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Hirak en Algérie entre emprise militaire et désillusion de la population

Un ancien combattant octogénaire de la guerre d’Algérie, le commandant Lakhdar Bouregaâ (1933-2020), fut ainsi placé six mois sous mandat de dépôt après avoir critiqué en juin 2019 l’attitude de l’ANP en contexte de Hirak et sa légitimité par rapport à la guerre de libération nationale. Dans le même registre, l’opposant politique Karim Tabbou fut condamné le 24 mars 2020 par la cour d’Alger pour atteinte à l’unité nationale (Code pénal, art. 79) pour avoir cherché à diviser l’armée en distinguant entre la condition privilégiée de ses hauts gradés et la condition plus modeste de ses simples soldats. Sur le même fondement, le journaliste Khaled Drareni fut condamné par la même cour, le 15 septembre 2020, cette fois-ci pour avoir critiqué la légitimité du nouveau président de la République, alors que la Constitution proclame qu’il « incarne l’unité de la Nation ». Pour éviter d’appliquer la disposition constitutionnelle selon laquelle « le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté », sa qualité de journaliste lui fut déniée, sur le fondement de la loi n°12-05 de 2012 relative à l’information, à défaut de carte de presse et de contrat écrit qui lui auraient permis de justifier de sa profession.

Sur un plan religieux, la révision constitutionnelle de 2020 a supprimé la disposition relative à la liberté de conscience (liberté de croyance dans la version arabe), héritée de la Charte nationale de 1976 et de la Loi fondamentale de la même année. La répression du Hirak a d’ailleurs aussi eu lieu sous couvert religieux. C’est ainsi que le militant des Aurès, Yacine Mebarki, fut condamné par le tribunal de Khenchela le 8 octobre 2020 pour prosélytisme à l’égard des musulmans, sur le fondement de l’ordonnance n°06-03 du 28 février 2006 (5), notamment pour avoir cherché à répandre la laïcité, « dernière des religions terrestres ». Relaxé de ce chef en appel, la promotion de la laïcité fut à nouveau retenue à son encontre devant la cour de Khenchela le 25 novembre suivant, mais cette fois-ci afin de confirmer sa condamnation pour blasphème. Plus tard, c’est l’islamologue Saïd Djabelkhir qui fut condamné le 22 avril 2021 à trois ans de prison ferme par le tribunal de Sidi M’Hamed (Alger), pour des publications sur les réseaux sociaux accusées de « dénigre[r] le dogme ou les préceptes de l’Islam » (Code pénal, art. 144 bis 2).

Quant aux libertés collectives, le ministère de l’Intérieur publia un communiqué, daté du 20 mai 2021, rappelant la nécessité d’obtenir une autorisation préalable pour pouvoir manifester, sur le fondement de la loi n°91-19 du 2 décembre 1991. Depuis lors, les manifestations du vendredi, qui avaient jusque-là été tolérées, n’ont plus lieu. L’association Rassemblement action jeunesse (RAJ), particulièrement active dans le Hirak, fut ensuite dissoute par le tribunal administratif d’Alger le 13 octobre 2021, pour avoir reçu à son siège des militants tunisiens des droits de l’homme, en contravention avec la loi n°12-06 sur les associations. Cette loi avait été promulguée le 12 janvier 2012, afin de prévenir l’Algérie des « Printemps arabes » (6). Les partis politiques d’opposition, membres du Pacte de l’alternative démocratique (PAD), ont aussi fait l’objet de poursuites judiciaires, conduisant le Conseil d’État à suspendre le Parti socialiste des travailleurs (PST) le 20 janvier 2022, tandis que le tribunal de Bab El Oued avait condamné à de la prison ferme, le 9 janvier précédent, le coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), Fethi Ghares.

L’ordonnance n°21-08 du 8 juin 2021 constitue l’acmé d’une série de nouvelles dispositions répressives, en ce qu’elle vient qualifier de terroriste toute action ayant pour objet d’« accéder au pouvoir ou […] changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels » (Code pénal, art. 87 bis). Or, si une telle disposition avait été appliquée dans les premiers temps du Hirak, elle aurait permis la poursuite des millions d’Algériens qui appelaient à ne pas appliquer l’intérim présidentiel prévu par la Constitution et qui revendiquaient une transition démocratique, au-delà de la Constitution autoritaire. Cette disposition sert désormais surtout de fondement à la poursuite des sympathisants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et du mouvement Rachad (de tendance islamiste), organisations classées terroristes par le Haut conseil de sécurité (HCS) algérien, le 18 mai 2021. Ces mouvements non armés sont surmédiatisés et survalorisés par les autorités afin de décrédibiliser et diaboliser ce qui reste du Hirak, en jouant à la fois sur le complot intérieur et le complot extérieur, a fortiori depuis la reconnaissance d’Israël par le Maroc.

À propos de l'auteur

Massensen  Cherbi

Docteur en droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas, chargé d’enseignement à Sciences Po Grenoble et à Sciences Po Paris, avocat à la Cour, inscrit au Barreau de Paris et auteur d’Algérie (De Boeck Supérieur, 2017 [2015]).

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