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La Chine et les métaux stratégiques : influence et dépendance

Sur les batteries depuis quelques années, cette stratégie est manifeste. Elle s’appuie sur une vision intégrée depuis la mine jusqu’à l’utilisation finale et s’étend même à la phase de normalisation internationale, au travers des comités de standardisation internationaux. L’Agence internationale de l’énergie prévoyait dans son World Energy Outlook 2017 environ 300 millions de véhicules électriques et 140 millions de véhicules hybrides en circulation dans le monde en 2040, majoritairement dans les pays les plus avancés. Cette projection nécessite toutefois une baisse importante du coût des batteries, en même temps qu’une amélioration de leurs performances. C’est ici que la Chine a choisi d’intervenir, avec une stratégie intégrée sur les batteries de technologie lithium-ion qui présentent la plus grande maturité techno-économique à ce jour. Au niveau minier, la sécurisation des dépôts de lithium et de cobalt apparaît comme la première étape sur la chaîne de valeur pour la domination du marché. Les entreprises minières chinoises — principalement Tianqi Lithium et Jiangxi Ganfeng Lithium Co., dans le lithium, puis China Molybdenum Co. (CMOC), dans le cobalt —, dont un certain nombre appartient directement ou indirectement à l’État, ont commencé par la mise en valeur des ressources chinoises, majoritairement dans les dépôts de lithium de Jiajiaka et du lac de Zhabuye, avant de s’ouvrir à l’international par une stratégie double de rachats d’actifs et d’ouverture de nouvelles mines, sur toute la planète. Pour le lithium, le résultat est ainsi patent puisque le secteur de l’extraction de ce métal est passé, en l’espace de cinq ans, d’un oligopole quasi-égalitaire à une situation de domination des acteurs chinois. Après l’achat de parts majoritaires dans l’entreprise australienne Talison ou la canadienne Nemaska pour Tianqi Lithium, et auprès de divers acteurs sud et nord-américains pour Jiangxi Ganfeng, les deux sociétés chinoises ont également été à l’origine de nouveaux projets miniers en Australie, au Canada ou dans les pays du « triangle du lithium » (Argentine, Bolivie, Chili). En 2018, l’acquisition par Tianqi Lithium de 23,77 % de parts dans l’entreprise chilienne SQM (Sociedad Quimica y Minera) achève d’en faire le premier acteur mondial à la fin de la décennie 2010. Une situation quasi-analogue est observable au sujet du cobalt, avec la multiplicité d’acteurs chinois présents en République démocratique du Congo — premier producteur mondial (plus de 60 % du total mondial) et premier détenteur de réserves (plus de 50 %) — à commencer par CMOC, qui a repris les actifs de Freeport-McMoRan dans la mine de Tenke Fungurume en 2016, et ne cesse d’étendre son emprise sur le secteur depuis. Ces positionnements dans le domaine minier ne sont toutefois que la première phase d’une stratégie plus complexe puisque, dans le domaine des batteries, identifiées comme une priorité technologique au niveau national, les entreprises d’État de transformation industrielle bénéficient de cette position clé dans le domaine minier.

Les entreprises CALB (China Aviation Lithium Battery Co.) ou CETC (China Electronics Technology group Corp.) sont ainsi en pointe dans le développement des batteries lithium-ion pour de multiples applications, notamment dans le domaine des transports, de l’aéronautique ou du stockage sur réseau. Grâce à cette capacité de production de batteries, à laquelle s’ajoute celle d’entreprises privées comme CATL (Contemporary Amperex Technology Co.), la Chine est de très loin le premier producteur mondial de batteries lithium-ion et elle dispose d’une capacité de régulation du marché, à la fois sur les composés miniers et les produits finis. Tesla, qui avait fait de la maîtrise de la chaîne de valeur industrielle des batteries lithium-ion son principal combat, a dû rendre les armes en 2018-2019, signant des accords de fourniture de lithium et de cobalt avec les miniers chinois.

En disposant d’une telle capacité de production de composés et de systèmes, la Chine tend maintenant à s’imposer dans le domaine normatif, se positionnant de fait au cœur des transitions écologique et numérique par une très forte domination du marché. La Chine déploie ainsi, en bout de chaîne, une influence normative profonde, manifestée au travers de la Standardization Administration of China (SAC) qui est devenue un acteur incontournable des comités internationaux de normalisation. Dans le domaine de l’électricité-électronique notamment, la SAC est l’un des principaux partenaires des comités européens CEN-CENELEC avec une coopération renforcée Europe-Chine dans le domaine.

En considérant les différents secteurs industriels de manière prospective, il est possible de lire des stratégies similaires dans des technologies comme l’hydrogène ou la robotique. L’ensemble des nouvelles technologies crée des besoins spécifiques en matières premières, selon les équipements nécessaires, depuis les métaux précieux — platinoïdes — des électrolyseurs PEM pour la production d’hydrogène, jusqu’aux terres rares — néodyme, europium, etc. — dans les capteurs et moteurs électriques des robots. De fait, dans ces domaines, la SAC a également investi de manière très forte les comités normatifs internationaux, avec le secrétariat de 70 comités techniques de l’ISO (Organisation internationale de normalisation), dont ceux du lithium (TC/333), des terres rares (TC/298), des ferro-alliages (TC/132), des minerais alumineux (TC/79), etc. La prégnance des structures étatiques dans la stratégie chinoise, depuis les entreprises jusqu’aux administrations, laisse ainsi apparaître une véritable stratégie intégrée qui peut toutefois se heurter, à plus ou moins long terme, à un enjeu plus large : celui de la dépendance aux importations.

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