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Les Yasen(‑M) : le renouveau de la flotte d’attaque sous-marine russe

L’année 2021 fut exceptionnelle pour la composante sous-­marine russe. En effet, ce ne sont pas moins de trois bâtiments à propulsion nucléaire qui ont rejoint les effectifs. Cerise sur le gâteau, ce sont deux SSGN de la classe Yasen‑M qui ont été admis au service en 2021. L’arrivée du K‑561 Kazan le 7 mai (Flotte du Nord) et celle du K‑573 Novossibirsk (Flotte du Pacifique) le 21 décembre sont symboliques à deux titres. Premièrement, on peut voir que le chantier naval Sevmash semble enfin atteindre un rythme de croisière en matière de construction de sous-­marins nucléaires. Deuxièmement le K‑573 est le premier sous-­marin multimissions admis au service au sein de la Flotte du Pacifique depuis l’arrivée du K‑150 Tomsk en 1996, il y a 26 ans.

Une bonne idée de base, mais une concrétisation difficile

Les réflexions préliminaires relatives à cette nouvelle classe de sous-­marins nucléaires remontent au début des années 1970 : l’état-­major de la marine soviétique avait à sa disposition un grand nombre de sous-­marins nucléaires d’attaque appartenant à de multiples classes et sous-­classes de bâtiments relevant de plusieurs générations. Cela complexifiait très lourdement la logistique (et donc les coûts) relative aux navires en service et in fine grevait le maintien en condition opérationnelle de la flotte. En vue de simplifier et de rationaliser l’ensemble, il fut décidé de créer une nouvelle génération de bâtiments répondant à un double besoin : ce devait être des bâtiments polyvalents, simples à construire et pouvant prendre la relève des différentes séries de sous-­marins spécialisés (1).

Ces réflexions préliminaires vont déboucher sur le lancement en 1977 de travaux sur des avant-­projets techniques de deux classes de sous-­marins. Le bureau d’études Lazurit va travailler sur une classe spécifique de sous-­marins d’attaque, le Projet 957 Kedr (2), tandis que le bureau d’études Malakhit sera chargé d’un sous-­marin multimissions, le Projet 885 Yasen. Le projet Yasen (3) tirait profit de l’expérience acquise avec les SNA de la classe Lira (Pr.705) qui, malgré un armement important, disposaient d’un équipage réduit grâce à l’usage accru d’automatismes pour leur gestion, ainsi que des travaux de réduction de la signature acoustique effectués sur les SNA Shchuka‑B (Pr.971 Akula). La signature du contrat 102/86‑E/554‑86, le 30 octobre 1986 (4), est l’acte de naissance officiel des sous-marins Yasen ; les travaux, sous la direction de l’ingénieur V. N. Pyalov et en collaboration avec le centre de recherche étatique Krylov (5), vont avancer rapidement, le design technique du navire étant achevé le 31 août 1988. La marine soviétique (6) va apporter des corrections en fonction de ses besoins et constats ainsi que de l’arrivée de la classe de sous-­marins d’attaque Seawolf dans l’US Navy : c’est le 28 septembre 1990 que les TTZ (7) sont approuvées et que la construction du navire peut enfin débuter.

Lors des discussions relatives aux arbitrages budgétaires dans le cadre du treizième plan quinquennal de l’URSS, en 1989, il va être décidé d’abandonner le Projet 957 Kedr pour des raisons à la fois financières et techniques. En effet, il était nécessaire avant toute chose de rééquiper les entreprises devant le produire, ce qui allait nécessiter du temps et d’importants investissements, deux choses dont l’URSS disposait de moins en moins. Cet abandon va être bénéfique au Projet 885 puisque ce dernier va récupérer les missions dévolues au Kedr (l’attaque d’autres sous-­marins), ce qui va entraîner une évolution fondamentale dans l’architecture du bâtiment : l’installation de cellules verticales et la transformation en véritable navire multimissions. Alors qu’à l’origine il était prévu que le Projet 885 mette en œuvre ses armements au départ des tubes lance-­torpilles (à l’instar de ce qui se fait avec le missile Kalibr‑PL), ce dernier va recevoir des cellules verticales pour l’emport des missiles de croisière : dans un premier temps, cela concernera les missiles Oniks et Kalibr et, à terme, les missiles Zirkon.

Cette longue période de développement va déboucher sur la mise sur cale le 21 décembre 1993 au chantier naval Sevmash du K‑329 Severodvinsk, l’unité tête de série, le navire étant renuméroté K‑560 plusieurs années plus tard (8). La construction du bâtiment va rencontrer de sérieuses difficultés (financières et techniques principalement), celle-­ci étant même interrompue en 1996 avant de reprendre en 2001, après des modifications apportées au design. Il faudra cependant attendre le 15 juin 2010 pour assister à son lancement, son admission au service n’intervenant que le 17 juin 2014. Il se sera donc écoulé 21 années entre la mise sur cale et l’admission au service !

Vu les évolutions technologiques ainsi que le temps écoulé entre la mise sur cale et l’admission au service, les ingénieurs russes ont pu continuer à affiner le design de cette classe en travaillant notamment sur les capteurs embarqués ainsi que sur les dimensions du bâtiment : il en découle donc la mise au point de la classe Yasen‑M, cette variante devenant la variante de série. Une première unité tête de série, le K‑561 Kazan est mise sur cale le 24 juillet 2009, suivie d’une unité supplémentaire chaque année entre 2013 et 2017 ainsi que de deux unités en juillet 2020 (9). Huit Yasen‑M sont actuellement en service, aux essais ou sur cale au chantier naval Sevmash. Les temps de production se sont significativement réduits (fort heureusement) depuis le K‑560 Severodvinsk et il faut en moyenne de sept à huit années entre la mise sur cale et l’admission au service des bâtiments, un délai plus en phase avec les standards occidentaux en la matière.

Un peu de technique

Lorsqu’on aborde les questions techniques relatives à la classe Yasen(‑M), il est important de préciser qu’il n’y a pas une classe, mais bien deux, de Yasen : les différences techniques entre le K‑560 Severodvinsk (Projet 08850/885) et les navires suivants (Pr.885M) sont telles que, même s’il existe un ensemble commun de caractéristiques techniques, les deux types diffèrent significativement l’un de l’autre. Les données techniques vont donc se concentrer sur les navires que l’on peut qualifier de « série », les Yasen‑M.

Catalogués en tant que « sous-­marins nucléaires multifonctions avec missiles de croisière » (10) les Yasen‑M (Projet 08851/885M) représentent une rupture que l’on pourrait presque qualifier de doctrinale pour la composante sous-­marine russe : il s’agit de bâtiments aux lignes très élégantes qui disposent d’une double coque partielle subdivisée en huit compartiments et aux dimensions générales réduites par rapport à leurs prédécesseurs (11). Avec un déplacement de 9 500 t en surface et de 13 800 t en plongée (12), une longueur de 119 m, une largeur de 12 m et un tirant d’eau de 9,5 m, leur profondeur maximum de plongée est de 600 m tandis que la profondeur de service est de 520 m. Les Yasen‑M sont beaucoup plus compacts et par conséquent plus discrets que leurs prédécesseurs. Du fait de leur compacité, leur équipage est réduit à 85 personnes. Un travail important a été réalisé sur l’ergonomie et l’automatisation du bâtiment. Les images disponibles du poste de commandement central (le cœur du navire) montrent un navire équipé selon les mêmes standards que les bâtiments occidentaux avec des consoles multifonctions (et spacieuses !) ainsi que des postes de travail confortables et agencés de manière à favoriser la collaboration entre les membres d’équipage.

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