type de missiles est utilisé dans une logique d’intimidation et de dissuasion. Le premier tir opérationnel effectué a été ordonné le vendredi 13 avril 2018 par Emmanuel Macron et visait les installations chimiques présentes en Syrie. Installé à bord des frégates FREMM de la Marine nationale, ce missile permet pour la première fois à la France « sans moyens amphibies, sans forces spéciales et sans porte-avions, de disposer d’un moyen de toucher des installations en profondeur sur les territoires adverses ». (© Marine Nationale/Ministère de la Défense)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°68, « Géopolitique des mers & des océans : tensions sur les mers du globe », Juin-Juillet 2022.
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