Magazine Diplomatie

Les relations économiques entre la France et l’Afrique face aux enjeux géopolitiques et géoéconomiques

Coopération Afrique-France : les perspectives du « New Deal »

Dans un contexte post Covid-19, le président Emmanuel Macron souhaite renforcer la politique extérieure de l’Union européenne sous l’impulsion de la France. Le « New Deal » proposé par le chef de l’État français est une sorte d’européanisation de la politique économique extérieure de la France à destination de l’Afrique. À travers ce nouvel instrument économique et financier mobilisé pour l’Afrique, l’objectif est de « refonder en profondeur » la relation avec l’UE. Une relation jugée « un peu fatiguée ». Sur la base d’une estimation pluriannuelle 2020-2025, le président Macron évalue à 300 milliards d’euros les besoins de financement pour les économies africaines. Mais avant de porter le projet de « New Deal » au niveau européen avec la présidence française de l’Union européenne (PFUE) au premier semestre 2022, la France a dû au préalable revoir la nature de ses liens avec l’Afrique. Tel est le sens du 28e sommet Afrique-France qui s’est tenu le 8 octobre 2021 à Montpellier. Qualifié d’inédit pour avoir privilégié le dialogue avec la jeunesse et la diaspora, ce sommet avait pour objectif de rompre avec les pratiques du passé. Diverses thématiques avaient été identifiées comme l’engagement citoyen, l’innovation et l’entreprenariat, la recherche, mais les débats ont porté sur des thèmes aussi divers que la santé, le climat et l’environnement, la biodiversité, la restitution et la circulation des objets d’art africains, l’égalité entre femmes et hommes, le franc CFA, etc.

Le « New Deal » s’inscrit donc dans la continuité des grandes résolutions prises au sommet de Montpellier avec notamment la mise en place d’une nouvelle génération d’institutions et de dispositifs susceptibles d’encourager des modes d’interaction plus participatifs, plus inclusifs et plus égalitaires entre la France et l’Afrique. Une occasion, cette fois, de prendre rigoureusement en compte les transformations et changements structurels par le bas des sociétés africaines. Cet instrument de diplomatie économique et financière s’inscrit par ailleurs dans un cadre plus général dans la stratégie de rattrapage économique sur le continent, en mobilisant des leviers importants du soft power français pour tenter de réduire l’écart enregistré avec les autres puissances dans un contexte de compétition géopolitique et géoéconomique.

Il faut noter que depuis 2017, avec l’arrivée au pouvoir du président Emmanuel Macron, l’aide française au développement s’est accrue et la France y a ainsi consacré plus de 12 milliards d’euros en 2020, soit environ 0,53 % de sa richesse nationale. Avec cette enveloppe, la France est devenue le cinquième bailleur mondial d’aides. L’objectif poursuivi est de consacrer 0,55 % du PIB en 2022 à l’aide au développement (16). De nombreuses initiatives allant dans le sens de l’amélioration et de la consolidation des relations entre l’Afrique et la France ont été lancées. Il s’agit notamment de la tenue de la saison Africa2020, décalée à 2021 en raison de la pandémie, du sommet sur le financement des économies africaines et du nouveau sommet Afrique-France de Montpellier.

Toutes ces initiatives, pour l’heure, définissent des objectifs de long terme et tracent les grandes tendances pour l’avenir des relations entre la France et l’Afrique. Mais leur efficacité dans le temps long reste à prouver. Il faudra, pour la France, d’abord réussir à corriger les stéréotypes du passé, qui constituent encore des marqueurs importants dans l’esprit des Africains. Ensuite, renforcer son enveloppe budgétaire consacrée à l’Afrique afin que celle-ci soit à la hauteur de la concurrence géoéconomique que lui opposent les autres partenaires. Et enfin, revoir stratégiquement sa position dans les processus de transition en cours, notamment au Mali, en République centrafricaine et en Guinée, afin d’éviter une accélération de sa perte d’influence en Afrique.

Notes

(1) Frédéric Charillon (dir.), Politique étrangère : nouveaux regards, Paris, Presse de Sciences Po, 2002.

(2) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Focus stratégique, n° 109, Ifri, mai 2022 (https://​bit​.ly/​3​O​3​v​XEt).

(3) Ibid.

