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La Chine et les métaux stratégiques : influence et dépendance

Le risque de la dépendance

Toutefois, la transformation de l’économie chinoise et sa croissance très importante depuis la fin des années 1970 n’ont pas été sans impact sur la question des métaux stratégiques. La Chine, qui est passée, dans les années 2000-2010, d’exportateur de métaux ou de sous-ensembles industriels à exportateur de produits finis de haute technologie, fait maintenant également face à des enjeux d’importation de métaux stratégiques pour alimenter ses industries. Les statistiques chinoises laissent par ailleurs entrevoir cette croissance de l’importance des matières premières non-alimentaires dans les importations, de 20 milliards USD (8,8 %) en 2000 à 202,5 milliards USD (12 %) en 2017 (1). La Chine fait donc face à la nécessité de mettre en place de véritables réseaux commerciaux globaux centrés sur les matières premières, dont la Belt and Road Initiative (nouvelles routes de la soie) est le plus important. Cette dépendance aux ressources des pays africains, latino-américains et asiatiques se lit de manière différenciée suivant le secteur considéré. Le cas des batteries lithium-ion est ainsi emblématique car si la Chine est en passe d’achever une domination du marché mondial, elle le doit en bonne partie à sa capacité de sécurisation des importations de lithium (Australie, Amérique du Sud) mais aussi de cobalt (Afrique centrale) (2).

Pékin a par ailleurs déjà fait face à la fronde de certains pays producteurs de matières premières qui considéraient le géant chinois comme un partenaire trop vorace. C’est notamment le cas de l’Indonésie qui, face à la demande de nickel de la part de Pékin, a décidé à plusieurs reprises (2014 et 2019) d’interdire l’exportation de minerai de nickel pour obliger les acteurs chinois à investir sur la construction de raffineries sur son territoire. La crainte indonésienne de ne devenir qu’un simple exportateur de matière brute — et donc de passer à côté d’une part substantielle des revenus du marché du nickel — a créé une situation de tension avec Pékin, qui ne s’est apaisée que grâce aux investissements des entreprises chinoises sur le territoire indonésien. Jakarta, qui pouvait compter sur sa position de premier producteur mondial de nickel pour obtenir ces concessions de la part des acteurs chinois, a ainsi réussi à très fortement développer son secteur du raffinage de nickel, passant de 24 mt produites en 2014 à 636 mt en 2020, ravissant la première place mondiale de production de nickel raffiné à la Chine (3). Eu égard à l’importance stratégique d’un métal comme le nickel — pourtant a priori relativement abondant, mais dont la demande ne cesse d’augmenter — il n’est pas étonnant de voir la Chine s’intéresser toujours plus à des territoires de production actuels ou potentiels, à l’image de la Nouvelle-Calédonie. La question d’un éventuel rapprochement avec la Chine — premier importateur du nickel néo-calédonien — avait ainsi été au cœur des discussions lors des référendums sur l’indépendance de l’archipel néo-calédonien.

Dans le domaine des matières premières comme dans d’autres, la Chine fait face au défi de son changement progressif de rôle et de posture. La croissance, et surtout le développement technologique de l’économie chinoise, avec des entreprises maintenant aptes à concurrencer les géants technologiques américains, japonais et européens, fait de la Chine le nouveau consommateur majeur de métaux stratégiques. Les téléphones, ordinateurs, voitures électriques et autres équipements produits en Chine nécessitent ainsi un accès aux matières premières qui ne peut se faire qu’en allant chercher des ressources bien au-delà du seul territoire national. Pékin, grâce à la Belt and Road Initiative, s’ouvre toujours plus aux échanges massifs avec les pays émergents ou moins avancés, insérant toujours plus l’économie chinoise dans un cadre mondialisé, avec des flux croissants, depuis l’Afrique en particulier. Cette question de la dépendance croissante de la Chine à des matières premières exploitées loin de son sol accroît les enjeux diplomatiques pour Pékin. La nécessité de maintenir un appareil diplomatique fort ainsi qu’une crédibilité sur les questions de défense est de ce fait liée à ces besoins de garder de bonnes relations avec les partenaires aussi bien que de protéger ses actifs majeurs. La Chine, qui a cherché autant que faire se peut à maintenir un système géoéconomique autocentré, doit depuis plusieurs années opérer une évolution profonde, avec cette ouverture plus ou moins subie.

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