(4) Michel De Grandi, « La France perd des parts de marché partout en Afrique », Les Echos, 15 octobre 2018 (https://​www​.lesechos​.fr/​m​o​n​d​e​/​a​f​r​i​q​u​e​-​m​o​y​e​n​-​o​r​i​e​n​t​/​l​a​-​f​r​a​n​c​e​-​p​e​r​d​-​d​e​s​-​p​a​r​t​s​-​d​e​-​m​a​r​c​h​e​-​p​a​r​t​o​u​t​-​e​n​-​a​f​r​i​q​u​e​-​1​4​1​029). Jean-Michel Bos, « L’économie française continue de reculer en Afrique », DW, 18 mai 2021 (https://www.dw.com/fr/economie-française-recul-afrique/a-57510591).

(5) Hervé Gaymard, « Relancer la présence économique française en Afrique : l’urgence d’une ambition collective à long terme », rapport au ministre de l’Europe et des Affaires « trangères et au ministre de l’Économie et des Finances, avril 2019 (https://​bit​.ly/​3​M​N​u​BfG).

(6) Direction générale du Trésor, « Commerce bilatéral entre la France et les pays de l’UEMOA en 2021 », 7 mars 2022 (https://​bit​.ly/​3​x​K​M​je3).

(7) Agence Ecofin, « Les chiffres du commerce entre la France et les pays africains (2019) – Infographie », 13 novembre 2020 (https://​bit​.ly/​3​x​E​U​Xeh).

(8) Ibid.

(9) Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, mai 2022, op. cit.

(10) Michel De Grandi, op. cit.

(11) Frédéric Schaeffer, « À Pékin, Xi Jinping défend la “ Chine-Afrique”, Les Échos, 3 septembre 2018 (https://​www​.lesechos​.fr/​2​0​1​8​/​0​9​/​a​-​p​e​k​i​n​-​x​i​-​j​i​n​p​i​n​g​-​d​e​f​e​n​d​-​l​a​-​c​h​i​n​e​-​a​f​r​i​q​u​e​-​9​7​7​222).

(12) Hélène Gully, « Investissement : la France largement distancée en Afrique », Les Échos, 28 novembre 2017 (https://​www​.lesechos​.fr/​2​0​1​7​/​1​1​/​i​n​v​e​s​t​i​s​s​e​m​e​n​t​-​l​a​-​f​r​a​n​c​e​-​l​a​r​g​e​m​e​n​t​-​d​i​s​t​a​n​c​e​e​-​e​n​-​a​f​r​i​q​u​e​-​1​8​6​602).

(13) Michel Bozdémir, « La Turquie, nouvel acteur majeur en Afrique ? », The Conversation, 16 novembre 2021 (https://​theconversation​.com/​l​a​-​t​u​r​q​u​i​e​-​n​o​u​v​e​l​-​a​c​t​e​u​r​-​m​a​j​e​u​r​-​e​n​-​a​f​r​i​q​u​e​-​1​7​0​579).

(14) TV5MONDE, « La Turquie propose à l’Afrique des échanges renforcés, des ambassades et des vaccins », 18 décembre 2021 (https://​information​.tv5monde​.com/​i​n​f​o​/​l​a​-​t​u​r​q​u​i​e​-​p​r​o​p​o​s​e​-​l​-​a​f​r​i​q​u​e​-​d​e​s​-​e​c​h​a​n​g​e​s​-​r​e​n​f​o​r​c​e​s​-​d​e​s​-​a​m​b​a​s​s​a​d​e​s​-​e​t​-​d​e​s​-​v​a​c​c​i​n​s​-​4​3​7​088).

(15) Direction des études et des prévisions financières (DEPF), « Échanges commerciaux Maroc-Afrique entre 2000 et 2019 » (https://​bit​.ly/​3​Q​D​o​VI2), consulté le 21 juin 2022.

(16) Christophe Bigot, « Les enjeux de la diplomatie française en Afrique », France Diplomatie, mise à jour de mai 2021 (https://​bit​.ly/​3​Q​y​q​83r).

Légende de la photo en première page : Le 26 juillet 2022, le président français Emmanuel Macron est reçu à Yaoundé par son homologue Camerounais, Paul Biya. (© Xinhua / Kepseu)

Article paru dans la revue Diplomatie n°116, « La France en Afrique : fin de partie ? », Juillet-Août 2022.

À propos de l'auteur

Samuel Nguembock

Enseignant permanent à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), enseignant et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur général de Thinking Africa Cameroun.

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